Succès Masra, un des principaux opposants tchadiens, de retour d'exil en novembre après un accord de réconciliation, a été nommé lundi Premier ministre par le président de transition Mahamat Idriss Déby Itno.
"Le Docteur Succès Masra est nommé Premier ministre, chef du gouvernement de transition", a annoncé le 1er janvier 2024 sur la chaîne de télévision d’État le secrétaire général à la présidence de la République, Mahamat Ahmat Alabo.
Depuis son retour d'exil en novembre après un accord de réconciliation avec le régime du général Mahamat Idriss Déby Itno, Succès Masra franchit un nouveau cap dans sa carrière politique.
Avant cela, il était connu surtout pour son opposition farouche au président tchadien Idriss Déby puis à son fils Mahamat, proclamé président de transition par une junte militaire en 2021 à la mort de son père en avril 2021 après 30 ans de pouvoir sans partage. Incarnant une nouvelle génération d'opposants, Succès Masdra a fait des études à Sciences Po Paris et Oxford.
En 2018, il quitte son poste à la Banque africaine de développement (BAD) pour lancer son mouvement, baptisé Les Transformateurs. Il a alors 37 ans, et il a été directement touché par la modification constitutionnelle de 2018 qui a fait passer l'âge minimum pour se présenter à l'élection présidentielle de 35 à 45 ans.
Succès Masra suit une ligne radicale. Son parti s'inscrit résolument au sein de l'opposition tchadienne, notamment comme membre de la coalition Wakit Tamma, un collectif de partis et d'associations de la société civile. Ils boycottent le dialogue de réconciliation nationale.
Sauf à de rares exceptions, les appels à manifester de son parti sont régulièrement interdits à l'instar de toute l'opposition. Tout rassemblement interdit est dispersé et réprimé.
La répression vire au massacre le jeudi 20 octobre 2022 lors d'une manifestation contre le maintien des militaires au pouvoir. Ces derniers venaient de faire prolonger de deux ans une transition de 18 mois au terme de laquelle ils avaient initialement promis de rendre le pouvoir aux civils par des élections.
Une cinquantaine de personnes ont été tuées ce jour-là selon les autorités, entre une centaine et 300 selon l'opposition et des ONG locales et internationales, pour la quasi-totalité des jeunes manifestants tués par balles par les militaires et les policiers, essentiellement à N'Djamena.
Quelques jours après, Succès Masra est contraint de s'exiler, comme plusieurs autres leaders de l'opposition. Un an plus tard, grâce à la médiation de la RDC, l'accord de Kinshasa du 31 octobre 2023 lui permet de rentrer le 3 novembre à N'Djamena "dans la sécurité juridique et physique", "garantissant le libre exercice de ses activités politiques". Succès Masra promettait de "continuer le dialogue (..) en vue d'une solution politique pacifique" au Tchad.
Succès Masra prône désormais la réconciliation, plaide l'apaisement. "Notre frère Mahamat Déby peut compter sur nous comme un allié du peuple. Nous sommes prêts à poursuivre avec les autorités pour trouver une solution globale", a-t-il déclaré devant ses partisans réunis lors d'un rassemblement à N'Djamena un mois avant un référendum constitutionnel.
Succès Masra appelle même à voter oui au référendum du 17 décembre. Il avance l'argument selon lequel l'adoption du projet accélérerait également la fin de la transition alors que l'opposition divisée appelle à voter non ou au boycott. La nouvelle Constitution promulguée le 29 décembre est une étape-clé censée ouvrir la voie à des élections.
Le reste de l'opposition dénonce un "accord" de dupes et fustige un ralliement de M. Masra au pouvoir dans la perspective d'élections promises pour 2024.
Plusieurs partis de l'opposition avaient pris leurs distances avec Succès Masra, exprimant également leur désaccord sur l'amnistie générale prononcée pour "tous les Tchadiens, civils et militaires" impliqués dans les évènements du "Jeudi noir".