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L'essentiel


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« RESTER DANS LE DROIT » ( Par Me Cheikh Koureyssi Ba)

TRIBUNE LIBRE
Jeudi 21 Décembre 2023

Me Khoureyssi Ba, avocat d’Ousmane Sonko, a déploré la non exécution des décisions de justice rendues par le Tribunal d’instance de Ziguinchor et le Tribunal de Dakar ordonnant la réinscription du candidat de Pastef dissous pour la présidentielle de 2024 sur les listes électorales. Dans une note, l’avocat fait savoir que : « Le droit à l’exécution des décisions de justice qui est ainsi violé n'est pas nécessairement stipulé en tant que tel dans l’ordonnancement juridique des conventions internationales sur les droits de l’homme, mais dérive logiquement du droit d'accès à un juge ou du droit au recours effectif, qui ont été consacrés par la jurisprudence internationale dont celle de la Cour de Justice de la CEDEAO ».


Encore une fois une décision rendue par un tribunal sénégalais et rétablissant les droits civiques et politiques d’un citoyen est délibérément ignorée, au fallacieux prétexte qu’elle fait l’objet d’un recours alors même que le caractère non suspensif dudit recours est établi.

C’est la deuxième fois en deux mois que ce scénario ahurissant, hallucinant et tout à fait révoltant se reproduit, pour des décisions en dates des 12 Octobre et 12 Décembre 2023, toutes les deux annulant la radiation du fichier électoral du favori de l’élection présidentielle. Après celle rendue par le TI de Ziguinchor la décision du TI de Dakar, connaît le même sort de la part de l’Etat du Sénégal. 

Le droit à l’exécution des décisions de justice qui est ainsi violé n'est pas nécessairement stipulé en tant que tel dans l’ordonnancement juridique des conventions internationales sur les droits de l’homme, mais dérive logiquement du droit d'accès à un juge ou du droit au recours effectif, qui ont été consacrés par la jurisprudence internationale dont celle de la Cour de Justice de la CEDEAO.

« Le droit à l’exécution des décisions judiciaires, droit dérivé du droit à un recours effectif tel que prévu par les directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de l’Union Africaine ».

En effet, quelle serait la portée du droit d’accès à la justice et du droit à un recours effectif si la décision judiciaire de l’instance ne devait jamais être exécutée ?
Il ne s'agit pas seulement d'affirmer le droit d’accès au juge, mais également de s'assurer que les jugements ou arrêts rendus par ce juge seront suivis d'exécution. Si les décisions de justice ne sont pas exécutées, le droit à un tribunal ne serait-il autre qu’une coquille vide? 

La notion de « recours effectif » renvoie bien à l'idée que la saisine du juge doit avoir un résultat pratique, en d’autres termes, être utile. Tout recours doit produire un résultat : celui qui est escompté par le justiciable et qui est avant toute chose la finalité ultime de l’action en justice. Cette finalité est l'exécution de la décision qui en sortira.

C’est pourquoi, cette précision relative à l’exécution de la décision à venir découle clairement des termes du point « c) », paragraphe C, des directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de l’Union Africaine, qui font injonction aux Etats de veiller à ce que les organismes étatiques se conforment entièrement à la décision rendue ou au recours introduit contre eux :

a) « Chaque individu a droit à un recours effectif devant les tribunaux compétents contre des actes attentatoires aux droits garantis par la Constitution, la loi ou la Charte, même lorsque les actes ont été commis par des personnes dans le cadre de leurs fonctions officielles.

b) Le droit à un recours effectif intègre :
1. L’accès à la justice ;
2. La réparation des préjudices subis ;
3. L’accès aux informations concrètes concernant les violations.

c) Chaque Etat a l’obligation de veiller à ce que :
1. Tout individu dont les droits ont été violés, notamment par des personnes agissant dans le cadre de leurs fonctions officielles, dispose d’un recours efficace devant une instance juridictionnelle compétente ;
2. Tout individu qui revendique un droit de recours puisse avoir ce droit déterminé par des autorités compétentes judiciaires, administratives ou législatives ;
3. Tout droit de recours soit mis en œuvre par les autorités compétentes ;
4. Tout organisme étatique, contre lequel un recours a été introduit ou une décision judiciaire a été prise, se conforme entièrement à cette décision ou ce recours.

Or, le Sénégal est un Etat membre de l’Union Africaine et par conséquent est soumis aux directives et principes arrêtés par les organes de cette organisation.
(Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de l’

Par ailleurs, la notion de droit au recours effectif se retrouve également dans le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques adopté le 16 Décembre 1966 et auquel le Sénégal a adhéré. Selon l’article 14 §1er du Pacte,
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil… ».
Outre ce raisonnement fondé sur la stricte lecture des instruments juridiques internationaux sus cités, la jurisprudence internationale admet qu'il existe un droit à l'exécution des décisions judiciaires. Ce droit est rappelé par la Cour Européenne des Droits de l'Homme dans :

(i) L'arrêt « Hornsby contre Grèce », 19 mars 1997, §40: « L'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès» au sens de l'article 6 » (de la Convention européenne des droits de l'homme) ; ce droit « serait illusoire si l'ordre juridique interne d'un Etat contractant permettait qu'une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d'une partie» (même §).

(ii) Arrêt de la même Cour, « Antonetto contre Italie », du 20 juillet 2000, §35 : « La prééminence du droit, l'un des principes fondamentaux d'une société démocratique, est inhérente à l'ensemble des articles de la Convention (…) et implique le devoir de l'Etat ou d'une autorité publique de se plier à un jugement ou un arrêt rendu à leur encontre ».

(iii) Même Cour, arrêt « Romanczyk contre France », 10 novembre 2010, § 55 : « Les Etats ont (…) l'obligation positive de mettre en place un système qui soit effectif en pratique comme en droit et qui assure l'exécution des décisions judiciaires définitives entre personnes privées ».

Ce droit est également admis par la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans son Avis n°9 du 6 octobre 1987 (série A) : « Ne sont pas effectifs les recours qui, au regard des circonstances générales prévalant dans un pays ou au regard des circonstances particulières d'une affaire, s'avèrent illusoires. Cela peut être le cas, par exemple, quand la pratique a démontré son inutilité : soit parce que le pouvoir judiciaire ne dispose pas de l'indépendance nécessaire pour statuer en toute impartialité ou parce que ses moyens sont insuffisants pour exécuter ses décisions " quand n'importe quel type de situation engendre un déni de justice comme cela se produit en cas de retard injustifié d'une décision " ou quand, pour n'importe quel type de raisons, on ne permet pas à la présumée victime d'accéder au recours judiciaire ».

Il en est de même dans l’Arrêt « Velasquez Rodriguez » du 29 juillet 1988, §66: le droit au « recours effectif » doit tendre à « produire le résultat escompté ».

Au demeurant, la Cour de Justice de la CEDEAO a consacré ce droit à l'exécution des décisions de justice, au moins de manière implicite à plusieurs reprises, dans les arrêts suivants :

(i) Arrêt du 8 février 2011, « Sidi Amar Ibrahim et autres contre République du Niger » §44 et 45 ;
(ii) Arrêt du 23 avril 2015, « Azali Abia et Anor contre République du Bénin » ; 
(iii) Arrêt du 31 janvier 2012, « Mme Aziablevi Yovo et 31 autres contre SociétéTogotelecom et Etat Togolais » ;
(iv) Arrêt du 3 juillet 2013, « Aziagbede Kokou et 33 autres, Atsou Komlavi et 4 autres, Tomekpe A Lanou et 29 autres contre République togolaise » ;
(v) Arrêt du 28 janvier 2014, « Monsieur Alimu Akeen contre République Fédérale du Nigeria ».

Il est grand temps de rappeler à cet Etat du Sénégal qui prend goût à la récidive cette obligation élémentaire, dont l’inexécution est constitutive d’une violation des droits de l’homme, le droit à un procès équitable, comme toutes les juridictions internationales comparables l’ont proclamé, et comme les jurisprudences des Nations Unies, d’Europe, d’Amérique et d’Afrique – à travers la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples – l’ont déclaré urbi et orbi.
L’inertie persistante de l’Etat du Sénégal conduit à une situation objective de déni des droits de ses citoyens.

Tout citoyen sénégalais est donc fondé à soulever le moyen de la violation du droit à l'exécution des décisions de justice.
 
Le droit doit être dit afin de ramener cet État du Sénégal à la raison car depuis quelque temps il se fait remarquer par une posture systématiquement méprisante à l’égard des décisions de justice, symptomatique d’une tendance maladive à la commission de voies de fait internationalement illicites.

On rappelle qu’il y a quelques temps la Cour de Justice de la CEDEAO lui avait demandé de revoir son système de parrainages aux élections, et qu’à ce jour, rien, absolument rien n’a été fait dans ce sens. Il faut donc, à l’occasion du traitement de la présente affaire, toujours relative à ces parrainages, que le Conseil Constitutionnel, dûment informé, entre enfin dans la danse et fasse peut-être sa mue pour se reconvertir une fois n’étant pas coutume en Cour Constitutionnelle pour dire son fait à cet État qui n’a attendu personne pour s’installer durablement dans le défi permanent à l’esprit des lois ou le rappeler solennellement à l’ordre. 

À tout le moins les 7 Sages ne pourront pas exciper de l’ignorance des errements et déviances actuels de l’Etat du Sénégal qui ne visent à titre principal qu’à les pousser dans le dos pour les faire tomber dans le piège grossier et gros de risques du rejet de la candidature du citoyen Ousmane SONKO. 

Ils avaient eu les reins assez solides pour résister et rendre en date du 21 Mai 2022 la fameuse Décision 8/ E2022 dans l’affaire Yewwi Askan Wi c/ Ministère de l’Intérieur, 
-  en jugeant dans le Considérant 2 de cette Décision que le refus à l’accès à la Commission des dossiers de candidatures opposé au mandataire de YAW était illégal, 
-  et en estimant en outre au Considérant 10 que la présence du mandataire de YAW sur les lieux de la Commission était une preuve qu’il avait respecté les délais impartis. 

Rester dans le Droit, cet endroit est plus sûr que la jungle.

Par Me  Cheikh Koureyssi Ba, Avocat et membre du Collectif de la Défense de Ousmane SONKO


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