Un retour aux sources pour Adama Barrow
Au menu de cette visite, un tête-à-tête entre les deux chefs d'Etat sur les relations économiques suivi d'un point de presse. Petit détail d'importance, Adama Barrow profitera de sa venue pour rendre visite à des représentants des familles religieuses confrériques sénégalaises qu'il était allé voir pour des prières.
La visite revêt un cachet symbolique pour Adama Barrow dans ses relations avec son seul voisin. Officiellement, Adama Barrow veut donc réchauffer l'axe Dakar-Banjul, refroidi par la rivalité fraternelle entre Macky Sall et l'ex-président Yahya Jammeh.
« Cette première s'inscrit dans une longue tradition entre les deux pays et les deux Etats. La première visite du président Macky Sall s'est faite en Gambie lorsqu'il a accédé au pouvoir en 2012. Le président Abdoulaye Wade lui-même s'est rendu plusieurs fois en Gambie jusqu'à ce que les agissements de Yahya Jammeh refroidissent quelque peu l'axe Dakar-Banjul. C'est donc un symbole à la fois de continuité, après les ruptures observées avec le démantèlement de la Confédération sénégambienne, et, de redynamisation des relations entre les deux pays », confie à La Tribune Afrique un observateur attentif des relations bilatérales sénégalaises.
En filigrane, il faut voir dans cette visite presqu'un retour d'Adama Barrow aux sources dans le pays qui aura fortement contribué à le conforter dans son fauteuil présidentiel. Le 15 janvier dernier alors invité au sommet Afrique-France de Bamako, Adama Barrow avait saisi l'occasion pour s'engouffrer dans l'avion du président Macky Sall pour se mettre en sécurité à Dakar, évoquant des menaces pour sa sécurité lors de la crise post-électorale.
C'est également en se jouant des subtilités du droit international qu'un Adama Barrow en exil a prêté serment dans l'enceinte exigüe de l'ambassade de Gambie à Dakar. Déployant tout son zèle diplomatique, le pays de Macky Sall avait pesé de tout son poids pour obtenir une résolution de l'ONU autorisant la CEDEAO à brandir la menace armée face au refus de Yahya Jammeh de céder le pouvoir. L'armée sénégalaise qui pilotait l'opération de la CEDEAO a encerclé la Gambie accentuant la pression militaire qui finit par pousser Yahya Jammeh à l'exil en Guinée Equatoriale.
Le spectre du Big Brother sénégalais sur la Gambie
Pour lui rendre l'ascenseur après ce soutien diplomatique et militaire, Adama Barrow avait fait de Macky Sall, son invité d'honneur pour sa seconde investiture à Banjul. Est-ce suffisant pour dire que Sénégal est devenu le Big Brother de la Gambie et de Macky Sall, l'éminence grise d'Adama Barrow ?
Certains signes pourraient en tout cas le laisser penser. Aujourd'hui, la majorité des soldats composant les forces de la CEDEAO, encore présentes à Banjul pour la sécurisation du pays pour les 6 prochains mois, sont des soldats de l'armée sénégalaise. De même, parmi les hommes chargés de la sécurité personnelle d'Adama Barrow, on retrouve des éléments du Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale sénégalaise, habituellement affectés à la sécurité des hôtes du Sénégal.
«Le syndrome du Big Brother accompagnera toujours les relations particulières entre les deux pays mais le bon sens dicte tout simplement que la Gambie et le Sénégal se rapprochent dans tous les domaines et que les dirigeants aient suffisamment d'engagement et de cran pour ne pas se laisser refroidir par ce genre de critiques qui peuvent, effectivement, être très sensibles du côté gambien », fait remarquer Ousmane Sène, le directeur du West African Research Center (WARC), basé à Dakar.
Paix en Casamance, Sénégambie... ces intérêts stratégiques du Sénégal
Pourtant, ce déploiement de zèle du Sénégal de Macky Sall n'est pas dénué d'intérêts stratégiques. En s'assurant d'avoir un interlocuteur plus flexible que Yahya Jammeh, le Sénégal peut exhumer de vieux projets importants pour son économie. Parmi ceux-ci, la construction d'un pont enjambant le Fleuve Gambie.
Les automobilistes sénégalais se plaignaient sous Jammeh de l'inconstance des taxes et de droits de passage pour relier le nord du Sénégal à sa partie sud. Un voyage pour lequel, il faut traverser la Gambie via un ferry pour gagner du temps. Avec Adama Barrow, l'espoir de voir un pont relier les deux pays est plus que vivace. « Le projet du pont sur le fleuve Gambie est revenu à plusieurs reprises dans les différentes prises de paroles du nouveau président Gambien. Oui, il y a de l'espoir pour la réalisation de beaucoup de projets communs », souligne Ousmane Sène.
Autre intérêt, cette fois-ci géostratégique, le retour de la paix en Casamance, cette région méridionale sénégalaise dont le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) compte faire sécession. Longtemps, ce parti politique créé en 1947, devenu à la suite d'une insurrection dans les années 1980, un mouvement sécessionniste de cette région qu'il estime délaissée, a terrorisé les populations et pris les armes contre l'armée sénégalaise.
Dans sa lutte armée, le MFDC avait trouvé en Yahya Jammeh, un soutien logistique et financier et utilisait la Gambie comme base de repli ou de ravitaillement en armes et en vivres. Adama Barrow au pouvoir, ce mouvement qui a interrompu les pourparlers avec le gouvernement de Dakar depuis bientôt 10 ans, est un des premiers orphelins du départ en exil de Jammeh. Ce dimanche 26 février, le mouvement a tenu une réunion entre ses différentes factions rivales. Les retrouvailles ont été le théâtre de discussions qui semblent toutes converger vers un plaidoyer en faveur d'un retour définitif de la paix dans la région la plus riche du Sénégal.
«Beaucoup d'observateurs perçoivent l'obligation pour le MFDC d'aller rapidement à la paix puisque les bases-arrières et les zones de repli n'existent plus en Gambie. Donc, a l'évidence, l'arrivée de Barrow donne une chance à la paix définitive en Casamance », complète Ousmane Sène.
Last but not least, la renaissance de la Sénégambie, cette confédération entre les deux pays, mort-née après sept ans d'existence (1982-1987) pourrait être remise sur la table lors des discussions entre Macky Sall et Adama Barrow. Beaucoup plus difficile à mettre en place, cette confédération -si elle venait à être réactivée- serait revivifiée sous une forme allégée. Il faut espérer qu'elle soit réactivée avec plus de détermination que les divisions internes qui l'ont fait voler en éclats !
Source : Tribune Afrique