Depuis le début de cette affaire, vous ne posez que des questions à charge. Aucune question qui me permet de m’expliquer…’’. Mais la réplique ne s’est pas fait attendre. Elle est même cinglante. “Moi je n’ai aucun problème, lance le magistrat. Celui qui a des problèmes c’est celui qui a détourné de l’argent destiné à la population.’’ Cette réplique sèche provoque l’ire de certains conseils de la défense. Le premier à se lever pour fustiger cette “attaque’’ est le Malien Maître Ismaël Konaté. Au procureur, il dit, furax : “Je suis choqué, c’est pourquoi je suis dans cet état. Le procureur n’a pas à dire que Khalifa a détourné. Il n’est pas juge. Ce n’est pas à lui de dire que mon client est coupable…’’. Serigne Bass lui, après avoir mis de l’huile au feu, reste plus ou moins zen dans son coin, où il est de plus en plus seul, “abandonné’’ par le substitut qui l’accompagnait au début du procès. Mais le procureur n’est pas du genre à passer l’éponge. Si l’on s’y frotte, l’on s’y pique.
Pour l’ancien ministre malien de la Justice, Serigne Bass a été on ne peut plus laconique. S’en limitant à cette remarque : “Maître, vous n’avez pas la parole, je vous coupe’’. Alors intervient le juge Malick Lamotte pour siffler la fin de la récréation. “J’invite tout un chacun à rester calme. M. le procureur, il faut respecter les règles’’, sermonne-t-il, avant de convoquer les représentants des différentes parties pour rappeler les règles du jeu. Ce combat épique aura le mérite de montrer, s’il en était encore besoin, une autre facette de celui qui trône depuis 2013 à la tête du parquet du très stratégique tribunal de grande instance de Dakar. Un poste convoité de tous les parquetiers du Sénégal.
C’était un 22 avril. Il prenait la place de “l’inamovible’’ Ousmane Diagne. Après sept longues années passées à ce poste stratégique, M. Diagne venait d’être débarqué sur fond de vives polémiques. Lui-même en rajoutait, lors de la cérémonie de passation de service, en affirmant sans ambages : “Si j’avais à refaire ce qui m’a valu mon départ, je le referais. J’ai effectivement la réputation de dire ce que je pense, là où je le pense. Je n’ai jamais été autre chose qu’un procureur de la République, pas un procureur du gouvernement’’. Il appelait par la même occasion ses collègues du ministère public à rester des “magistrats debout’’ et non des “magistrats du gouvernement’’.
Le contraire d’Ousmane Diagne
Ce jour-là, le sortant avait ravi la vedette au procureur entrant. Une minute durant, parquetiers et autres invités, comme un seul homme, lui ont manifesté un vibrant hommage, par un standing ovation retentissant. Ils ne cessaient de louer les qualités de M. Diagne qui, à maintes reprises, a eu des prises de bec avec certains de ses ministres de tutelle. Sauf Moustapha Sourang, selon ses dires, lors de la même cérémonie. En ce qui concerne Serigne Bass, il est depuis sa nomination en parfaite entente avec ses supérieurs. Pour remplacer le “rebelle’’ Ousmane Diagne, Aminata Touré alors toute puissante ministre de la Justice n’est pas allée chercher loin. Elle avait juste pris l’un de ses plus proches collaborateurs à la chancellerie, son conseiller technique numéro 1, un parquetier pur et dur.
L’homme ne connaît que le ministère public, rapportent certains de ses collaborateurs qui le décrivent comme un magistrat “aguerri’’ qui a l’habitude des grands dossiers, qui ne cède pas sous la pression. “Un dur à cuire’’, selon certains. Un magistrat “zélé’’ pour ses détracteurs. En effet, depuis sa nomination, il est tiré de l’ombre. L’histoire retiendra que son règne n’aura pas été de tout repos. Les procès politico-judiciaires s’accumulent dans sa besace. L’occasion faisant le larron, l’opposition ne manque jamais une occasion de s’en prendre vigoureusement au natif de Thilmakha Mbakhogne, située dans la région de Thiès, allant même jusqu’à l’accuser d’être membre de la coalition au pouvoir. Dans l’une de ses dernières conférences de presse, le successeur d’Ousmane Diagne abordait sept affaires qui ont défrayé la chronique sous nos cieux : mutinerie de Rebeuss qui avait coûté la vie à un détenu, saccage du siège du Parti socialiste, affaire Abdoul Mbaye où l’ancien premier ministre était poursuivi pour bigamie, l’affaire du meurtre de Ndiaga Diouf dans lequel il affirmait avoir interjeté appel, affaire Fatoumata Ndiaye, ancienne vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental, entre autres. C’était le 22 mars 2017.
Si certains de ces dossiers traînent toujours dans les tiroirs de Dame Justice, comme le rapport de l’Ofnac qui lui a été transmis, d’autres ont été instruits en un temps relativement court. L’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar en fait partie. Boule à Zéro Dans ce procès qui tient en haleine la République depuis le 14 décembre 2017, Serigne Bass ne cesse de surprendre son monde. Sa première décision qui a pris de court avocats, chroniqueurs et autres acteurs de la Justice a été sa descente au charbon. Pour une fois, l’homme décide de sortir de son bureau feutré, d’en découdre avec les conseils du maire de Dakar, réputés pour leur ténacité.
Dans les coulisses du Palais de Justice, les commentaires n’ont pas manqué. Ils vont dans tous les sens. Pour certains, ce fait “rarissime’’, pour ne pas dire “inédit’’, résulte du “courage’’ du procureur. Pendant ce temps, d’autres reconnaissent que cela peut être interprété comme un “manque de confiance’’ à l’endroit de ses collaborateurs. Pour quelles raisons ? Est-ce pour défaut de compétence ? Nos interlocuteurs bottent en touche. Selon eux, on ne peut reprocher à Aly Ciré Ndiaye qui menait l’accusation avant l’entrée en jeu du procureur en chef d’être “incompétent’’. Quelles en sont alors les raisons ? Nos sources donnent leur langue au chat. Ce qui est certain, c’est que depuis cette date, le parquetier fait le buzz, à chaque fois qu’il intervient à l’audience. Non pour la qualité de ses plaidoiries, mais surtout pour ses boutades que guette avec frénésie la presse. L’on se rappelle son billet sur sa fameuse boule à zéro. En effet, à l’intention des partisans du maire qui le taxaient de vouloir la tête de leur mentor, il répondait n’avoir nullement l’objectif de “couper la tête de Khalifa Sall’’. Il ajoutait qu’il “préfé- rait plus les têtes rasées que la tête chevelue de Khalifa Sall. Vous avez vu ma tête ? C'est la boule à zéro. Je me rase tous les matins’’. Ce qui poussa d’ailleurs Maître Ndèye Fatou Seck à lui asséner qu’ils (les avocats) n’ont pas déserté leurs cabinets pour assister à de la “comédie’’. “Ce que nous faisons est très sérieux. Si nous sommes là, c’est pour l’éclatement de la vérité. Pas pour entendre quelqu’un faire l’apologie de sa tête rasée.’’
Le parfait complice du doyen des juges Samba Sall
Monogame, père de famille, homme costaud, élégant dans sa toge sur mesure, le chef du parquet régional n’en est pas à son premier dossier politique. Les libéraux du Parti démocratique sénégalais le connaissent en effet très bien. Sous sa direction en tant que chef du parquet, beaucoup d’entre eux ont été mis sous les verrous. L’épisode qui a le plus marqué les esprits concerne l’arrestation de leur coordonnateur adjoint, suivi de son placement sous mandat de dépôt par le doyen des juges plus d’un mois durant, alors même qu’il était député du peuple. Pour le procureur, il s’agissait d’un cas de flagrant délit. En conséquence, l’immunité ne pouvait être évoquée. L’ancien député qui avait par la suite bénéficié d’une liberté provisoire était poursuivi pour les délits de faux et usage de faux et diffusion de fausses nouvelles. C’était suite à un communiqué du PDS relatif à l’affaire Lamine Diack qu’il avait signé. Oumar Sarr succédait ainsi en taule à Mamadou Lamine Massaly et tant d’autres membres du Pds dont Mme Aida Ndiongue.
Si ses pourfendeurs s’appuient sur ses interpellations pour le vouer aux gémonies et le taxer d’homme de main du régime, des sources bien établis au Palais de Justice expliquent que ceux qui le disent ne connaissent pas l’homme qui, selon eux, est “affable, généreux et très crédible’’. Avec le juge d’instruction Samba Sall, il entretient une complicité presque sans faille. Telles deux faces d’une même pièce, ils sont sur la même longueur d’ondes dans la plupart des dossiers. Même si leurs fonctions diffèrent. D’aucuns expliquent cette entente par le fait que les deux hommes sont issus de la même promotion 1997. Une cuvée qui a donné au Sénégal de brillants magistrats comme Alioune Ndiaye ancien SG du ministère de la Justice devenu président du tribunal du commerce nouvellement créé, Alioune Sarr avocat général à la Cour d’appel de Thiès, Ndiambé Guèye président du tribunal régional de SaintLouis…Une génération qu’il repré- sente “dignement’’, selon certaines de nos sources à la tête du parquet de Dakar. Serigne Bass, avant d’occuper ses premiers rôles dans la Justice séné- galaise, a été jusque dans les fins fonds du Sénégal. Notamment à Tambacounda où il a servi en tant que parquetier pendant de longues années.
A part Tamba, l’homme ne connaît que la capitale où il était substitut avant l’arrivée du président Macky Sall au pouvoir. Il sera promu conseiller technique numéro un (1) d’Aminata Touré, avant d’être bombardé procureur par intérim du tribunal régional hors classe de Dakar. A ce poste, il fera sans doute partie des occupants qui ont le plus fait des sorties médiatiques pour communiquer sur des dossiers en cours. Son nom sera aussi gravé en lettres d’or de la magistrature comme étant l’un des rares procureurs de la République, surtout à Dakar, à avoir accepté de siéger à une audience. Est-ce pour être sous les feux des projecteurs ou une simple volonté d’aider à l’éclatement de la vérité ? Des questions auxquelles Serigne Bass ne manquera sans doute pas de répondre.
Source: ENQUÊTE