Abdoulaye Diouf Sarr était sur la sellette ces deux dernières années. Si le Sénégal a été cité en exemple pour la bonne prise en charge de la pandémie du Covid-19, il n’en demeure pas moins que son ministre de la Santé a été fortement décrié. La gestion nébuleuse, pour dire le moins, des fonds dégagés par le gouvernement pour l’achat de matériels et équipements de santé afin de faire face à la pandémie a suscité la polémique. D’ailleurs, dans une chronique en date du 19 juillet 2021, nous nous interrogions avec véhémence : «Le Sénégal dont la gestion de la pandémie avait pu être donnée en exemple, retombe au même niveau que tous les autres pays (…). Les alertes lancées par les médecins et autres professionnels de la santé ont été ignorées. (…) Où sont passées les dizaines de respirateurs artificiels et les unités de production d’oxygène, pour qu’on en arrive à devoir en commander à nouveau dans l’urgence ? Ainsi, apprend-on que les Centres de traitement des épidémies (Cte) avaient été démontés alors que la pandémie n’était pas encore vaincue. Où sont passés les matériels démontés ? Et on découvre, comme par enchantement, que toutes les cliniques médicales privées de Dakar, qui ne disposaient pas de matériels et autres appareils respiratoires, ont pu s’en doter après le démantèlement des Cte. Allez savoir, mais une telle coïncidence est fort troublante ; surtout qu’on assiste à la naissance d’un nouveau business, apparemment lucratif et qui se développe, avec des privés disposant d’appareils respiratoires qu’ils mettent à disposition de malades restés à domicile faute de places à l’hôpital ou ne pouvant bénéficier d’une assistance respiratoire au niveau des structures hospitalières.» Le tollé a aussi été amplifié par l’exaspération des professionnels du secteur de la santé. Le ministre Abdoulaye Diouf Sarr s’était brouillé avec la plupart des principaux responsables de son ministère et de ses services déconcentrés. Des démissions retentissantes avaient été déposées sur la table du ministre Sarr et il avait fallu l’implication personnelle du Président Macky Sall pour par exemple, estomper les frustrations de l’icône de la lutte contre le Covid-19 au Sénégal, le Pr Moussa Seydi, et bon nombre de ses collègues.
Ces polémiques étaient également intervenues dans un contexte où, malheureusement, de nombreuses voix s’étaient déjà élevées pour demander la démission du ministre Abdoulaye Diouf Sarr. Le service de néonatologie de l’hôpital Maguette Lô de Linguère avait cramé en avril 2021, provoquant la mort de quatre nouveau-nés. Peut-être que si Abdoulaye Diouf Sarr avait été limogé à l’époque, son successeur aurait mesuré les enjeux et la gravité de la situation pour faire procéder à l’inspection des différents services de néonatologie du pays ; une opération qui aurait certainement permis d’épargner la vie des onze nouvelles victimes de Tivaouane.
Seulement, le Président Macky Sall feignait de ne pas voir les carences ou lacunes de son ministre de la Santé. Autrement, il n’en aurait pas fait son champion pour porter les couleurs de sa coalition politique Benno bokk yaakaar (Bby) aux élections locales du 23 janvier 2022. Abdoulaye Diouf Sarr avait été désigné pour briguer la mairie de la capitale. Mal lui en a pris car il a essuyé une déconvenue historique face à Barthélemy Dias de la coalition Yewwi askan wi (Yaw). La défaite de Bby à Dakar a sans doute tenu à une sanction (à tort ou à raison ?) de l’action gouvernementale, mais le coefficient personnel de Abdoulaye Diouf Sarr a pu accentuer la déroute. Le candidat de Bby a manqué de magnétisme sur les électeurs et mené une campagne «exclusiviste», pour ne pas dire sectaire. La sanction des urnes aura été implacable, jusque dans son patelin de la commune d’arrondissement de Yoff où il a été battu par un parfait inconnu de la scène politique. Tous les observateurs étaient alors acquis à l’idée que le ministre de la Santé ne ferait plus de vieux os à son poste et que le premier remaniement gouvernemental l’emporterait. Macky Sall différa le remaniement qu’il avait lui-même annoncé. Et comme «un malheur n’arrive jamais seul», la fatalité ne laissera pas le temps au ministre de la Santé de faire remonter sa cote auprès de l’opinion. La mort en couches de Mme Astou Sokhna et de son bébé à Louga, suite à des négligences médicales, en avril 2022, le jour anniversaire de l’incendie du service de néonatologie de l’hôpital de Linguère, mettra à nouveau Abdoulaye Diouf Sarr sur le banc des accusés. Les personnels de santé et leurs syndicats ruèrent dans les brancards pour dénoncer leurs mauvaises conditions de travail et la précarité de leurs situations sociale et professionnelle. Rien ne sera épargné à Abdoulaye Diouf Sarr et un autre scandale se révélera avec la découverte, à la morgue de l’hôpital de Kaolack, d’un bébé encore en vie. Plus d’une fois, les pharmaciens du pays sont allés en grève pour protester contre des autorisations délivrées par le ministre de la Santé, qui pour des ouvertures d’officines sujettes à caution, qui pour protester contre la vente sur la place publique de médicaments et matériels médicaux soustraits des services hospitaliers publics.
On voit bien que chacune de ces multiples situations suffirait pour emporter un ministre ou le jeter dans la disgrâce. Abdoulaye Diouf Sarr affichait une désinvolture et tout semblait lui glisser sur la peau. Face aux critiques et interpellations, des cadres du parti présidentiel, l’Alliance pour la République (Apr), au nom d’un soutien grégaire et borné, refusaient de voir la réalité et continuaient de chanter les mérites du ministre de la Santé. Quand on montre la lune, certains regardent le doigt ! Je me rappelle avec le sourire avoir été pris à partie par des responsables de l’Apr comme Pape Malick Ndour qui demandait mon arrestation, pour avoir mis le doigt sur des anachronismes et autres incongruités dans la gestion de Abdoulaye Diouf Sarr. Mais le Président Macky Sall continuait, contre vents et marées, de ménager, avec une indulgence béate, Abdoulaye Diouf Sarr. Mieux, il l’investit à la quatrième position de la liste nationale de Bby aux prochaines élections législatives du 31 juillet 2022 ! Cette investiture lui garantit non seulement une élection mais aussi préfigure d’un rôle important dans l’appareil d’Etat. Le dernier drame survenu à Tivaouane changera-t-il la donne ? Rien n’est moins sûr car le remplacement de Abdoulaye Diouf Sarr par sa Directrice générale de la Santé, Dr Marie Khémesse Ngom Ndiaye, pourrait aussi être lu comme un souci du Président Sall de ménager ou d’assurer les arrières de son ministre déchu. On ne voit véritablement pas Marie Khémesse Ngom Ndiaye fouiner, plus que de raison, dans une gestion dont elle pourrait elle-même répondre, au même titre que le ministre, des éventuels manquements, fautes ou ratés. En tout cas, elle n’aurait pas de gros comptes à régler avec son prédécesseur.
La pédagogie du limogeage
Les enquêtes ouvertes établiront les causes du sinistre de l’hôpital Abdoul Aziz Sy Dabakh de Tivaouane. Défaillances humaines ou techniques ? Les équipements seraient-ils en cause, peut-on légitimement se demander, vu la récurrence des incendies de services de néonatologie et autres «couveuses» dans des structures publiques et privées de santé. Quels sont les fournisseurs et quelle est la qualité des équipements et les garanties offertes ? Qui s’est occupé des travaux d’électricité ? Comment les chantiers de ces structures sanitaires ont été réalisés ? Au demeurant, le ministre pourrait peut-être ne pas être coupable mais il n’en demeure pas moins qu’il reste indubitablement responsable. C’est sans doute la philosophie de la décision du chef de l’Etat de faire partir Abdoulaye Diouf Sarr, comme première mesure conservatoire.
La décision ne manque pas de mérite et d’intérêt. Elle constitue un précédent majeur et une certaine mise en garde pour tous les autres membres du gouvernement. Il devra désormais être clair que le chef de l’Etat ne va plus hésiter à se séparer d’un ministre dont les contre-performances rejailliraient négativement sur l’action gouvernementale et son bilan. Il faut dire qu’un relâchement était observé dans les rangs du gouvernement, dès lors que tout le monde avait fini de se faire à l’idée que le remaniement du gouvernement aura été différé jusqu’au lendemain des élections législatives de juillet 2022. Le leitmotiv devenait de chercher à se faire une base politique et de se faire élire pour s’assurer une reconduction au gouvernement. Pendant ce temps, cette propension au «tout politique» aura pour conséquence de négliger les actions et missions gouvernementales. Le limogeage de Abdoulaye Diouf Sarr dans ces conditions où la main du Président Sall n’a pas tremblé le moins du monde, devrait se révéler être un coup de semonce ou, mieux, un acte pédagogique. Par cet acte, Macky Sall a pu mettre la pression sur son gouvernement. Pourtant, cette doctrine du limogeage sans grand ménagement a déjà été éprouvée par le Président Macky Sall. On se rappelle le limogeage en mars 2022, de Pape Amadou Sarr de la Délégation générale pour l’Entreprenariat rapide (Der/fj), au motif d’une incartade lors de la Journée internationale de la femme et qui avait vivement effarouché des notables religieux musulmans. Aussi, tirant les leçons des manifestations sanglantes de l’opposition en mars 2021, pour empêcher l’arrestation du leader de Pastef, Ousmane Sonko, accusé de viol, le Président Sall n’avait pas hésité à limoger les patrons de la Police et de la Gendarmerie nationales dont la responsabilité avait pu être en cause quant à l’inefficacité de l’intervention des troupes. Avant ces actes de fermeté, il fallait remonter à 2017, avec le départ de Thierno Alassane Sall du gouvernement, pour voir le Président Macky Sall limoger brutalement un collaborateur. Peut-être que le «Macky Sall nouveau est arrivé…». Gare à son monde !
L’œuvre de Macky Sall chahutée
Toutes les opinions qui se sont exprimées sur la mort tragique des bébés de Tivaouane ont fustigé «un système sanitaire obsolète et défaillant» au Sénégal. Justement, c’est cette perception qui est révoltante, car elle apparait ingrate devant tous les efforts du gouvernement du Sénégal. Le Sénégal s’est doté en un temps record de quatre nouveaux hôpitaux, les plus modernes en Afrique au Sud du Sahara, dans les localités de Touba, Kaffrine, Kédougou et Sédhiou. Le contrat de construction de ces hôpitaux avait été bouclé par la ministre Eva Marie Coll Seck. Un autre hôpital du même calibre est en chantier à Ourossogui. Le Président Macky Sall a eu à inaugurer des hôpitaux secondaires et un important service des maladies infectieuses tropicales que le maître d’œuvre, le Pr Moussa Seydi, a présenté comme le plus avancé du monde. Le plateau technique et médical de l’hôpital Principal de Dakar a été relevé pour lui permettre d’offrir aux patients les meilleurs services qu’ils pouvaient attendre. Le Sénégal a réfectionné, construit ou rééquipé nombre d’hôpitaux et de centres de santé et leur a fourni plus de 500 nouvelles ambulances. Il en est de même la mise aux normes de 33 unités d’accueil d’urgence et de réanimation dans les régions de Diourbel, Fatick, Kaolack, Louga, Matam, Saint-Louis. De nouveaux centres de dialyse ont été ouverts à Kaffrine, Ndioum, Sédhiou, Agnam et Kédougou. Le Sénégal a engagé le recrutement de 500 médecins et de 1500 agents de santé. La conduite de certains projets a pu pécher, ce qui explique par exemple que les travaux du nouvel hôpital de Tivaouane, annoncés depuis plus de trois ans, n’ont même pas encore débuté. Autrement, le drame des bébés calcinés aurait pu être évité et le gouvernement ne serait pas aussi embarrassé. Encore une fois, tous ces efforts ont été éclipsés ou éclaboussés par ces drames impardonnables. Leçon de l’histoire ? En évitant de faire mal à ses collaborateurs, le Président Macky Sall finit par se faire mal à lui-même !