Malheureusement adossé à une certaine culture rétrograde de gestion du pouvoir au Sénégal, le Président Sall voit ses promesses tournées en dérision par une kyrielle de reniements, de dénégations, de rétractations et du je-m’en-foutisme liés à la conservation du pouvoir et au culte de l’argent. Tout cela donne l’impression de se retrouver face à un président arrogant, méprisant, coupé de ses engagements et indifférent à ce que pense l’opinion publique de ses exactions. Parmi ces exactions, on peut en citer l’influence voire la forte prégnance de son épouse dans certaines nominations à des postes importants, l’exaltation de la transhumance et aussi le primat de la famille sur le parti et la patrie.
Coutumièrement, les Sénégalais, après chaque remaniement, s’intéressent au pouvoir d’influence de l’épouse du Président Sall, qui, progressivement, devient manifeste. En atteste le cas de certains ministres qui, nonobstant leur incompétence, sont maintenus dans l’attelage gouvernemental. D’autres ont fait leur entrée grâce au pouvoir de la Première Dame comme certains malheureux qui n’ont pas été reconduit dans Dionne II à cause de sa désapprobation.
Mais ce à quoi les Sénégalais s’attendaient le moins au lendemain de ce remaniement, c’est la nomination d’Aliou Sall à la tête de la Caisse de dépôts et de consignations par son frère de président. Même si le choix du maire de Guédiawaye à la tête de la CDC ne dépare pas de certaines pratiques de nos hommes politiques qui priorisent la descendance au grand dam de la compétence, cependant il choque parce qu’il pue les miasmes d’un népotisme qui détonne avec les principes éthiques de nomination en République.
Quand, à la veille des législatives, le président Sall avait biffé le nom de frère de la liste des investis pour éviter que les Sénégalais crient au scandale, tout le monde avait apprécié cette décision qui cadre avec l’esprit anti-cumulard en République. Mais ce n’était que pour endormir les Sénégalais et éviter la bronca qu’aurait suscité une telle investiture avant de les assommer avec une nomination de son frère à un poste qui représente une véritable manne financière. Et un tel poste stratégique peut contribuer à appuyer financièrement la campagne du président sortant et peser sur l’invalidation de certaines candidatures qui font peur.
Ensuite le choix du frangin met à nu l’ampleur du hiatus avec les propres engagements du Président. Pour rappel, dans le magazine Jeune Afrique du 28 décembre 2016, en face de Marwane Ben Yahmed Macky Sall disait : «Je ne mêle jamais ma famille à la gestion du pays. Si mon frère a été amené à être cité dans des affaires de sociétés privées, c’est parce je lui avais justement indiqué très clairement, dès ma prise de fonctions, qu’il ne bénéficierait jamais de ma part d’un décret de nomination, notamment en raison de l’histoire récente du Sénégal et parce que je ne voulais pas être accusé de népotisme. Je lui avais même conseillé, à l’époque, d’essayer de voir dans le privé.» Et lors de de sa campagne de 2012, le candidat Sall avait promis que, sous son règne, le Sénégal serait «une République exemplaire avec une gouvernance sobre et vertueuse».
Certes, la Constitution confère au président de la République le pouvoir discrétionnaire de nommer qui il veut aux emplois civils et militaires mais toute action en République doit reposer sur des principes moraux. L’histoire enseigne que Caligula, cet empereur romain, nomma son cheval Incitatus consul. Cette désignation était le symbole de la superpuissance et de l’absolutisme de Caligula. Certes, Macky Sall n'est pas Caligula, et Aliou Sall n’est pas Incitatus, mais la morale qui a sous-tendu à la nomination du canasson demeure la même que celle du frangin présidentiel.
Avec la nomination du maire de Guédiawaye, administrateur du PNDL, de l’ADL et de l’ADM à la CDC, on assiste à une nouvelle forme nouvelle de monarchie républicaine où le népotisme vient s'ajouter à l'affairisme. La lettre constitutionnelle permet au président de nommer son frère à n’importe quel poste de responsabilité certes mais l’esprit de la Loi fondamentale et la morale républicaine le récusent.
Tout cela montre que le chef de l’Etat n’observe aucune décence dans ses nominations. Et tout cela est absolument contraire aux principes de la République. Or, la République, c’est la reconnaissance des places de chacun en fonction de ses mérites propres, pas en fonction du nom qu’il porte. Aliou Sall n’est pas le plus instruit ni le plus compétent du Sénégal au point de cumuler le poste de maire, d’administrateur du PNDL, de l’ADM, de l’ADL et de directeur de la CDC.
Avec le président Sall, les passe-droits, les privilèges de naissance et communautaristes, le népotisme, le copinage, la patrimonialisation sont devenus le quotidien imposé aux Sénégalais. Sous le régime du président Wade, les pans solides sur lesquels notre pays s'était construit, en termes de principes, de valeurs, d’éthique, de décence, se sont effrités et sous l’ère de son successeur, ils se sont affaissés. Jamais, dans l’histoire du Sénégal, les frontières entre la politique et la morale républicaine n’avaient aussi été aussi poreuses.
Aujourd’hui le président Sall risque de donner de la graine à moudre aux Sénégalais et une doléance de campagne aux opposants, à la société civile qui répugnent l’immixtion de la famille présidentielle dans les affaires de l’Etat. Si Abdoulaye Wade a perdu en 2012, ce n’est pas littéralement à cause du 3e mandat mais surtout à la forte présence de sa famille au sein l’Etat. Macky Sall, qui a eu à combattre de telles pratiques, en abuse dictatorialement aujourd’hui. Isolé dans sa tour d’ivoire, aveuglé par la volonté de ne servir que sa famille et belle-famille, il ne perçoit plus les conséquences désastreuses qu’entraineraient de tels abus. Qu’il sache que Caligula a mal fini. Mais l’histoire ne dit pas ce qui est arrivé à son cheval Incitatus.
Serigne Saliou Guèye