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L'essentiel


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Sanctionner sans laxisme les vrais responsables

EDITORIAL
Mardi 22 Mai 2018

La plupart du temps, la violence qui sévit dans nos universités est sous-tendue par des revendications pécuniaires, alimentaires. Et souvent, hélas, la réponse — violente — de l’Etat à ces revendications débouche sur mort d’hommes. Depuis 1968, la question des bourses revient systématiquement dans les revendications estudiantines comme une malédiction sisyphéenne. De 1981 à 2018, dans la trentaine de grève qui a secoué nos universités, la question des bourses occupait une place centrale dans les revendications. Des bourses qu’il s’agissait tantôt de revaloriser, tantôt de payer à temps. En presque 50 ans, les différents régimes qui se sont succédé ont été incapables d’apporter une solution définitive à cette lancinante question !


Sanctionner sans laxisme les vrais responsables
En mai 1968, la question de la réduction du montant des bourses avait marqué le point de départ d’un cycle de manifestations qui se sont exacerbées le 29 mai 1968. Ce jour-là, la police investît le campus de l’université de Dakar et n’y est pas allée de main morte. Bilan : 1 mort et 69 blessés. Face au déchaînement de violences, le président Léopold Sédar ferme l’université ainsi que les lycées et collèges qui ont suivi le mouvement de grève dans la journée du 29 mai. Le 31 janvier 2001, l’étudiant à l’université Cheikh anta Diop (Ucad) de Dakar Balla gaye, tombe sous les balles d’étudiants libéraux (jamais appréhendés) alors que lui et ses camarades ne faisaient que manifester contre le retard de leurs pécules. Le 14 août 2014, alors que les étudiants manifestent contre un énième retard dans le paiement de leurs bourses, leur camarade Bassirou Faye est atteint mortellement par la balle d’un policier qui, jugé et condamné à 20 ans de réclusion, clame encore son innocence.

Le samedi 06 septembre 2014, suite au meurtre de l'étudiant Bassirou Faye, le président Macky Sall reçoit les 35 délégués des quatre facultés de l’Ucad et des membres du Saes (Syndicat autonome des enseignants du Supérieur). Au cours de l’audience, il promet de prendre des mesures idoines allant dans le sens de juguler le problème du retard dans le paiement des bourses.

Macky Sall avait annoncé le retrait des policiers de l’enceinte de l’Ucad pour un respect des franchises universitaires et, surtout, le paiement à temps des bourses dont le retard avait été à l’origine de la révolte ayant coûté la vie à Bassirou Faye. Parole de président de la République, avant le 05 de chaque mois, ces bourses seraient décentralisées au niveau de toutes les structures bancaires ou financières, au lieu de la seule banque Ecobank.

Malheureusement, ce qui est arrivé ce 15 mai 2018 montre que les décisions présidentielles n’ont été suivies d’effet car un étudiant de l'Université Gaston Berger (UGB) du nom de Mouhamed Fallou Sène, est tombé sous les balles des gendarmes. Ce jour-là, les étudiants qui voulaient appliquer leur traditionnel «nguenté toubab», c'est-à- dire accéder restau sans tickets en cas de retard de paiement de leurs bourses, se sont heurtés à des gendarmes qui ne voulaient rien comprendre. Des gendarmes requis par l’alors recteur pour protéger les intérêts des restaurateurs.

Considérant l’attitude des gendarmes comme un casus belli, les étudiants tenaillés par la faim ont usé de projectiles pour dégager ces préposés à la sécurité de l’espace universitaire et accéder gratuitement au restau-U. Et ce qui devait arriver est arrivé. Mohamed Fallou Sène, étudiant en 2e année à la section Français de l'UFR des Lettres et Sciences Humaines, est mort lors des affrontements, après avoir reçu une balle au niveau du bassin. La tragique nouvelle, s’est répandue par la magie des réseaux sociaux et des NTIC en quelques fractions de secondes comme une trainée de poudre. Aussitôt les universités de Dakar, de Thiès, de Ziguinchor et de Bambey s’embrasent. Les dégâts sont inestimables. Les bureaux du recteur et services administratifs de l’UGB, des bus et autres véhicules de particuliers ont été incendiés, des édifices publics vandalisés, un car de la police brûlé devant l’Ucad, du mobilier urbain saccagé, des commerces pillés… Le Sénégal s’est réveillé sous le choc au lendemain du meurtre de Fallou Sène.

Des lampistes tombent… comme fusibles ?

Résultat immédiat : moins d’une semaine après le meurtre de leur camarade, les étudiants ont obtenu la tête du recteur Baydallaye Kane coupable à leurs yeux d’avoir signé la réquisition permettant aux gendarmes d’intervenir sur le campus social de l’UGB. Autrement dit, de violer les fameuses franchises universitaires. Mais que disent les textes qui garantissent les libertés démocratiques dans les universités ? L’article 1 du titre I de la loi 94-79 du 24 novembre 1994 relative aux franchises et libertés universitaires stipule que « les universités du Sénégal bénéficient du régime des franchises et libertés universitaires qui garantissent aux enseignants, chercheurs et étudiants, dans le respect des lois et règlements et principes objectifs et de tolérance, l’exercice des libertés indispensables au développement de l’enseignement et de la recherche ».

Selon l’article 2, «l’espace universitaire est placé sous le statut d’autonomie de police administrative». Ce qui implique que les forces de l’ordre ne peuvent intervenir dans l’espace universitaire qu’à la demande du recteur ou de son représentant dûment habilité à cet effet. Et avant de demander l’intervention des forces de l’ordre, l’article 4 stipule que «le recteur doit recueillir l’avis de l’assemblée de l’université. Celle-ci peut être réunie en formation restreinte, si les circonstances le commandent».

Et selon l’article 5 «en cas d’urgence, le recteur ou son représentant peut demander l’intervention des forces de l’ordre, sous réserve d’en informer sans délai l’assemblée de l’université». Quant à l’article 6 de la même loi, il précise que «lorsque la vie ou la liberté individuelle des personnes présentes dans l’université ou lorsque la sécurité des biens mis à la disposition de l’université sont en danger, d’une manière grave immédiate, le recteur doit demander l’intervention des forces de l’ordre».

Au vu de ces textes, même si Baydallaye a fait intervenir les forces de l’ordre en ce jour tragique du 15 mai 2018, sa responsabilité dans la mort de Fallou Sène intervient en second degré puisqu’il s’est appuyé indubitablement sur l’un des articles 4, 5 ou 6 pour faire ce que la loi lui enjoint de faire en pareille occurrence. Le commandement de la gendarmerie a-telle suffisamment appréhendé le niveau d’insécurité en déployant ses forces au campus-U au point que l’un de ses éléments s’est trouvé en situation de dégainer son arme pour sauver sa peau ? Le gendarme incriminé était-il réellement en danger de mort quand il flinguait indistinctement Fallou Sène ? L’enquête du procureur de la République de Dakar, qui vient d’hériter du dossier, donnera certainement une réponse à ces interpellations.

Ne pas mêler nos forces de sécurité aux querelles politiciennes

Toutefois une réflexion profonde doit être menée sur la manière d’intervenir de nos policiers et gendarmes qui, nonobstant le travail de titan qu’ils abattent quotidiennement, donnent de plus en plus — hélas ! — l’image de corps où l’on ne sait que blesser ou tuer. A Thiès, un élève a été éborgné lors d’une manifestation contre la grève des professeurs. Ces mêmes professeurs ont été gazés et matés à Ziguinchor alors qu’ils ne faisaient que marcher pacifiquement. Le 19 avril dernier, des anciens premiers ministres et des citoyens ont été arrêtés, humiliés, piétinés parce qu’ils voulaient s’opposer, à juste raison, à une loi jugée scélérate et inconstitutionnelle.
 
Progressivement, les forces de sécurité tracent une ligne Maginot de démarcation entre elles et les populations qu’elles sont censées pourtant protéger et non brutaliser. Les images de violence exercées sur des citoyens qui manifestent pacifiquement, l’usage intempestif de gaz lacrymogènes là où un simple dialogue aurait suffi pour calmer l’ardeur des manifestants… Tout cela contribue à ternir le professionnalisme de nos forces de sécurité. Toutefois, malgré leurs insuffisances ou bavures, ces mêmes forces ne devraient pas être sacrifiées à l’autel des luttes politiciennes en haut lieu ni servir de pantins aux autorités étatiques pour assouvir leurs desiderata comme cela a été tristement le cas le 06 février 1994 où les luttes de positionnement politique entre Ousmane Tanor Dieng et le défunt Djibo Ka ont débouché sur la mort abjecte de six innocents policiers.

En attendant de désigner les vrais fautifs de la situation ayant débouché sur le chaos ce 15 mai, des lampistes, qui ne sont que les maillons faibles de la chaine de responsabilité dans la mort de Fallou Sène, payent des pots qu’ils n’ont pas cassés. Ainsi le président Macky Sall, sur proposition du ministre Mary Teuw Niane, a pris les décrets 2018-965 et 2018-965 du 18 mai 2018 limogeant le recteur Baydallaye Kane et le directeur du Crous, Ibrahima Diaw. Ce alors qu’il nous semble que la responsabilité du ministre de l’enseignement supérieur demeure entière. Du moins, si l’on donne foi au ministre de l’Economie et des Finances dont les services auraient viré l’argent des bourses 15 jours avant le drame.
 
Par conséquent, si sa responsabilité – et non sa culpabilité – est entière dans la mort de l’étudiant en 2e année à la section Français de l'UFR des Lettres et Sciences Humaines, le ministre de l’enseignement supérieur et de la Recherche devrait rendre le tablier après le drame qui a embrasé nos universités. Aujourd'hui le premier ennemi de l'enseignement supérieur, c'est Mary Teuw Niane. On ne peut pas diriger un ministère dans la violence en permanence. Certes, il avait un bon projet réformateur de l’enseignement supérieur à sa nomination, mais son manque de diplomatie a fait obstacle à la mise en application de ce texte refondateur. Quand on ne parvient pas à s'entendre avec les principaux acteurs du monde universitaire que sont les enseignants et les étudiants, on doit, au nom de la stabilité et de l’apaisement dans nos campus, démissionner ou être relevé de ses fonctions ministérielles par le président de la République.

Aujourd’hui, l’on fait état d’une guerre crypto-politicienne entre amadou Bâ et Mary Teuw Niane et qui a débouché sur les violences estudiantines du 15 mai. Si cela est avéré, il incombe au président de la République, dépositaire des suffrages des Sénégalais, garant constitutionnel de la sécurité de nos biens et de nos personnes, de prendre ses responsabilités en punissant, sans calcul politique ni crainte de vote-sanctions, les vrais responsables de ce retard de paiement des bourses estudiantines qui a emporté l’enfant de Patar.

Serigne Saliou Guèye
 

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