C’est cela le Sénégal sous Macky. Il y est interdit de dire ce que l’on pense. Sous le fallacieux prétexte d’une violation de l’obligation de réserve, notion floue que l’administration ne parvient pas à appréhender réellement, le ministre Kaba juge le magistrat Dème et prononce déjà la sentence. Hier, c’est Ousmane Sonko qui est radié arbitrairement des Impôts et domaines parce qu’il a refusé de faire partie de la valetaille d’Amadou Ba qui est dans une opération de maillage du territoire national avec l’implication de certains de ses agents dans la politique. Aujourd’hui, le couperet risque de tomber sur la tête du Substitut Général à la Cour d’appel de Dakar seulement pour avoir dit ce que tout le monde sait déjà.
Il est de notoriété publique que de Senghor jusqu’à Macky Sall passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, la justice sénégalaise traverse une crise de transparence et d’indépendance. Sous le règne du président Diouf, un séminaire de formation continuée regroupant la quasi-totalité des magistrats a été organisé, au mois de juillet 1998, par le Centre de formation judiciaire sur le thème : «Justice et transparence». Cette rencontre avait pour but de procéder à une profonde introspection du corps judiciaire. Les conclusions de ce séminaire avaient été rendues publiques la même année dans un document intitulé : «Recommandations et plan d'action pour une meilleure distribution de la justice».
Le juge au Tribunal d’instance hors classe de Dakar, Babacar Ngom, dans son ouvrage Comment renforcer l’indépendance de la magistrature au Sénégal ? paru en décembre 2015, n’a-t-il pas évoqué la genèse du malaise du pouvoir judiciaire qui «dépend totalement du pouvoir exécutif, ordonnateur de ses dépenses et du pouvoir législatif qui les autorise ». N’a-t-il pas soutenu que «cette dépendance financière de la magistrature place la justice dans une situation de précarité» ?
Le magistrat Ibrahima Hamidou Dème n’a dit rien de nouveau sous le soleil, rien de gravissime par rapport à ses prédécesseurs. Il a su qu’en démocratie, on ne met pas la lumière sous le boisseau. Dénoncer publiquement les tares de notre justice relève d’un acte de courage et non d’une violation du devoir de réserve ni d’une défiance à l’égard de l’autorité du président de la République, président du CSM. Maintenant le menacer de sanctions, c’est user de la Raison d’Etat pour censurer ou bâillonner un citoyen qui a le devoir et le droit de se prononcer sur la crise que traverse sa corporation.
Mais que le pouvoir comprenne qu’on ne peut nullement arrêter la mer avec ses bras ! On aura beau radier tous les fonctionnaires soi-disant trublions, il y en aura toujours d’autres qui, animés d’un esprit républicain et patriotique, dénonceront avec la même acuité les vices qui avilissent l’exercice de leur noble métier.