relatif à la restitution de biens culturels
à la République du Bénin et à la République du Sénégal
Adopté par la commission avec modifications
L’article 2 autorise la sortie du sabre dit d’El Hadj Omar Tall des collections du musée de l’Armée, par dérogation au principe législatif d’inaliénabilité des collections publiques, et prévoit sa remise à la République du Sénégal.
I. LE SABRE D’EL HADJ OMAR TALL
L’article 2 porte sur la sortie des collections publiques et la restitution du sabre avec fourreau « dit d’El Hadj Omar Tall ».
El Hadj Omar (1797-1864) est le principal protagoniste de la création de l’Empire Toucouleur, ayant existé durant environ cinquante ans au cours du XIXe siècle sur des territoires aujourd’hui maliens, sénégalais et guinéens. Pour ce faire, il a mené une guerre contre les peuples de Ségou et les peuls du Macina et a diffusé l’islam sunnite dans la région, tout en mettant en place une organisation administrative sur l’ensemble du territoire. Il symbolise aussi la résistance à la colonisation, notamment française, comme en témoigne le siège de Médine en 1857 au Mali– bien qu’il se soit soldé par un échec d’El Hadj Omar face aux troupes du général Faidherbe. Son héritage sur le territoire de l’ancien Empire Toucouleur est discuté : tantôt considéré comme un héros national au Sénégal tantôt perçu comme un envahisseur au Mali.
Ce sabre a été récupéré, en 1893, par les troupes françaises du colonel Archinard à l’issue d’une bataille contre Amadou Tall, fils et successeur d’El Hadj Omar. Il fut légué au musée de l’Armée par le colonel Archinard en 1909, en même temps qu’un certain nombre de ses souvenirs des campagnes militaires en Afrique de l’ouest, issus des prises de Ségou, de Djenné et de Bandiagara. Archinard avait affronté Amadou Tall, maître de Ségou depuis la mort de son père. Les archives de l’acquisition comportent la mention « prise de Bandiagara ». C’est probablement à Amadou Tall que le sabre a été confisqué après la prise de Bandiagara.
Le sabre est constitué d’une lame française fabriquée dans une manufacture d’Alsace, caractéristique des officiers d’infanterie. La poignée est en cuir, tandis que le pommeau est composé de bronze. En forme de bec d’oiseau, ce dernier a été gravé et martelé d’une manière caractéristique de la métallurgie toucouleur. Le fourreau, quant à lui, est un assemblage de cuir et de laiton similaire à ceux réalisés pour les armes blanches en Afrique de l’Ouest. Cet ensemble apparaît donc un mélange entre une création africaine et européenne.
Quelle que soit son histoire exacte, ce sabre est porteur d’une valeur symbolique forte, à la fois nationale, pour le Sénégal, et religieuse puisqu’El Hadj Omar Tall était non seulement un chef militaire mais aussi un chef religieux musulman.
Il a été exposé au Sénégal en 1998 à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN) et en 2008, à l’occasion du sommet de l’Organisation de la coopération islamique, au même endroit. Il a été à nouveau prêté à partir du 6 décembre 2018, pour une durée d’un an, au Musée des civilisations noires (MCN) de Dakar, à l’occasion de son inauguration et pour la première année de son ouverture. La convention de prêt consentie par le Musée de l’Armée au Musée des civilisations noires étant arrivée à échéance le 5 décembre 2019, le Musée de l’Armée, compte tenu de la perspective d’une décision de restitution, a mis en œuvre une nouvelle convention pour un dépôt de cinq ans.
La convention passée entre le Sénégal et la France précise la nécessité de présentation du sabre dans les collections permanentes. Le sabre est exposé au MCN dans une vitrine qui est mise à disposition du gouvernement sénégalais par la France afin d’assurer une bonne conservation. La présentation et l’environnement du sabre est à la discrétion des autorités sénégalaises et du directeur du MCN.
II. LA NÉCESSITÉ DE RECOURIR À LA LOI POUR DÉCLASSER LE SABRE DES COLLECTIONS PUBLIQUES
L’article 2 dispose que le sabre avec fourreau « cesse de faire partie » des collections nationales à compter de la date d’entrée en vigueur du projet de loi.
Sur la nécessité de recourir à la loi et le principe d’inaliénabilité des collections publiques, le rapporteur renvoie au commentaire de l’article 1er.
Cette sortie des collections se matérialisera par un arrêté du ministre des Armées de radiation du sabre dit d’El Hadj Omar Tall de l’inventaire du musée de l’Armée.
De même qu’à l’article 1er, la commission a adopté un amendement précisant que cette sortie des collections publiques se fait « par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à l’article L. 451‑5 du code du patrimoine ».
III. LA RESTITUTION DU SABRE, L’OCCASION DE RESSERRER LES LIENS AVEC LE SÉNÉGAL
La deuxième phrase de l’article 2 dispose que « L’autorité administrative dispose, à compter de la même date, d’un délai d’un an au plus pour remettre ces biens à la République du Sénégal ».
Matériellement, le sabre se trouve déjà au Sénégal au sein du MCN, en vertu de la convention de dépôt établie par le musée de l’Armée.
A. LA RESTITUTION DU SABRE, UN GESTE DIPLOMATIQUE ET SYMBOLIQUE
Le Sénégal a adressé à la France une demande officielle le 8 août 2019 pour obtenir restitution des objets « issus du butin de guerre de Ségou et conservés au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, au Musée de l’Armée et au Muséum d’histoire naturelle du Havre ».
La décision de restituer le sabre s’est faite dans le cadre du séminaire intergouvernemental entre la France et le Sénégal. Un tel séminaire est organisé chaque année, alternativement à Paris et à Dakar, rassemblant autant de membres des deux gouvernements, sur les secteurs essentiels. En 2018, le séminaire ne s’est pas tenu, en raison d’élections au Sénégal. En 2019, les gouvernements souhaitaient tous les deux que cette rencontre marque une signification politique particulière. Le gouvernement français a eu l’idée d’accomplir un geste culturel symbolique, d’où la remise du sabre – dont la restitution était une demande du gouvernement sénégalais depuis un certain temps déjà, et dont le prêt au MCN arrivait à échéance au moment du séminaire.
La remise du sabre a eu lieu entre le Premier ministre Édouard Philippe et M. Macky Sall, Président de la République du Sénégal. Il y avait dans la salle de la présidence une ferveur à la fois politique et religieuse. La retransmission en direct par des chaînes de télévision a permis une large diffusion de la cérémonie.
Toutefois, la restitution du sabre est un sujet parmi d’autres d’une relation franco-sénégalaise très dense.
B. LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LA COOPÉRATION CULTURELLE ENTRE LA FRANCE ET LE SÉNÉGAL
La relation franco-sénégalaise est riche et témoigne d’une grande proximité : en deux ans, les deux chefs d’État se sont rencontrés à sept reprises, dont la dernière fois à la fin du mois d’août 2020. La France est le premier fournisseur, investisseur et bailleur du Sénégal et chaque année depuis 2015, le séminaire intergouvernemental – le seul en Afrique subsaharienne – permet d’élaborer des feuilles de route thématiques sur des sujets comme les migrations, la sécurité, la défense ou la culture. Les liens humains sont également étroits, avec plus de 20 000 Français vivant au Sénégal, et une diaspora sénégalaise importante en France.
Le réseau culturel français est très actif dans les principales villes du Sénégal. La relation culturelle franco-sénégalaise est aussi présente à travers des initiatives privées, comme le Musée d’art et d’histoire des cultures d’Afrique de l’Ouest (MAHICAO) créé par M. Réginald Groux, à partir de sa propre collection, dans le Siné Saloum.
Le dépôt de longue durée conclu en décembre 2019 en vue de la restitution du sabre s’est accompagné de la signature d’un accord de coopération entre les ministères de la culture, visant entre autres à renforcer la coopération muséale, y compris dans les domaines de la circulation des œuvres, de la conservation préventive et de la médiation culturelle. Il comprend un projet d’exposition au printemps 2021, « Picasso l’Africain », qui a pour objectif de marier les œuvres prêtées par la France avec des œuvres du Sénégal et un volet autour de la formation, en organisant notamment une circulation des chercheurs, des conservateurs et des étudiants, comprenant un volet « présentiel » et « en ligne ».
Plusieurs personnes auditionnées par le rapporteur ont insisté sur la nécessité de former des conservateurs et des gestionnaires de musées, et d’œuvrer pour que ce type de carrières soit davantage valorisé.
Le bâtiment abritant le Musée des civilisations noires de Dakar a été financé et construit par la Chine, sans contenu préalablement défini. Les Sénégalais ont décidé d’en faire, non pas un musée du Sénégal ou de l’Afrique, mais un musée de l’histoire des civilisations noires, à partir des travaux de Cheikh Anta Diop.
Le nouveau partenariat culturel entre la France et le Sénégal doit être l’occasion de valoriser l’ingénierie muséale française, reconnue partout dans le monde.