«A qui appartient réellement le Ter ?» C’est la question que se posent nombre de Sénégalais. Après les polémiques sur le coût, l’opportunité et la rentabilité du projet, voilà que surgit un autre débat sur la «propriété réelle» de l’un des plus gros investissements, en matière d’infrastructures, du régime du président Macky Sall, réalisé dans le cadre du Plan Sénégal émergent, référentiel des politiques publiques au Sénégal (Pse).
Tout est parti d’un reportage du journal français Le Figaro, paru le 26 janvier 2023, montrant que le Train Express Régional (Ter) est une propriétaire exclusivement française, pilotée par la Société Nationale des Chemins de Fer Français (Sncf), qui est «très en retard sur ses objectifs financiers mais aussi de fréquentation», un an après son inauguration.
En réponse, le porte-parole du gouvernement sénégalais, Abdou Karim Fofana, précisant que le Ter n’est pas régie par un contrat de concession, en ce sens que la Sncf, via sa filiale Seter, «est un prestataire en exploitation et maintenance, détenteur d’un contrat dont la durée n’excède pas trois ans», affirme que le patrimoine du Ter, porté par la Société nationale Senter (rames, gares, trains) et les recettes appartiennent à l’Etat du Sénégal. De là à croire que ce micmac et autre imbroglio sur la rentabilité économique et/ou financière du Ter, sont une manière de pousser le Sénégal à des négociations pour la prorogation de ce contrat de «prestation en exploitation et maintenance» de trois ans le liant à la Sncf, comme ce fut le cas de l’autoroute à péage quand il s’est agi de revoir à la baisse les tarifs de péage, il n’y a qu’un pas que des observateurs n’hésitent pas à franchir.
Train express regional (TER) : une controverse sans fin
La nouvelle polémique sur la propriété sénégalaise ou non du Train express régional (Ter), n’est aucunement une nouveauté. Depuis son montage, sa conception, l’infrastructure a toujours suscité des interrogations.
L e coût du Ter avait suscité une vive controverse. A la cérémonie de lancement de l’infrastructure, le président de la République, Macky Sall, avait dit que le montant du financement était de 568 milliards de F CFA. Plus tard, un prix contradictoire a été donné. Sur le site officiel du Bureau d’information gouvernemental (Big), il est dit que le Ter a couté 656 milliards de F CFA : 568 milliards au début du projet et un avenant de 88 milliards, soit 15% du coût de départ, signalet-on. Aussi, dans la même source, il est mentionné que 5 milliards de F CFA ont été prévus pour l’indemnisation des impactés. Mais, finalement, 50 milliards F CFA ont été payés.
D’ailleurs, le député et ancien Inspecteur des Impôts et Domaines, Ousmane Sonko, a toujours contredit la version officielle. Selon lui, le projet, qu’il qualifie de «mégalomanie», va coûter 1300 milliards de F CFA à l’Etat. A cause de son coût important, des Sénégalais, notamment la classe politique, particulièrement le leader du Pastef, Ousmane Sonko, ont émis des réserves quant à l’utilité d’un tel projet dont le montant injecté pouvait servir à autres choses, selon ses détracteurs. Le Ter, c’est également un lot de problèmes que les habitants de certaines quartiers traversés par ses rails vivent, en attendant la réception définitive du projet. De Fass-Mbao, Route de Boune à Keur Massar, Yeumbeul et Rufisque, en passant par Guinaw-Rail (Pikine) et Thiaroye Gare, des voix se sont élevées pour dénoncer des manquements liés aux travaux du Ter notamment les indemnisations, l’enclavement, l’envahissement de maisons et quartiers entiers par les eaux de pluie pendant l’hivernage, entre autres.
Plusieurs dates de livraison du Ter ont en outre été annoncées, puis reportées, avant l’infrastructure ne soit sur les rails. Après la réception en grande pompe de l’infrastructure, en janvier 2019, à la veille de présidentielle de la même année, comme programmée par le président de la République lors du lancement des travaux de l’infrastructure en 2016. Alors que les Sénégalais spéculaient sur les multiples reports, l’ambassadeur de la France au Sénégal, Philippe Lalliot, au Grand Jury de la Rfm du 9 février 2020, rajoutait une couche sur le débat. Il disait, à cet effet ; qu’il n’est pas convaincu d’une possibilité de mettre le Train express régional (Ter) sur les rails au mois d’avril, pour une exploitation commerciale. «C’est en tout cas, ce que me disent les entreprises françaises. Les Sénégalais verront le Ter circuler. Mais ils devront attendre pour pouvoir l’utiliser». Concernant l’explication, disait le diplomate, «il reste à faire un certain nombre de choses qu’on ne voit pas, mais qui sont absolument indispensables pour que le train roule à son maximum de performance et en parfaite sécurité. L’impératif de la sécurité, il est absolu. On va faire circuler 100 mille personnes par jour avec ce train. Il faut que ce soit en parfaite sécurité».
Les délais de livraison, l’autre source de discorde
Alors que le chef de la diplomatie française montrait son scepticisme, les autorités sénégalaises avaient multiplié les annonces. En effet, lors du vote du projet de loi portant deuxième loi de finance rectificative pour l’année 2019, le ministre des Finances et du Budget d’alors, Abdoulaye Daouda Diallo, avait fixé l’échéance en fin 2019. «Les travaux du Ter ne sont pas arrêtés. Au contraire, l’essentiel des infrastructures de circulation est terminée. D’ici le 31 décembre 2019, le Ter sera totalement réceptionné», avait-il dit. Pendant ce temps, son collègue en charge des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement d’alors, Me Oumar Youm, avait, quant à lui, auparavant, pris date pour septembre 2019, au plus tard. «Les travaux du Train express régional (Ter) avancent très bien. Nous avons retenu la date contractuelle du 14 juin 2019 pour la fin des travaux. Il y aura une période de pré-exploitation, dont le démarrage est imminent et qui devra se terminer au plus tard en septembre 2019».
Quelques mois plus tard, lors de son passage à l’Assemblée nationale, le 4 décembre 2019, Me Youm avait fixé à nouveau le démarrage du Ter en avril 2020. Déjà, le mercredi 14 décembre 2016, c’est un président Macky Sall, enthousiaste et galvanisé par des souteneurs qui ont pris d’assaut la grande salle du Centre de Conférence Abdou Diouf de Diamniadio, qui avait donné une date aux Sénégalais. «Je donne rendez-vous aux entreprises partenaires le lundi 14 janvier 2019 pour inaugurer la ligne et faire le premier trajet Dakar-Diamniadio en Ter». Mieux, avait-il ajouté, «j’exhorte toutes les entreprises partenaires et toutes les autorités impliquées à différents niveaux dans la réalisation du projet à faire preuve de la même diligence dans l’exécution des travaux. Ensemble, nous avons pris des engagements ; ensemble, respectons nos engagements. Alors, au travail et en avant pour les autres étapes. Et, croyez-moi, je ferai souvent des visites de chantier, sans prévenir». Cette même date du 14 janvier avait été choisie par le chef de l’Etat pour faire le voyage inaugural. Finalement, c’est le 14 janvier 2019, que le président de la République a réceptionné le Ter, mais il n’avait pas quitté le gare. L’exploitation commerciale du Ter n’a finalement commencé que le 27 décembre 2021, près de deux ans après la réception par le président Macky Sall.
Rentabilité du Train express regional : polémique autour d’une infrastructure « coûteuse » pour le Sénégal
Le lancement des travaux du Train Express Régional (Ter), en 2016, par le président de la République, Macky Sall, avait suscité beaucoup de débats sur la pertinence du projet et sa rentabilité, au vu de son coût estimé à plus de 800 milliards, selon le gouvernement, et plus de 1000 milliards, selon des chiffres annoncés par l’opposition. Aujourd’hui, un an après sa mise en service et son exploitation, la polémique sur la rentabilité de l’infrastructure refait encore surface, avec la publication de l’article du journal français Le Fiagaro, qui soutient que le Ter est une propriété exclusivement française.
Le journal Le Figaro de la France, dans un article publié la semaine dernière, soutient que le Train Express Régional (Ter) est une propriétaire exclusivement française et que l’Etat du Sénégal ne possède aucune action dans ce projet piloté par la Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF), spécialisée dans ce domaine. L’Etat du Sénégal n’a pas tardé à apporter un démenti, suite à la publication de cet article. En effet, selon le ministre du Commerce et porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Sall, «l’Etat à fait le choix de la souveraineté en étant propriétaire de son Train Express Régional et de façon entière et exclusivement. C’est dire donc, en termes plus clairs, que le Sénégal est propriétaire de ses voies, de ses rames et gares». Selon le porte-parole du gouvernement, cela a été matérialisé par la création de la Société nationale SENTER. Il s’agit d’une société d’exploitation prestataire de l’État du Sénégal, qui a pour mission de veiller à l’exploitation et la maintenance de l’ouvrage. Et l’Etat du Sénégal a exigé, dans le cadre de ce partenariat, de posséder 34% des actions de la société pour, au-delà, permettre à des Sénégalais d’avoir l’expérience et la compétence dans ce type de gouvernance liée à la mobilité.
En clair, dans ce cas d’espèce, l’Etat n’a pas donné à un concessionnaire comme c’était le cas pour l’autoroute à péage, mais a plutôt cherché un prestataire qui a de l’expérience dans ce domaine dont la SNCF (société française). Depuis sa conception jusqu’à son exploitation, le Train Express Régional a toujours fait l’objet de polémiques de la part des Sénégalais : pouvoir, opposition, société civile spécialisée dans des questions de bonne gouvernance économique et de développement.
En effet, son lancement avait suscité beaucoup de débats sur sa pertinence et sa rentabilité au vu de son coût estimé à plus de 800 milliards F CFA, selon le gouvernement, et plus de 1000 milliards F CFA, selon des chiffres annoncés par les détracteurs du projet de l’Etat. Aujourd’hui, encore, la rentabilité du Ter refait surface. Ce qui amène les Sénégalais à se demander : «A qui appartient réellement le Ter ?» Selon l’Etat, il y a deux niveaux de rentabilité : une rentabilité financière c’est-à- dire un retour sur financement et une rentabilité économique, à savoir l’argent qui a été investi, comment il impacte l’économie et la population. Pour le ministre Abdou Karim Fofana, il s’agit pour l’Etat non pas de faire des bénéfices sur l’exploitation du Ter, mais plutôt de faire en sorte que cette infrastructure puisse avoir un impact sur l’économie dans sa globalité. Et tout autant aussi sociale, au regard de l’impact que le Ter a sur la mobilité à moindre coût des citoyens sénégalais.
Fatou NDIAYE et Ndèye Aminata CISSE
Sud Quotidien