On n’entre pas blancs dans la société politique, en en ressortant sans tache. La décision des "Y en a marristes" de briguer des postes de députés survient après le succès de son rassemblement du 7 avril à la place de l’Obélisque de Colobane. Plusieurs dizaines de milliers de participants, respectant le symbolisme vestimentaire du deuil, une discipline exemplaire, des intervenants incisifs, pointant du doigt les dysfonctionnements démocratiques, des écarts politiques et des difficultés économiques quotidiennement vécues, les partis politiques fortement représentés mais empêchés de toute forme de récupération, tout y était, en fait, pour renforcer le label son mouvement combatif mais équidistant des acteurs politiques. Fort heureusement, la contre-manifestation promise par les va-t-en guerre de l’APR a été étouffée dans l’œuf, semble-t-il par le Président lui-même. Un bon réflexe qui a sauvé la majorité du ridicule.
Du coup, la preuve est ainsi faite que la situation de notre écosystème démocratique n’est pas désespérée. Et que le renoncement, aux ruptures promises en 2012, n’est pas définitivement inscrit dans le marbre des dysfonctionnements à répétition. Pour n’avoir pas claironné sa victoire frappée du sceau de la responsabilité et de du sens de l’organisation, "Y EN A MARRE", malgré les foucades post-manif, en est ressorti tout de même, galvanisé, par ce retour en grâce. Surtout, après la mise à mal de son image éthique dans l’affaire Lamine Diack. Face à une dormance similaire à une léthargie du mouvement, dans un contexte d’étiage du M23 en dissolution dans ses contradictions, "Y EN A MARRE" ne pouvait trouver meilleure opportunité pour reprendre des couleurs.
De là, à sauter les étapes, il n’y a qu’un pas, à mes yeux trop vite franchi. Dans les grandes démocraties, on distingue nettement, la juxtaposition de trois types de cercles,: la société politique composée des partis politiques essentiellement et du pouvoir exécutif, la société civile, comprenant des groupes indépendants des pouvoirs et des lobbys, véritable rempart contre les dérives, soucieuse du respect des normes juridiques, institutionnelles, constitutionnelles, éthiques et de développement durable, et enfin la société médiatique, relais crédible d’une information juste, vraie et vérifiée.
Face à elles, l’espace social, celui des citoyens toutes catégories confondues, qui attend d’elles un respect scrupuleux de leurs missions, pour une adhésion à leurs projets. La société politique est naturellement dans l’action politique de proposition de projet de société, de gouvernance ou de contestation alternative.
La société civile s’inscrit dans la permanence d’une mission de révélation, d’alerte, d’enquête, d’études, de conscientisation, pour des transformations sociales inclusives, participatives et intégratives. La société médiatique, occupe sa place instrumentale, en diffusant par ses moyens d’information et de communication des informations utiles, inédites, structurant, organisant des débats contradictoires, et permettant la libre et responsable expression des citoyens.
Ajoutons-y les cercles des spécialistes et des syndicats (assimilables à la société civile), pour camper le décor. Que devrait-on comprendre si "Y EN A MARRE", traverse ses frontières de facilitateurs et de relais pour devenir ACTEUR POLITIQUE ? Il ne s’agit pas de confiner le mouvement dans un rôle d’agitateur d’idées et d’aiguillon pour une opposition engluée dans son immobilisme et son émiettement.
Encore moins de s’enfermer par des arguments de préau dans un débat scolastique qui s’arrêterait aux limites des définitions théoriques et sophistes. Mais, il faut bien accepter que l'accession probable aux travées de l’Assemblée nationale, n’est pas un simple déplacement de la Place de l’Obélisque à la Place Soweto. On est là en face d’un changement de nature et de degré seulement, d’un nouveau paradigme, qui nous impose une réflexion profonde sur l’évolution du mouvement.
Pour être pragmatique, posons-nous une question simple ! Que se passerait-il, hypothèse improbable, mais tout de même plausible, si "Y EN A MARRE" obtenait la majorité à l’issue des élections législatives. Il formerait un nouveau gouvernement, avec des ministres du mouvement et quelques autres forces provenant de partis politiques et de la société civile ? Un Premier ministre "Y EN A MARRISTE", des ministres, des DG, des PCA, des ambassadeurs éponymes, quelle différence alors avec un parti politique classique ? Et qui servirait de rempart contre les dérives gouvernementales ? Même avec un simple groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, voilà une porte ouverture à toutes les combinaisons politiciennes, que "Y EN A MARRE" dénonce justement.
Si "Y EN A MARRE", franchit la porte de l‘Assemblée nationale, elle devient de fait un acteur politique, en collusion avec l’opposition ou en collision avec le pouvoir. Il n’aura pas d’autre alternative que de mettre le doigt dans l’engrenage, avec la certitude de perdre son âme, statut de révélateur et de booster des consciences. Il se réduirait à un parti politique. Loin de nous l’idée de lui nier toute forme d’évolution statutaire ou structurelle. Il faut simplement que cette évolution soit assumée, et qu’il n’y ait pas tromperie sur la marchandise.
La nouvelle Constitution, en dépit de ses insuffisances, a tout de même permis de faire un grand bon qualitatif en acceptant l’irruption des listes indépendantes. En Côte d’Ivoire en balbutiement démocratique, on compte aujourd’hui 77 députés indépendants. Il ne pouvait en être autrement dans cette terre de vielle tradition démocratique. Mais l’indépendance signifie essentiellement la non-appartenance à un parti politique. Elle doit être ressentie comme une attitude personnelle de quête de liberté. Elle n’octroie pas le statut et le brevet d’engagement dans une œuvre prométhéenne d’éveil des consciences et de mobilisation sociale, comme le prétend la société, qui a en fait un sacerdoce.
Il y a bien une différence entre le mouvement de Ousmane Ngom, de Mme Aida Mbodj et celui de "Y EN A MARRE". Mais comment pourrait-on les distinguer, s’ils siègent à l’Assemblée nationale ? Question lancinante !
Momar Seyni NDIAYE, Journaliste consultant