Pourquoi le code a-t-il mis autant de temps à être voté ?
Le code de la presse qui a été voté cette semaine avait été amorcé sous Abdoulaye Wade, dès son arrivée au pouvoir en 2000. En 2009, une vaste consultation avait été réalisée auprès des professionnels du secteur. Un texte avait été proposé, en septembre 2009. Depuis, plus rien ou presque n’avait avancé.
Un point, en particulier, bloquait les discussions : les mesures de privation de liberté spécifiques pour les délits de presse. Les professionnels des médias en souhaitaient la suppression – et donc un recours uniquement au droit commun en cas de délit constaté – tandis que les gouvernements successifs, sous Abdoulaye Wade comme sous Macky Sall, se sont toujours refusé à retirer ces dispositions.
Finalement, le texte voté ce mardi 20 juin par l’Assemblée nationale comporte bien un barème de peines de prison pour les délits spécifiques au secteur de la presse et des médias (voir ci-dessous « L’arsenal répressif renforcé pour les délits de presse »).
Un statut de journaliste est créé
Une carte d’identité des journalistes sera créée. Elle sera attribuée par une commission réunissant des professionnels du secteur (journalistes, syndicalistes, patrons de médias écrits – notamment en ligne – et audiovisuels) et des représentants des ministères de la Justice, de la Communication et du travail. La commission sera présidée par un représentant des médias.
Ne pourront désormais prétendre au titre de « journalistes » que les personnes ayant obtenu un diplôme dans l’une des écoles de journalismes reconnues par l’État. Une dérogation existe pour ceux qui prennent les chemins de traverse, mais il leur faudra tout de même être détenteur d’un diplôme universitaire et avoir un minimum de deux ans de stage dans une rédaction.
« Les critères peuvent sans doute être contestables, mais dans le contexte sénégalais, c’est une avancée, car trop de gens se présentaient comme des journalistes alors qu’ils ne l’étaient pas », juge Mamadou Ibra Kane, président de la Coordination des associations de presse (CAP). Pour lui, cet encadrement du statut de journaliste « va permettre de réellement assainir et professionnaliser le secteur ».
Un accès au crédit facilité
C’est l’une des mesures les plus saluées de ce nouveau code de la presse. Un fonds de soutien à la presse va être mis en place. Mais là où, auparavant, il s’agissait d’un simple fonds de dotation, le nouveau système permettra aux entreprises de presse de contracter des prêts à des taux préférentiels. Une véritable bouffée d’oxygène en perspective, en particulier pour la presse écrite privée.
Reste à savoir quel sera la puissance financière de ce nouvel outil de soutien à la presse. Actuellement, le fonds de dotation des aides à la presse est de 700 millions de francs CFA. La Coordination des associations de presse estime qu’il en faudrait 10 milliards. « Il faut que se mette en place une conférence des bailleurs de fonds, comme en Côte d’Ivoire, pour que l’on ai une réelle dotation », estime président de la Coordination des associations de presse (CAP).
Encadrement des médias en ligne
Le Sénégal compte plus de 200 sites se présentant comme des sites d’information en ligne. Beaucoup se contentent souvent de reprendre les papiers d’autres médias – sans les citer – ou participent de la diffusion de « fake news » et autres rumeurs. Le débat a fait rage sur ces questions dans les mois qui ont précédé le passage du code devant l’Assemblée. Finalement, les sites d’informations seront désormais très encadrés. Pour prétendre au titre de « site d’information en ligne », il faudra une rédaction minimale de trois personnes. Le directeur de la publication devra justifier d’une expérience dans la presse d’au moins 10 ans et le rédacteur en chef d’une expérience minimale de sept ans.
« L’ancien code ne prenait absolument pas en compte les réalités de la presse en ligne. C’est donc une bonne chose que les sites d’informations en ligne soient encadrés », reconnaît Mountaga Cissé, porte-parole de l’Association de la presse en ligne Sénégal (Appel). Mais Mountaga Cissé s’interroge sur la mise en œuvre de la loi. « Nous avons 55 membres au sein de l’Appel, et très peu répondent aux critères. Nous avons demandé à ce que la loi ne soit pas rétroactive, que ces règles ne s’appliquent pas aux acteurs déjà présents, mais cela n’a pas été retenu », explique-t-il, espérant par ailleurs parvenir à « faire évoluer les choses dans les décrets d’application ».
Renforcement de l’arsenal répressif
« Le journaliste et le technicien des médias ont droit au libre accès à toutes les sources d’information et d’enquêter sans entraves sur tous les faits d’intérêts public, sous réserve du respect du « secret-défense », du secret de l’enquête et de l’instruction et de la réglementation applicable à certains sites ou structures. » C’est cet article 5 qui cristallise une bonne partie des craintes des journalistes sénégalais. « La liberté d’action du journaliste est en fait très limitée par cette notion de « secret-défense. C’est une notion fourre-tout grâce à laquelle un journaliste pourrait être poursuivi pour tout et n’importe quoi. Il y a un risque de dérive liberticide », juge Mamadou Ibra Kane, président de la Coordination des associations de presse (CAP).
Autre disposition très critiquée : la possibilité de fermeture administrative sans contrôle du juge. Jusqu’à maintenant, l’autorité administrative peut décider de fermer ou suspendre un média, pour des raisons de troubles à l’ordre public par exemple, mais l’avis d’un juge est indispensable au-delà de 48 heures. Dans le nouveau code, la validation de la décision administrative par un juge n’est plus obligatoire. Cela constitue un « risque énorme de dérives », selon Mamadou Ibra Kane. « On ne peut pas imaginer possible qu’un média puisse être fermé sans l’intervention d’un juge, c’est impossible ! », vitupère en écho Mountaga Cissé, porte-parole de l’Association de la presse en ligne.
Par ailleurs, alors que les professionnels réclamaient le retrait des peines de prison spécifiques au droit de la presse, demandant de s’en tenir au droit commun, c’est l’inverse qui s’est produit. Et les peines prévues pour les délits de presse ont de plus été aggravées. « On passe d’une peine maximale de trois ans de prison auparavant à cinq ans de prison ferme dans le nouveau code. Et pour les amendes, le maximum passe de 5 millions de francs CFA à 30 millions », détaille Mamadou Ibra Kane. « C’est une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête de tous les journalistes et de toutes les entreprises du secteur », dénonce le président de la Coordination des associations de presse.
Le « journalisme-citoyen », grand absent du code de la presse
Le principe de la protection des sources est inscrit dans le nouveau code de la presse. Une véritable avancée. Mais l’encadrement strict de l’exercice de la profession de journaliste laisse un angle-mort : la question du journalisme-citoyen et des lanceurs d’alertes. Au Sénégal, la communauté des blogueurs est extrêmement active, à l’image des Africtivistes, cette « ligue des cyber-activistes » crée à Dakar. Charles Sanchez, coordinateur de la Plateforme de protection des lanceurs d’alertes en Afrique, considère même que « ce code ne prend pas du tout en compte l’évolution des médias, et en particulier des nouveaux médias : toutes les recommandations, des Nations unies notamment, vont dans le sens d’un élargissement des droits des journalistes-citoyens. Là, on assiste à l’inverse. C’est anachronique ».
Source Jeune Afrique