RFI : Tous les candidats français promettent d’en finir avec la Françafrique. Est-ce que ça vous rassure ?
Mamoudou Ibra Kane : Moi, je n’y crois pas. Je pense que c’est une opération de charme en direction de l’Afrique, mais le continent africain ne doit pas être naïf. Le président Alpha Condé de la Guinée a, dit il y a quelques jours à l’Elysée, devant François Hollande, qu’il faut couper le cordon ombilical entre la France et l’Afrique.Et sur la fin de la Françafrique, est-ce qu’il y a des candidats qui vous paraissent plus crédibles que d’autres parmi les onze actuels ?
Tous, justement, rejettent la Françafrique, mais il y a ce qu’on appelle la realpolitik. Entre le discours et la réalité de l’exercice du pouvoir, il y a un hiatus, il y a même l’Himalaya. Bockel, sous le gouvernement Sarkozy, a été proprement viré quand il a tenu ce discours contre la Françafrique. Je pense que tous seront rattrapés par la realpolitik.
Et pour en finir avec la Françafrique est-ce que vous faites plus confiance à la gauche ou à la droite française ?
Moi je reprends un peu le ni ni d’Emmanuel Macron : ni de gauche, ni de droite. Il a dit, avant de ravaler son propos, que la colonisation était un crime contre l’humanité. Il a évolué un peu en disant que c’est un crime contre l’humain. Je ne sais pas s’il y a une grosse différence. Macron, Fillon, Mélenchon ou Hamon – au passage Hamon a fait une partie de son enfance à Dakar – je ne crois pas que l’un soit plus africain que l’autre. On l’avait dit de Jacques Chirac, de Sarkozy, aujourd’hui de François Hollande. Non, je pense que l’Afrique doit se départir de ces naïvetés, de ce paternalisme français, parce que pour moi c’est moins ce que le président français va faire comme dirigeant africain, que les populations africaines vont faire de cette relation entre l’Afrique et la France.
Vous parlez de la mémoire coloniale. C’est justement un sujet sur lequel il y a un grand écart. François Fillon refuse toute repentance, alors qu’Emmanuel Macron – vous l’avez dit – parle de crime contre l’humanité. Vu de Dakar, quel est le candidat qui rencontre le plus d’échos ?
Aucun. Dakar suit forcément avec intérêt ce qui se passe en France, mais je dois quand même le dire, beaucoup de Dakarois ont applaudi les propos d’Emmanuel Macron contre la colonisation. Il dit ce que beaucoup d’Africains, au fond, pensent. Mais ça n’en fait pas forcément le candidat de Dakar. D’autant plus que les Français eux-mêmes sont très indécis.
Après la visite de Marine Le Pen au Tchad – c’était le mois dernier – est-ce qu’il y a une banalisation des thèses du Front national même en Afrique ?
Banalisation, surtout pas. S’il y a une candidate qui n’est pas du tout la candidate de l’Afrique c’est quand même madame Marine Le Pen. Maintenant, tout cela participe d’un jeu politicien. Elle s’est rendue au Tchad et elle a été reçue par le président Déby, mais c’est la seule audience qu’elle a eu dans un palais présidentiel africain. Madame Marine Le Pen a une politique, a des idées qui sont totalement rejetées par l’Afrique.
Marine Le Pen reçue par Macky Sall est-ce que ce serait possible ?
Ce serait une catastrophe. Et je pense que le président Macky Sall – sans que je sois dans le secret des dieux – n’a nullement cette intention.
Depuis un an et demi, l’Europe tente de négocier avec plusieurs pays africains le retour des migrants sans papiers dans leur pays de départ – c’est ce qu’on appelle les accords de réadmission – et aujourd’hui les candidats Fillon et Macron disent que les pays qui signeront de tels accords seront prioritaires dans l’aide au développement. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je pense qu’il faut arrêter cette infantilisation de l’Afrique. Je ne vois aucun pays africain sérieux accepter que l’aide au développement soit conditionnée par le retour des sans-papiers. Et quelle aide au développement d’ailleurs ? Je pense qu’elle porte mal son non. Sankara avait dit : «Nous voulons une aide qui nous aide à nous passer de l’aide».
Un jour, le candidat Mélenchon a lancé : «Quand je serai élu, j’irai chercher Laurent Gbagbo à La Haye pour le sortir de prison». Est-ce que cette petite phrase peut résonner à Dakar et en Afrique de l’Ouest ?
Cela fait tilt. Mais est-ce qu’il le pourra ? Maintenant, au-delà, peut-être qu’il pose le problème de la Cour pénale internationale. Oui, cela s’entend bien à Dakar, cela s’entend bien à Abidjan, parce qu’il y a beaucoup de populations africaines – et elles sont nombreuses – à penser que cette CPI est faite pour juger les dirigeants africains, fussent-ils peut-être des dictateurs. Il est temps que la CPI déplace un peu son curseur du côté de l’Amérique, du côté de l’Asie et voilà.
Et à Dakar est-ce que les gens s’intéressent à cette campagne française ou pas ?
Dans les médias, on ne le sent pas du tout. Il y a de temps en temps des sujets qui sont évoqués, mais on n’en parle pas beaucoup, non. Très peu.
Est-ce aussi peut-être parce que les jeunes parlent moins français que les anciens ?
C’est exactement ce que je pense. Les jeunes ont leur propre langue eux-mêmes aujourd’hui. On parle le wolof, on parle peul. Ils s’orientent vers l’anglais et même vers le mandarin, le chinois. C’est pour vous dire que la langue française est loin d’être aujourd’hui la langue incontournable. Et dans le domaine des médias, les émissions qui sont le plus suivies sont celles qui sont faites dans les langues du pays.
RFI