Babacar Justin Ndiaye
C’est avec plaisir que j’ai parcouru ce billet du brillant analyste politique, Babacar Justin Ndiaye, où il dénonce avec la verve qu’on lui connait « la pluie d’injures qui tombe sur le Sénégal » de la part « d’hommes d’Etats », s’interrogeant ainsi : « par quelle malvenue alchimie, le fécond choc des idées s’est mué en triste télescopage des insanités ? » Le constat, en effet, est amère : « Les artilleurs de l’injure massive et les voltigeurs des insanités en rafales tiennent fâcheusement le haut du pavé. La littérature ordurière et l’éloquence boueuse (celle des caniveaux) structurent, de façon rageuse, le débat national. » Et de regretter, à juste titre, ndeysaan ! La régression langagière et comportementale de ses concitoyens : « Citadelle de tous les raffinements, sous le magistère du poète-président Léopold Sédar Senghor, le Sénégal devient inexorablement le bastion de toutes les grossièretés.
Maître Lamine Guèye qui avait le double don de l’élégance et de l’éloquence, trésaille convulsivement dans son linceul, en recevant, outre-tombe, les échos répugnants du débat débile en cours sur l’échiquier politique. » Pour conclure avec la même croustillance : « Il est temps que les Sénégalais soucieux de la protection et de la vitalité des institutions sonnent le tocsin ; afin que cette pluie d’injures cesse de tomber. Car le débat sale, salace et dégueulasse éloigne le pays des cimes de la bonne gouvernance et, à contrario, le précipite dans les bas-fonds où grouillent et grenouillent des fripouilles de la politique. Les compatriotes et administrés du Président Macky Sall sont nostalgiques des hommes d’Etat, d’hier, et horrifiés par les zèbres d’Etat, d’aujourd’hui. »
Justin a raison ! Sauf sur quelques points de son billet que je n’ai pas évoqués ici… Il a tout à fait raison. Car, bon nombre de sénégalais sont horrifiés et sidérés par « la pluie d’injures » qui leur tombe sur la tête. Pas seulement du fait d’hommes d’Etat, mais aussi d’hommes d’affaire, d’activistes et même de prêcheurs et marabouts. Car des insulteurs, aujourd’hui, on en trouve partout chez nous, hélas ! Insulter est devenu la règle. Et l’insulte, semble-t-il, est la musique préférée des Sénégalais. Ils en raffolent ! Ils la chantonnent et la dansent. Et des concitoyens fuient l’espace publique et les débats publiques de peur de se voir manquer de respect. Et l’on regrette les temps où la politesse et la correction était de rigueur et l’impolitesse l’exception. Et Lamine Gueye de tressaillir dans son linceul. Senghor de se boucher les oreilles. Laye Ndiombor de se terrer…
Mais les zèbres, s’ils savaient lire, ne seraient pas contents du papier de Justin. Eux aussi tressailliraient de se voir comparer à certains humains « plus bêtes que les bêtes ». Ils auraient ainsi protesté, les beaux animaux drapés de zébrures: « Tu n’as pas le droit, Justin, dans ta dénonciation des insulteurs de nous insulter en les traitant de zèbres. Certes nous hennissons, mais n’insultons pas. Nous sommes bêtes, si vous voulez, mais ne sommes pas vulgaires. Nous fuyons devant les fauves, mais ne sommes pas lâches. Nous nous donnons des coups de sabots quelques fois, mais ne nous jetons pas des ordures ni la saleté des caniveaux…» Les innocentes grenouilles aussi, Justin, n’apprécieraient pas l’image du « grenouillement des fripouilles de la politique. » Jacques Brel, qui chantait la satisfaction du Diable ⃰ face à l’humanité moderne, criait lui aussi son indignation en ces termes : « les singes, les siinges, les siiiin-ges de mon quartier… » ⃰⃰ ⃰⃰ Mais, en vérité, c’est insulter l’animal que de traiter certains hommes de bête.
ABDOU KHADRE GAYE
Ecrivain, Président de l’Emad
⃰La chanson : Le Diable ça va
⃰⃰ ⃰⃰ La chanson : Les singes de mon quartier