Les Saint-Louisiens se sont réveillés le 05 septembre 2017 pour répandre dans le monde entier une nouvelle stupéfiante : la statue de Faidherbe a été déboulonnée dans la nuit, par les intempéries. Bien entendu, la veille d’un 05 septembre, soit 102 ans après la fameuse prière des Deux Rakas qu’on célèbre, ça ne pouvait pas être un hasard.
Il n’en faut évidemment pas plus pour que la fibre patriotique et l’orgueil national se réveillent afin de restaurer la dignité des nègres, bafouée depuis tant de siècles. Des quatre coins de la « Facebooksphère », ça prie pour que plus jamais Faidherbe ne se dresse fièrement par-dessus les têtes crépues.
Moi, bien au contraire, mon avis est qu’il faut l’y remettre au plus vite. Ce serait bien trop facile, pour réécrire l’histoire, de réduire la réponse des descendants des colonisés à un caprice des intempéries. Certes, l’orgueil nous commande fortement d’exhiber une capacité d’indignation surfaite. Ce genre de foucade, opportuniste, permet d’oublier quelque temps combien nous sommes englués dans une servitude volontairement incurable.
Déboulonner la statue de Faidherbe fera autant d’effets que les réformes de l’Ecole nouvelle des années Quatre-Vingts, débaptiser Saint-Louis ou même le Sénégal (qui est une appellation française), remplacer Lamine Guèye par Van Vollenhoven, changer l’hymne national ou le drapeau tricolore frappé de l’étoile verte, brûler un billet de cinq mille francs Cfa…
Faidherbe fait partie de notre histoire. Regarder sa propre face hideuse dans un miroir est salutaire.
Les vraies questions sont ailleurs, leurs solutions également. La France ne nous a rien fait. C’est juste que nous sommes inaptes à la souveraineté, rétifs à la responsabilité. Lorsqu’un peuple décide de ne jamais connaître la servitude, l’occupation, l’asservissement, tout le monde y passe, jusqu’au dernier nourrisson qui aura tété le sens de l’honneur depuis le sein maternel. Un proverbe de chez nous le dit bien : « lorsque vient l’heure de la mort, les survivants n’ont plus d’honneur ». Or, nous sommes les survivants de la honte.
Nous autres, Sénégalais, naviguons entre l’Occident épicurien et l’Orient répressif avec un plaisir masochiste. Le syndrome de Stockholm est notre Adn. Ne pas l’admettre, c’est soigner un palu avec du mercurochrome.
Le hasard est-il un sacré vicieux ? Au moment où l’on se félicite de l’exploit du vent et de la pluie qui ont tombé Faidherbe, il est annoncé dans l’indifférence générale qu’un des plus performants groupes scolaires du pays, implanté par des Turcs, vient de passer aux mains de Français. On s’en fout, on réfère construire des mosquées à coups de milliards chaque fois qu’un espace sera disponible. Les écoles et les hôpitaux pourront attendre que les Français, les Américains ou les Marocains daignent nous en offrir.
La vérité est que le Sénégal est un pays ouvert à tous les vents, toutes les influences et qui vit de sa culture viscérale de la « sur-obéissance ». D’ailleurs, en société, l’animal qui occupe la plus grande place dans nos vies est sans doute le mouton. Nous en avons le réflexe du troupeau. N’importe quel afroclown mauvais coucheur pourra nous guider dans le précipice pour peu qu’il maîtrise l’art de culpabiliser la négraille. Pourquoi souriez-vous ?