Il faut saluer la sortie du Procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye pour informer l’opinion sur les différentes affaires judiciaires qui occupent les devants de l’actualité. D’ailleurs, il devrait en être ainsi le plus souvent. Ce qui est souhaitable, mais aussi et surtout parce qu’un tel exercice répond à un devoir constitutionnel : celui d’informer l’opinion. Il a ainsi choisi d’apporter des éclairages sur six dossiers.
De l’affaire Barthélémy Dias à celle de la Caisse d’avance qui a valu au maire de Dakar d’être convoqué à la Division des investigations criminelles (DIC) en passant par la condamnation de Bamba Fall, maire de la Médina et le divorce entre l’ancien Premier ministre, Abdoul Mbaye et son ex-épouse.
Rappelons d’emblée, que la fonction de procureur de la République revient au magistrat qui dirige les services du «Parquet». Au pénal, il conduit l'action publique et, au civil, il dispose d'un droit d'action et d'intervention pour la défense de l'ordre public. Toutefois, les personnes qu’il poursuit, sont toutes présumées innocentes jusqu’à preuve du contraire.
En revanche, ce qu’il faut déplorer, c’est l’attitude du procureur notamment au niveau de sa communication. Le ton a été menaçant. Le verbe sec. «Je ne vais plus permettre à qui que ce soit, de quel que bord qu’il puisse se situer, de continuer à invectiver les magistrats, de continuer à atteindre l’honorabilité des magistrats et de continuer à jeter le discrédit sur la justice. C’est terminé ! Il faut que cela cesse !», a-t-il martelé en conférence de presse. Serigne Bassirou Guèye semble tout de même oublier que ses compétences sont limitées dans l’espace. Juste dans la région de Dakar. L’Union des magistrats du Sénégal (UMS) aurait tout au plus pu se prévaloir d’une telle compétence pour défendre sa corporation.
Mieux, n’est-ce pas le même procureur de la République qui s’était autorisé à des critiques sur une décision rendue par ses collègues juges dans l’affaire d’Aïda Ndiongue ? Serigne Bassirou Guèye avait qualifié la décision de relaxe de l’ex-sénatrice libérale et Cie, «d’illégale et même troublante». La réplique de l’UMS ne s’était pas faite attendre. Dans un communiqué, elle avait estimé que de tels propos tenus dans la presse par le procureur portent atteinte à «l’honorabilité des magistrats» et qu’ils constituent «un coup dur porté à la Magistrature». De même qu’ils jettent également «le discrédit sur l’institution judiciaire» et violent «la séparation des pouvoirs». L’UMS dira par la même occasion se désolidariser de tout magistrat qui «viole délibérément et de mauvaise foi son serment».
Par conséquent, si c’est le Procureur de la République qui peut se permettre de douter d’une décision de justice que dire alors des hommes politiques susmentionnés ?
Mieux, dans ces affaires, tout Sénégalais épris de justice ne peut pas ne pas s’interroger sur le timing et la volonté manifeste du régime de «casser» de l’opposant. D’abord par le caractère sélectif des dossiers transmis à la justice. La cour des Comptes, l’Inspection générale de l’Etat, l’ARMP tout comme l’OFNAC ont éclaboussé dans leur rapport la gestion de certaines personnalités qui occupent des directions. Notamment le COUD mais aussi la POSTE. Sans occulter les autres pontes de l’ancien régime qui ont tourné casaque pour éviter Dame justice. Visiblement, il y a du deux poids, deux mesures dans le traitement des dossiers judiciaires. Ce, avec les différents régimes qui se sont succédé à la tête de l’Etat du Sénégal.
Le chef de l’Etat, lui-même a avoué avoir mis certains dossiers sous le coude. «Il n'y a pas d'acharnement, sur qui que ce soit. Vous seriez surpris par le nombre de dossiers auxquels je n'ai pas donné suite», avait déclaré Macky Sall dans Jeune Afrique, à propos de la traque des biens supposés mal acquis.
Ce sont de tels faits qui irritent nombre de Sénégalais qui ne croient plus à l’indépendance de leur justice pourtant incarnée par de hauts magistrats, pétris de talent.
Une autre erreur de communication dans la sortie du Procureur de la République ; - qui, en réalité n’apporte pas grand chose, parce que tout ce qu’il a dit ou presque, était déjà publié dans la presse ; - c’est la violation des secrets de l’instruction. Plusieurs spécialistes de droit ont admis que Serigne Bassirou Guèye est allé trop loin dans sa volonté d’informer l’opinion. Alors même que le dossier vient juste d’être transmis au doyen des juges, sans qu’on ne sache si les faits qui sont reprochés par exemple à Khalifa Sall sont avérés, s’il y a détournement de fonds, s’il y a enrichissement illicite, les commentaires de M. Guèye, le condamnent d’avance.
Que dire aussi du timing ? Là, également, l’opportunité des poursuites pose problème. Pour le cas de Barthélémy Dias, dans une démocratie comme le Sénégal, chantée et jalousée partout en Afrique, le maire de Mermoz Sacré Cœur n’aurait jamais dû être inscrit sur la liste de la coalition Benno Bokk Yaakaar alors qu’il était accusé du meurtre de Ndiaga Diouf. Pis, il a fallu attendre six ans et qu’il ne soit plus en odeur de sainteté avec Ousmane Tanor Dieng qui soutient le président Sall pour qu’on dépoussière son dossier.
Quid de la caisse d’avance ? Sans disculper Ababacar Khalifa Sall (en attendant le verdict de la justice), il est aussi légitime de se poser la question de savoir s’il n’y a pas une volonté de «tuer» un potentiel adversaire. Il est clairement établi que la position politique du maire de Dakar tranche désormais d’avec celle du secrétaire général du PS, Ousmane Tanor Dieng, Président du Haut Conseil des Collectivités territoriales (HCCT), partisan d’une liste commune de Bennoo Bokk Yaakaar aux élections législatives de juillet prochain. Or, Khalifa Sall lui, a clairement affiché sa volonté de se démarquer d’une telle perspective et envisage de présenter une liste dissidente. Mieux encore, il se dit déterminé à solliciter le suffrage des Sénégalais à l’élection présidentielle de 2019 contre le chef de l’Etat Macky Sall, candidat à un second mandat. Ceci explique-t-il cela ? En attendant le verdict, les commentaires vont aller bon train.