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Réponse aux menaces du procureur de la République : Non à l’omerta !

LETTRE DU JOUR
Jeudi 2 Novembre 2017

Réponse aux menaces du procureur de la République : Non à l’omerta !
Le 29 octobre dernier, après que Barthélémy Dias a flétri le mutisme effarant de l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) sur l’affaire Khalifa Sall, et ce, lors de la manifestation des partisans de Khalifa Sall qui exigent sa libération, Serigne Bassirou Guèye, le procureur de la République, a tenus des propos comminatoires à l’égard de tout Sénégalais qui jetterait le discrédit sur les magistrats. «Je ne vais plus permettre à quelqu’un de continuer à jeter le discrédit sur la justice ? C’est terminé» s’est-il fendu atrabilaire ! Ces menaces, le procureur de la République les avait proférées le 3 mars dernier quand les citoyens épris de justice, très choqués de la célérité et de l’arbitraire avec lesquels des partisans de Khalifa Sall ont été embastillés, tiraient à boulets rouge sur l’institution judiciaire. Il déclarait amer : «On injure, on calomnie, on diffame (…) je ne vais plus permettre à qui que ce soit, de quelque bord qu’il puisse se situer, de continuer à invectiver les magistrats, de continuer à atteindre l’honorabilité des magistrats et de continuer à jeter le discrédit sur la justice. C’est terminé. Il faut que cela cesse !»

Ainsi le Procurateur de la République lance son édit pour imposer l’omerta et le premier qui l’enfreindrait risque de subir certainement la géhenne de Rebeuss. Mais comme disait Marx, lorsque l’Histoire se répète, la première fois, c’est une tragédie, la seconde une comédie… Et puisque c’est une comédie, nous allons en rire plutôt que d’en frémir. Ce qui est étonnant, c’est que Serigne Bass ne menace que ceux qui dénoncent l’arbitraire dans le traitement de l’affaire Khalifa Sall. Finalement, l’on se demande si le Procureur, dont la réquisition a contraint le doyen des juges à envoyer le maire de Dakar en prison, n’est pas atteint de schizophrénie chaque fois que l’affaire Khalifa Sall est agitée.

C’est un travail de Sisyphe auquel s’échine Serigne Bass quand il veut poser une muselière et des œillères sur la bouche et les yeux de ces millions de Sénégalais qui ont un mot à dire sur le fonctionnement de leur justice. La liberté d’expression et d’opinion est une liberté constitutionnelle consacrée aux articles 8, 9 et 10 de la Loi fondamentale et ni Serigne Bass, ni son mentor Ismaïla Madior Fall ni le président de la République Macky Sall ne peuvent empêcher les Sénégalais de se prononcer sur la marche bancale de leur Justice.
Au lieu de divertir les gens avec des menaces stériles, le procureur de la République ferait mieux de se prononcer sur ces dossiers multiples de corruption et de détournement de deniers publics des gens du pouvoir qui trônent sur sa table.

Récemment, le procureur de la République a ouvert une enquête sur la mort de la jeune fille Aïcha Diallo à l’hôpital de Pikine. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait avec toutes ces personnes atteintes de cancer qui ont rendu l’âme à cause d’une radiothérapie défectueuse ? Pourquoi ne l’a-t-il fait avec Cheikh Mbengue, directeur général de la CMU, décédé, selon sa famille, d’une opération de la plèvre qui a mal tourné ? Jusqu’à aujourd’hui, on ne nous a pas dit pourquoi celui que l’on nomme l’insulteur public N°1 du président Sall, Assane Diouf, et qui continue impunément sa pratique avec plus de virulence et de vulgarité, n’a jamais été inculpé pour outrage au chef de l’Etat. Pourtant, pour des broutilles, la chanteuse Amy Collé a été envoyée en prison pour quelques semaines. L’avocat El Hadji Amadou Sall, ancien Garde des Sceaux, pour avoir déclaré au cours d’un meeting de soutien à Karim Wade que «Macky Sall ne passerait pas une seule nuit de plus au Palais, si Karim Wade était déclaré coupable le 23 mars» a été envoyé à Rebeuss pour quelques mois avant d’être élargi. Le député Oumar Sarr l’y a remplacé pour divulgation de «fausses nouvelles», selon Serigne Bass.

Et pourquoi Serigne Bass et ses patrons n’ont jamais moufté mot sur la gestion calamiteuse de ces directions et agences épinglées par des rapports depuis 2012 ? 

Dans l’affaire Khalifa Sall, Mbaye Touré, Yatma Diaw, Amadou Moctar Diop, Yaya Bodian, Fatou Traoré ont été envoyés à Rebeuss, alors que Mamadou Oumar Bocoum et Ibrahima Touré, les deux percepteurs, ont été placés seulement sous contrôle judiciaire. Certainement leur appartenance au parti présidentiel leur sert d’immunité.
C’est cette justice injuste à géométrie variable qui révolte les Sénégalais et qui jette le discrédit sur le corps de la magistrature.

La justice est rendue au nom du peuple. Par conséquent, ce peuple a son mot à dire sur le fonctionnement de cette justice. Si aujourd’hui, la justice est au banc des accusés, c’est parce qu’elle devenue une institution à la solde de l’exécutif qui la manipule à sa guise à des fins politiciennes.
Les affaires Karim Wade et Khalifa Sall ont fini par montrer que beaucoup de nos magistrats ont renoncé à l’indépendance que leur garantit l’article 88 de la Constitution pour se soumettre pieds et poings liés à l’autorité du pouvoir exécutif. Aujourd’hui, les Sénégalais sont déçus du fonctionnement de leur justice, unique institution de la République qui doit jouer le rôle de rempart à toute dérive totalitaire.

S’il y a des gens qui jettent le discrédit sur la justice, ce sont bien les magistrats et à commencer par Serigne Bass lui-même qui, au lendemain de la relaxe d’Aïda Ndiongue, a qualifié cette décision «illégale et même de troublante». Sa réaction a d’ailleurs entrainé une vive réaction de l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) qui s’est démarquée de ces propos inconvenants incommodants de Serigne Bass qui ne faisaient remettre en cause l’indépendance d’intrépides juges qui ont livré une sentence juste dans l’affaire Aïda Ndiongue.

Et c’est le magistrat Ibrahima Hamidou Dème, Substitut général à la Cour d’appel de Dakar et Membre du Conseil Supérieur de la Magistrature qui, en démissionnant de ladite structure, a, dans sa lettre de démission publiée le 1er février 2017, souligné le malaise qui règne au sein de la justice sénégalaise. Morceaux choisis :
«L’institution constitutionnelle chargée de garantir l’indépendance de la justice, qui était certes à parfaire, est désormais dépouillée de toutes ses prérogatives. Dans ces conditions, il s’avère impossible, d’exercer ma mission dans toute sa plénitude» ;
«La justice traverse aujourd’hui une crise profonde, étroitement liée au manque de transparence dans le choix des magistrats» ;
«La justice étant rendue au nom du peuple, celui-ci doit également être informé, du discrédit d’une institution constitutionnelle si essentielle pour la survie de notre démocratie».    

Le magistrat Souleymane Teliko, actuel patron de l’UMS, pour avoir dénoncé les consultations abusives à domicile et la gestion désinvolte de la carrière des magistrats, n’a-t-il pas été attrait devant le tribunal du Conseil de discipline du Conseil supérieur de la magistrature par l’alors Garde des Sceaux, Sidiki Kaba, avant de faire machine arrière ?
Tout cela montre que le mal-être de la Justice sénégalaise est arrivé à son paroxysme et il faut profondément l’ausculter.

Aujourd’hui, dans l’imagerie populaire des Sénégalais, le procureur de la République, c’est le Procurateur du Prince parce qu’il n’intervient que pour exécuter ses ordres. Alors que dans son essence, le procureur de la République est le garant des libertés individuelles et des intérêts généraux de la société. Le Parquet, en tant que Ministère public, représente la société qu'il est censé protéger et il veille au respect de l’ordre public en assurant l’application de la loi partout au Sénégal. Son rôle essentiel est de servir au lieu martyriser très souvent des citoyens sur ordre de l’exécutif. Malheureusement, la soumission du Parquet à la puissance exécutive, et ce, depuis le régime de Senghor jusqu’à aujourd’hui, n’offre aux justiciables aucune garantie suffisante d’impartialité. C’est pourquoi, les citoyens, au nom de qui la justice est rendue, ne cessent de plaider pour une rupture du lien ombilical de subordination hiérarchique entre le Parquet et le pouvoir exécutif.

En définitive, Serigne Bass doit nous épargner ses sorties comminatoires itératives qui frisent le ridicule. Depuis belle lurette, la justice de ce pays a perdu sa crédibilité au vu du traitement sélectif et arbitraire de plusieurs dossiers politico-financiers. Alors, que le Procureur de la République se le tienne pour dit : les Sénégalais se prononceront toujours sur leur Justice qui a perdu son crédit à cause de plusieurs décisions iniques et cyniques dictées par la haute hiérarchie de l’exécutif.

Ainsi, il incombe aux magistrats et à eux seuls, avec toutes les garanties d’indépendance dont ils jouissent, de redorer le blason de l’institution judiciaire terni par plusieurs décennies de pratiques aux antipodes d’une Justice juste.

Serigne Saliou Guèye
 

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