Il était une fois, le royaume des animaux, de tous les animaux, des plus méchants aux plus généreux, des plus intelligents aux plus cupides, des plus puissants aux plus fragiles, des plus bavards aux plus fourbes, des plus naïfs aux plus discrets, des plus beaux aux plus effroyables.
De la forêt à la savane, des bosquets aux refuges urbains, des plaines aux sommets des montagnes, des lacs aux océans, sous terre et dans les airs, les animaux touchés, par la lumière divine, décidèrent de se réunir, de s’unir, d’élire enfin leur roi.
Ce ne fut pas facile d’organiser ce grand rassemblement. Le miracle inattendu, inespéré, insoupçonné, se produisit. Tous les animaux se rassemblèrent autour du baobab géant qui trônait au milieu de la plane savane herbacée.
Les péroquets avaient très tôt occupé le beau feuillage de l’arbre tutélaire. Il fut très difficile de les faire taire.
La girafe fine, élégante, calme et sereine, elle qui surplombait tous les animaux, fut élue à l’unanimité présidente de séance.
Elle ne perdit pas de temps car elle pressentait que le miracle n’allait pas durer. Elle demanda aux candidats de se déclarer.
Les perroquets reprirent leur jeu favori. Ils parlaient en fait pour parler. Ils étaient innarêtables. Menus en face des grands oiseaux, sans moyen physique pour s’imposer, les pérroquets, par la parole osée, déplacée et assassine, étaient craints même par les plus grands prédateurs.
La rumeur circulait que leurs paroles pouvaient faire mourir, à petit feu, l’arbre le plus resplendissant.
La girafe bougea légèrement sa magnifique petite tête avec ses yeux de chimère. Sa beauté et la délicatesse du mouvement imposèrent le silence qu’aucune autorité animale n’aurait pu dicter.
Le lion, drapé de sa crinière qui impose allégeance, fut le premier à déclarer sa candidature. Sa force, sa puissance, la terreur qu’il dégageait, les peurs qu’insufflaient ses rugissements étaient son atout. Car il fallait bien que l’Autorité imposât l’ordre et la discipline.
Les perroquets firent comprendre à l’assistance terrorisée et hagarde, par des paroles à peine voilées, qu’élire le lion serait une catastrophe. En effet, dirent-ils, le lion est tellement puissant que s’il détenait le pouvoir, il ne s’en remettrait qu’à Dieu pour exercer ses prérogatives.
Cette attitude n’arrangerait pas la majorité des animaux. En effet la plupart d’entre eux avaient quelque chose à se reprocher publiquement ou dans leurs intimes consciences.
La girafe toujours majestueuse demanda une nouvelle candidature.
Le lièvre debout sur ses deux pattes arrières, ses deux longues oreilles dressées, ses deux gros yeux aux aguets, annonça sa candidature.
Des animaux commençaient à exprimer leur approbation quand les perroquets reprirent la parole. Ils assommèrent l’assistance incrédule en démontrant qu’un roi intelligent serait une calamité pour le peuple animal.
En effet, dirent-ils, le lièvre, grâce à son intelligence hors du commun, allait convaincre les animaux les plus puissants pour imposer sa propre loi.
Aucun animal ne pourra désobéir. Même la chèvre naturellement indisciplinée devra apprendre stoïquement à se discipliner.
Les perroquets transformèrent en un laps de temps cette sympathie naissante en faveur du lièvre en une antipathie viscérale inexpugnable.
Le lièvre faillit d’ailleurs être lynché par les animaux.
L’intelligence et la connaissance constituent une catastrophe pour le peuple animal lorsque le roi possède ces attributs.
La girafe toujours superbe, malgré sa décontenance de voir deux candidats, à ses yeux les meilleurs pour la communauté animale, rejetés, demanda une nouvelle et dernière candidature.
Alors, dans son pelage sale, titubant comme un ivrogne, la voix nasillarde, sentant l’odeur fétide des cadavres, se leva l’hyène. Elle annonça sa candidature dans un brouhaha assourdissant de réprobation et de mépris.
Il y eut ensuite un silence de mort.
Brusquement retentirent les voix des perroquets.
Les animaux prêtèrent beaucoup d’attention à cette nouvelle prise de parole de perroquets.
Les perroquets, avec beaucoup d’aplomb et de suffisance, dirent à la communauté animale que l’hyène fourbe était à leur image, que l’hyène sans parole d’honneur ne pouvait pas être exigeante sur les larcins des singes, les pratiques incestueuses de certains mammifères, la violence des tigres, les effroyables actes de torture des crocodiles, les ravages des éléphants, la terreur des lions, etc.
Les perroquets s’appliquèrent tellement bien à défendre la candidature de l’hyène qu’ils n’hésitèrent pas à annoncer aux ruminants, la tribu la plus nombreuse, que désormais, ils ne seront plus pourchassés par les animaux carnivores.
L’onde négative en défaveur de l’hyène s’inversait.
Une clameur presqu’unanime s’éleva, en même temps que se levait, dans une standing ovation, toute la communauté animale.
L‘Hyène fut ainsi plébiscitée roi des animaux.
La girafe, les larmes aux yeux, sans conviction, annonça, malgré tout, officiellement, l’élection de l’hyène.
Surprise, remise de ses émotions, l’hyène, en s’installant sur le trône, brisa le cou de la girafe qui passa de vie à trépas.
Les ruminants comprirent trop tard que le nouveau règne allait être pire que tous les autres règnes.
Les animaux prédateurs continuèrent à appliquer la loi du plus fort.
L’hyène laissait faire car dans tous les cas les restes des carcasses lui revenaient. Seuls la concurrençaient les charognards qu’elle était capable d’éloigner de ses prises macabres.
Les perroquets, toujours bavards, se dispersèrent. Une grande partie rejoignit la communauté humaine.
Les animaux n’organisèrent plus d’élections.
Ils les abandonnèrent aux êtres humains plus arrogants.
Ainsi se termine le conte.
Lèeb tabbina gèec.
Je vous souhaite une excellente journée dominicale sous la protection divine.
Dakar, dimanche 25 décembre 2022
Mary Teuw Niane