Par Jean Meissa Diop
Ousmane Sonko est navré ; navré d’avoir eu à écrire le livre «Pétrole et gaz au Sénégal : Chronique d'une spoliation» que des journalistes auraient eux-mêmes dû écrire. Malheureusement, les journalistes, selon Sonko, seraient «prisonniers de l’argent et inféodés aux puissances d’argent».
C’est, de nouveau, les hourvaris outrés, indignés de beaucoup de journalistes qui estiment que voilà encore que les attaques d’une célébrité dont le traitement généreux les concernant a beaucoup contribué à leur notoriété. Et la presse n’est pas loin de se voir en manant (NDLR : pauvre paysan en français ancien) de la fable de La Fontaine qu’un serpent souffreteux, mourant même, a manqué reconnaissance en s’attaquant à la famille du bienfaiteur à qui il doit plutôt la vie.
Précision autant pour ceux qui savent que pour ceux qui ignorent, Sonko est cet inspecteur des Impôts et des domaines, leader du parti politique Pastef (Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) radié pour avoir manqué à son obligation (ou alors devoir ?) de réserve.
D’aucuns lui reprochent d’avoir profité de ses fonctions d’alors pour utiliser des informations au service de la notoriété de son parti et de sa stratégie politique. Et c’est parce qu’il a publié des informations mettant en cause le pouvoir de Macky Sall que Sonko a été radié de la Fonction publique.
Je me demande si les journalistes doivent continuer à répondre à ceux qu’ils qualifient d’ingrats ; parce qu’à force de vouloir répondre à tous les ‘’critiques’’, le journaliste risque lui-même de renvoyer l’image d’un narcissique que personne ne doit percevoir que sous l’angle le plus valorisant. Et ceci expliquant cela, le journaliste, de l’étudiant en journalisme au reporter de rédaction, parle de sa profession comme d’un ‘’métier noble’’.
Oh ! S’ils savaient que dans un pays comme la France, le journalisme fait partie des métiers les plus impopulaires, ils revendiqueraient avec modération et circonspection l’image qu’ils croient que le public à d’eux ou si tient toujours la noblesse qui se rattacherait au journalisme.
Pour en revenir à Sonko, je rappellerai un reproche que j’ai eu à lui faire du temps de ses démêlées avec l’Etat, et qui nous ramène aux griefs que Sonko lui-même fait aux journalistes, à savoir qu’il ne lui revenait pas, à lui, d’écrire ce livre. Fort bien ! Voilà qui confirme qu’il y a, dans ce pays, des journalistes dignes des confidences d’un haut fonctionnaire ; lesquelles confidences entreraient dans la rédaction d’un livre fondé sur l’investigation.
Mais cela, à condition que Sonko lui-même accepte d’être un nègre (non pas qui tienne la plume), mais qui fait le sacrifice de rester dans l’anonymat plutôt que d’un jet à l’autre, d’une déclaration fracassante à l’autre, se propulser à la une des journaux et devant les spots des chaînes de télévision.
S’il y a eu le scandale du Watergate, c’est parce qu’un haut chef de la police américaine a préféré rester dans l’anonymat d’un énigmatique Deep Throat que d’être et rester Mark Felt. L’histoire a très peu retenu le nom de ce Felt, mais la vérité et la bonne gouvernance ne l’oublieront jamais. Ousmane Sonko aurait pu et dû être un autre Deep Throat plutôt que de s’exposer de manière désinvolte, jusqu’à y ruiner sa carrière.
Les informations reçues de Sonko par le journaliste auraient pu être traitées, vérifiées et recoupées avec l’éthique, la déontologie et le professionnalisme qui siéent. Et avec moins voire pas du tout de suspicion. En effet, le Sénégal compte encore et toujours des journalistes au profil tracé par les trois vertus rappelées ci-dessus.
J’ai eu à souligner dans cet «Avis d’inexpert» que la presse sénégalaise est capable d’investigation et l’a démontré aujourd’hui et par le passé : le scandale des imputations budgétaires (Le Politicien), la corruption d’élèves leaders grévistes pour casser une grève (Le Cafard libéré), les gros débiteurs (mais insolvables) ayant mené à la ruine des banques d’Etat (Wal Fadjri)… Et tant d’autres, et tant d’autres gros lièvres qui méritaient la carrière commerciale de best-sellers.
On reproche aux journalistes d’écrire trop peu de livres. Ce n’est sans doute pas la matière qui manque (si les détenteurs comme Sonko savent faire confiance aux journalistes d’investigation)… Mais dans le choix fait par le leader du parti Pastef, quel gros «pétrolegate» on a raté !
Source : Enquête via Seneplus