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L'essentiel


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Manuel Valls, portrait d'un ambitieux

INTERNATIONAL
Dimanche 29 Janvier 2017

Populaire et détesté, énergique et ambitieux. Pour François Hollande, le choix de Manuel Valls est d’abord une épreuve. Le premier flic de France était le préféré des Français pour Matignon : en février 2014, dans notre sondage sur le gouvernement idéal, il était choisi par 49 % d’entre eux, caracolant à 25 points devant Jean-Marc Ayrault. Mais seule- ment 39 % des sympathisants de gauche lui faisaient confiance. Pour François Hollande non plus, Manuel Valls n’était pas le favori. Le président a cherché un homme d’expérience, de poigne. Laurent Fabius, Bertrand Delanoë, Jean-Yves Le Drian. Tous ont refusé, soit parce qu’ils ne voulaient pas quitter leurs fonctions, soit parce que l’enjeu était trop lourd. Le président n’a pas eu le choix. Manuel Valls est sa dernière carte. Il lui offre l’occasion de jouer son destin.


Dans les veines de Manuel Valls coule le sang chaud et colérique de l’Espagnol. Raideur de la tenue. Port altier. Œil noir. Mâchoires serrées. Avec l’interlocuteur, la mise à distance est immédiate.

Toute cette contenance que l’on prête au fer hidalgo pourrait en faire un homme de droite. Pourquoi, alors, est-il de gauche ? Parce que ce Catalan naturalisé français à 20 ans est le fruit d’une histoire complexe. Son père, Xavier, artiste peintre, chassé d’Espagne pour antifranquisme et néanmoins catholique pratiquant, lui a transmis en héritage l’amour de la liberté, le respect du peuple, la force de l’engagement et des convictions. Ministre de l’Intérieur, il en a longtemps rêvé. Hollande l’a fait. En mai 2012, il l’a nommé premier flic de France.

Mais, comme tous les grands fauves politiques, il est depuis à l’affût d’une plus grosse proie, à commencer par la fonction de Premier ministre. Car, pour ce féru d’histoire, nos grands hommes s’appellent bien sûr Napoléon et le général de Gaulle, mais surtout Georges Clemenceau dont le portrait trône dans son bureau de la place Beauvau. « Le Tigre » fut nommé président du Conseil à 65 ans, son disciple le devient à 51.

L’insuffisance de Jean-Marc Ayrault à ce poste par temps de tempête et le besoin d’une nouvelle vision pour la France lui ont offert cette couronne. Non sans peine, il est vrai. L’impatient quinquagénaire avait manqué de peu la marche vers Matignon, en novembre 2013. Jean- Marc Ayrault avait contre-attaqué avec une réforme fiscale vite enterrée. Cette fois encore, Manuel Valls a dû subir la torture de l’attente. Samedi dernier, l’ex-maire d’Evry était convié, dans sa ville, au mariage du directeur des affaires culturelles. Un témoin raconte : « Il n’était détendu qu’apparemment. En fait, il était très concentré. Il n’est même pas resté déjeuner.» Trop préoccupé. Deux jours plus tôt, il assistait au dîner franco-chinois du Grand Trianon, à Versailles, avec son épouse.

Laquelle confiait à un proche : « C’est dur pour Manu. Un jour, Hollande lui dit : “Tu te prépares.” Et le lendemain, c’est silence total.» La déferlante bleue et le reflux rose aux municipales ont tranché en sa faveur. Le chef du gouvernement s’appelle désormais Manuel Valls.


Il est impossible de comprendre l’ascension de ce natif de Barcelone, grand fan du FC, qui parle couramment italien, catalan et espagnol, sans bien appréhender à ses côtés le rôle capital des femmes. L’amour débordant de sa mère, originaire de Suisse italienne, la belle Luisa, 76 ans aujourd’hui, a forgé sa confiance en son destin.

La blessure secrète causée par sa sœur cadette Giovanna, sortie depuis peu d’un long tunnel dû à la consommation d’héroïne, a endurci sa carapace face aux douleurs de la vie. Enfin, ses deux épouses successives l’ont accompagné sur le chemin de la gloire.

La première, la jolie Nathalie, militante socialiste, comme lui, à l’université de Tolbiac, devenue prof, a cru en son étoile. A 24 ans, elle a accepté de quitter le magnifique quai de l’Hôtel-de-Ville pour un misérable F3 dans la banlieue communiste d’Argenteuil, où le jeune Manuel avait décidé de s’implanter pour conquérir la mairie. Et où, d’ailleurs, il échoua. Elle lui a donné ses quatre enfants, qui le mettent souvent en boîte pour le faire revenir sur terre : Benjamin, 22 ans, Ugo, 20 ans, et les jumeaux Alice et Joachim, 15 ans. Après juillet 2010, ils ont tous emménagé à la Bastille, dans l’appartement cosy de sa nouvelle épouse, une artiste de renom et violoniste de talent, Anne Gravoin. « Avec Nathalie, la vie n’était pas drôle tous les jours », raconte un proche.

Surtout, il manquait une dimension vitale à Manuel Valls, celle de l’univers artistique dans lequel son père avait fait baigner son enfance. Voici quelques années, le nouveau Premier ministre nous confiait ainsi son besoin « de couleurs, d’odeurs et de sons » : « La passion pour la peinture est dans mes gènes. Petit, mes parents m’emmenaient dans les musées d’Europe. Mon père a peint jusqu’à 83 ans avant de mourir d’un cancer foudroyant. Les appartements sans tableaux m’étonnent... Je suis fasciné par Goya, le Greco, Vélazquez, Bonnard ou Vlaminck… J’aime les églises romanes et le flamenco. Et je peux pleurer encore et encore en écoutant “La Traviata”. »

Près d’Anne, il a renoué avec cette vie d’artiste qui réussit, le soir ou le week-end, à l’extirper un peu de la jungle politique. D’autant que, avec elle, le violon ne sanglote pas. Elle choisit au contraire d’accompagner Strauss aussi bien que Laurent Gerra ou Johnny Hallyday. « J’emmerde les puristes », proclame cette femme de tête que leurs amis décrivent joyeuse, aimant la fête. « Partout où elle arrive, elle met le feu », assure l’un deux. Loin de l’artiste éthérée, elle est une femme de caractère, une businesswoman à la tête d’une société de production et d’un quatuor : Travelling Quartet.

Aussi indépendante que son mari, elle n’envisage pas une seconde de délaisser sa propre carrière. Ensemble, ils partagent une égale passion. Elle sert son image et lui accroît sa notoriété. Voilà donc un couple programmé pour un exercice harmonieux du pouvoir.


Côté virtuosité politique, Manuel Valls a depuis longtemps démontré son savoir-faire. Habilement, depuis son encartement au PS en 1980, à 18 ans, il a su servir des mentors successifs sans jamais leur être inféodé, sans jamais non plus les trahir et, surtout, en construisant méthodiquement sa propre ligne politique, celle d’un socialisme moderne adapté au XXIe siècle, synonyme de justice mais aussi d’ordre et d’autorité.

Avec Michel Rocard, il épouse d’emblée la deuxième gauche sociale-démocrate. Au côté de Lionel Jospin, à Matignon, pendant quatre ans, le député-maire d’Evry observe avec gourmandise l’art de s’entourer, de décider et de gouverner. Quand il soutient Ségolène Royal contre Martine Aubry au congrès de Reims, en 2008, il choisit certes la perdante mais en restant fidèle à leur conviction partagée de l’« ordre juste ». En croyant aux chances de DSK pour la présidentielle de 2012, il montre qu’il incline vers le social-libéralisme.

En se présentant à la primaire PS de 2011, où il n’obtient que 5,6 % des voix, il gagne aussi ses galons de présidentiable. En appelant dès le soir de son échec à voter Hollande, il lui apporte des voix décisives. Pendant la campagne, ce bosseur infatigable, soucieux du moindre détail, supplante les Moscovici et Le Foll en s’affichant comme le vrai directeur de campagne, avec notamment l’organisation minutieuse et décisive du meeting du Bourget. Il gagne là l’estime du futur chef de l’Etat.

Aujourd’hui, face à l’ampleur de la défaite du socialisme municipal, il apparaît à François Hollande comme le recours incontournable face à une France en colère. « Il répond au besoin d’un gouvernement fort et populaire », résume-t-on à l’Elysée.


Encore faut-il que cet as de la communication mette en pratique cette phrase de Vaclav Havel, qu’il place en exergue de son dernier livre, « L’énergie du changement », paru en 2011 : « Vous ne m’avez pas proposé à ce poste pour que je vous mente à mon tour. » Jusqu’à présent, il a plutôt bâti sa réputation en disant à ses camarades quelques vérités crues.

Bref, en brisant des tabous. C’est lui qui, le premier au PS, s’est attaqué aux deux vaches sacrées des 35 heures et de la retraite à 60 ans. Lui qui a pourfendu la « culture des dépenses et du déficit public », même si, dans sa ville d’Evry, il n’a pas été exemplaire pour réduire les effectifs ! Lui encore, ce laïque convaincu, qui a voté la loi sur l’interdiction de la burqa initiée à l’époque par l’UMP. Lui toujours qui, depuis qu’il est au gouvernement, s’est singularisé dans son camp en abandonnant la promesse hollandaise du récépissé d’identité, en refusant d’abroger la rétention de sûreté voulue par Nicolas Sarkozy ou encore en interdisant le spectacle de Dieudonné, jugé par lui « raciste et antisémite ».Le trublion, l’homme qui dérange, celui qui transcende le clivage droite-gauche, n’a pas eu peur, en prenant ces positions iconoclastes, de se mettre à dos tantôt la gauche de la gauche, tantôt les Verts. « Je ne m’interdis rien. Je suis comme cela », aime-t-il rappeler quand on le chatouille. Certes, depuis quelques semaines il s’affiche avec ses nouveaux complices, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, auquel il aurait même promis un grand ministère s’il devenait Premier ministre. Cécile Duflot lui a signifié, elle, qu’elle quitterait le gouvernement s’il le dirigeait. Le savoir-faire de Manuel Valls pour redonner confiance aux Français dans la majorité va être scruté à la loupe dans les jours et semaines à venir.Gilles Verdez, auteur d’une récente et très riche biographie intitulée « Manuel Valls. Les secrets d’un destin » (éd. du Moment), l’a beaucoup observé pendant toute une année pour l’interviewer. Il ose la comparaison avec Bonaparte dont il est aussi un passionné : « Valls a ce même côté conquérant : “J’assume mes ambitions. Je renverse les codes. Je vais au bout de mes logiques. Je suis proche du peuple contre les élites. A moi rien d’impossible.” »

Il va lui falloir, en tout cas, beaucoup d’énergie face à une mondialisation, conquérante elle aussi, qui a retiré aux politiques beaucoup de leurs pouvoirs et figé les peuples – du notaire au chauffeur de taxi – dans leur peur du changement et leurs avantages acquis.


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