Ancien Directeur Afrique de ICIEC (filiale du Groupe de la Banque islamique de développement (Bid), en charge de promotion du commerce et des Investissement dans ses pays membres) Moustapha Sow a suspendu sa carrière internationale pour se lancer dans l’entreprenariat. Dans cet entretien accordé à L’Obs, l’enfant de Kaolack parle de sa nouvelle société, SF Capital, du financement des grands projets de l’Etat, de l’endettement du Sénégal, de l’adhésion du Maroc à la Cedeao, entre autres.
Vous êtes le Directeur général de SF Capital, sur quoi s’active votre société ?
La SF Capital est une banque d’affaires, spécialisée dans tout ce qui est structuration, conseils et levée de fonds. Elle a été créée pour combler un gap du continent africain. L’Afrique constitue aujourd’hui un continent d’avenir, une destination préférée pour les investisseurs. Le potentiel est là, mais il faut un travail considérable pour mettre en place des infrastructures de base, attirer les investissements et faire décoller l’Afrique pour de bon. Le continent n’a pas de problème de ressources et le problème reste le manque de projet banquable. Nous avons parcouru plus de 37 pays en Afrique ces 5 dernières années et constaté comme point commun que le continent a besoin des services de banques d’Affaires pour rendre les projets banquables ; même s’il faut avouer que les pays Anglophones ont une avance considérable sur les Francophones. Ce qui présente pour nous une opportunité et un challenge sur lesquelles nous comptons s’appuyer pour développer notre stratégie. En Afrique les projets sont souvent mal structurés. Ce qui fait qu’un projet devant durer 3 ans dure finalement 10 ans. Notre mission / objectif consiste à conseiller les États sur les meilleures structurations financières à adopter pour leurs besoins de financement des infrastructures qui sont. Par exemple sur les PPP il ne s’agit pas juste de lever des fonds et de signer le meilleur contrat de concession possible…sur la concession de l’autoroute à péage il y a d’énormes carences car l’État donne déjà une garantie pour couvrir le risque de trafic mais les usagers ne bénéficient pas de rabais si le trafic dépasse les prévisions.
Nos États ont aussi besoin d’être protéger autant que les investisseurs ; et la meilleure façon de le faire c’est de les conseiller en amont et ça c’est rôle du banquier d’affaires. Le secteur prive à aussi un rôle primordial a jouer sur l’émergence du continent ; SFC conseille les entreprises locales Africaine qui veulent consolider leur position sur leur marché local respectif et surtout assister les entreprises qui veulent investir ou exporter leurs produits et services dans les autres pays Africains…Nous faisons du conseil en financement structurés aussi pour les banques
locales (Nous travaillons déjà avec des banques au Sénégal, au Ghana et au Nigeria).
Quels sont les grands projets de financement auxquels vous avez contribué ?
J’ai personnellement été impliqué dans le financement de beaucoup de projets, notamment l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd), la Centrale de Sendou, le Pont autoroutier à péage Henry Konan Bédié en Côte d’Ivoire…Dans le secteur prive nous avons boucle 4 deals sur le Sénégal, 1 au Ghana et 1 au Nigeria 9avec SFC)
…
Aujourd’hui, quels projets avez-vous en perspective ?
Dans le secteur public, nous travaillons sur trois grands projets : un en Côte d’Ivoire, un en Guinée et un au Sénégal, qu’on ne peut pas, pour le moment, dévoiler. En Afrique Anglophone, nous travaillons sur un deal très important dans le secteur de l’éducation au Ghana. Dans le secteur privé nous travaillons aussi sur une opération très
importante sur la République Démocratique du Congo ; au Niger, au Ghana, en Côte d’Ivoire…entre autres
Le Programme Sénégal émergent (Pse) a été lancé en 2014, quelle lecture faites-vous de son modèle de financement ?
Le Pse est un programme très ambitieux avec un objectif très précis. Cependant, en matière de financement, il n’y a pas de modèles préétablis.
C’est pourquoi, chaque projet requiert un financement assez diffèrent et adéquat. Si on prend l’exemple de l’énergie, son modèle de financement repose sur le PPA (Power Purchase Agreement) ; c’est-à- dire le privé finance la production de l’énergie qu’il vend après aux sociétés d’énergies (i.e. SENELEC)…ce qui permet à nos pays de ne pas s’endetter. Et dans ce domaine, beaucoup de progrès ont été réalisés.
Par contre, dans le domaine des infrastructures, il y a différents modèles de financement, notamment les concessions, avec des garanties (trafic risk) pour permettre aux pays de ne pas s’endetter et impliquer davantage le secteur privé. Il y a aussi d’autres projets financés directement sur le budget de l’État (TER).
Il y a une grave polémique sur le coût de financement du Train express régional (Ter). Le député Ousmane Sonko avait même soulevé une marge de 222 milliards FCfa… Effectivement…. Mais, en tant qu’expert en financement de projet d’infrastructure, le chiffre présenté par l’État me parait raisonnable pour ce type de projet. Et celui-là a été financé par des bailleurs crédibles, comme la BID qui a injecté 300 millions d’euros, environ 197 milliards Fifa, l’Agence française de développement (AFD) et le Trésor français. Avec ces institutions financières, il y a un aspect pointu pour s’assurer qu’il y a de la transparence dans le financement. Cependant c’est un débat politique qui s’est posé à l’Assemblée et le ministre de l’Economie a argumenté. Il faut retenir que l’Etat du Sénégal a financé ce projet sur la base de l’implication de bailleurs assez sérieux. Maintenant, si Sonko a des preuves, qu’il les publie, parce que les Sénégalais ont besoin de savoir comment sont utilisées nos ressources. L’Etat indique que le Ter est un projet hors- taxe, hors-douane.
Quel est le meilleur modèle de financement pour ce genre de projet ?
Il y a deux choses : un projet public-privé et un projet public pur et dur. Le Ter a été financé sur budget de l’Etat et il appartient au ministère de l’Economie et des Finances d’arbitrer. Mais, si c’était un projet public-privé, comme l’Autoroute à péage et qu’on nous parlait d’hors-taxe, hors- douane, là on pourrait se poser des questions, parce qu’il y a le privé qui génère des revenus. Ce débat ne devrait donc pas se poser.
Par souci de transparence, l’Etat ne devrait-il pas prendre les devants pour éviter cette polémique ?
C’est difficile aujourd’hui de voir ce genre de projet être exécuté sans qu’il n’y ait de polémique. Ce que l’Etat peut faire, c’est être transparent au maximum et je crois que ces règles ont été respectées, du moment où il y a eu un appel d’offre international. Par contre, si c’était un projet financé sous forme d’entente directe, on pourrait craindre un problème de transparence. On est en démocratie et les gens ont le droit de se poser des questions, de faire des critiques, mais qu’elles soient constructives…et surtout que cela n’affecte pas la réputation de notre pays sur le marché international….
Le Sénégal est confronté à un problème d’emploi, d’éducation, de santé… Le financement de ces grands projets (Ter, Ila Touba…) devait-il être une priorité pour l’Etat ?
La définition de la priorité pour un Etat peut être différente d’une personne à une autre. Ce qu’il faut respecter, c’est qu’un Etat a la possibilité de définir ses priorités. Il faut reconnaître que nos Etats ont des ressources limitées et font appel à des bailleurs pour le financement de leurs projets. Et ces bailleurs ont souvent des préférences par rapport aux projets. Si on prend l’Education et la Santé, ce sont les deux secteurs les plus importants pour l’économie. Et là où nos Etats reçoivent le plus de financement, c’est dans le secteur privé, lequel veut s’assurer son retour sur investissement. Aujourd’hui, une centrale électrique est plus rentable pour un investisseur que de mettre son argent dans une université.
Malheureusement, c’est ça la réalité. Le Sénégal, en termes de richesses, fait partie des pays les plus pauvres, mais aujourd’hui, il est arrivé à un point où il est le plus crédible en matière de financement. L’obligation sur le marché international pour le Sénégal est plus attractive et coûte moins chère qu’au Nigeria ou au Ghana qui sont plus développés. Dans ce genre de situation les critiques ont plus de sens lorsqu’elles sont faites à la fin d’un mandat.
Certains acteurs ont alerté sur l’endettement du Sénégal. Pensez-vous qu’il court des risques ?
C’est un faux débat. Et c’est seulement quand ça concerne l’Afrique qu’on pose ces problèmes d’endettement alors qu’on (Afrique) a le taux d’endettement le plus faible. Le problème n’est pas de s’endetter mais de mal s’endetter, parce qu’on a besoin de financer notre croissance, mais l’objectif, c’est la discipline / l’utilisation qu’on fera de cette dette. Aujourd’hui, l’Afrique a besoin de près de 100 milliards de dollars, soit environ 55 561 milliards FCfa par an, pour régler ses problèmes en financement d’infrastructures. Sur ces 100 milliards de dollars, la moitié est disponible et sur ces 50 milliards de dollars, 70% sont financés sur budget de l’Etat. Alors, une des solutions c’est d’emprunter pour résorber le gap.
Quelle approche l’Etat doit-il adopter pour la compétitivité des entreprises nationales face aux multinationales ?
Le Sénégal vise l’émergence à l’horizon 2035. Pour ce faire, son secteur privé doit décoller. Si on prend l’exemple des pays développés, ils ont créé des banques de développements et des Eximbank pour rendre plus fort leur secteur privé. Ces banques rendent le secteur privé beaucoup plus solide. Le Sénégal doit s’inspirer de ces pays, car il
ne peut émerger sans un secteur privé fort. La BNDE doit être un outil sur lequel l’État doit s’appuyer…aucun pays n’a émergé sans secteur bancaire solide caractérisé par une ou des banques locales solides…aussi faut-il que le secteur privé s’organise et augmente son niveau. L’Etat doit aussi protéger son secteur privé…la Corée du Sud est un exemple avec SAMSUNG qui représente 2/3 du PIB du pays, sans quoi, on peut avoir une croissance à deux chiffres et avoir un taux de pauvreté négativement corrélé. Parce que toute la croissance qu’aura le Sénégal ne bénéficiera qu’à l’économie étrangère.
L’adhésion du Maroc à la Cedeao a été reportée en 2018. Pensez-vous, comme certains, que l’entrée du Royaume chérifien constitue une menace pour les entreprises sénégalaises ?
La Cedeao est un ensemble d’Etats, avec des réalités économiques différentes, qui s’unissent pour pouvoir augmenter le niveau de vie de la population. Aujourd’hui, le Nigeria a une économie nettement supérieure à celle du Sénégal et pourtant ce n’est pas un problème. Dans la SADEC (plus Afrique Sud) on a vu l’Afrique du Sud comparée aux autres (Namibie, Zimbabwe, etc.) ou COMESA (Afrique de l’Est) ou l’Égypte est membre…et pourtant ces deux intégrations régionales restent actuellement les deux meilleures en Afrique. L’Afrique a besoin de l’Afrique pour se développer. Les échanges entre les pays Africains restent le plus faible (12%) dans le monde en terme d’intégration régionale…moi je plaide pour une intégration régionale plus large ; l’objectif de l’Union Africaine devrait à mon avis viser une intégration économique complète des pays Africains a l’image de l’Union Européenne.
Pourquoi avoir peur du Maroc ?
Le secteur privé doit comprendre que c’est dans l’adversité qu’on devient meilleur. Laissons les Marocains venir et essayons de bénéficier de leur expertise. Certes, les Marocains sont en avance par rapport à nous, mais on doit en profiter et ne pas regarder le côté négatif. L’arrivée du Maroc devait être une source de motivation pour le secteur privé.