Cette déclaration d’incompétence du Conseil constitutionnel n’est point une surprise dans la mesure l’histoire constitutionnelle du Sénégal enseigne que chaque fois que la Haute juridiction est saisie d’une requête de l’opposition aux fins d’invalidation d’une loi querellée, elle s’est déclarée incompétente en s’adossant sur les textes qui le régissent. Il s’agit de l’article 92 de la Constitution qui organise le champ de compétence du Conseil constitutionnel stipule : «Le Conseil constitutionnel connaît de la constitutionnalité des lois et des engagements internationaux…» Cela est complété par la loi organique 23-2016 du 14 juillet 2016 qui définit en plus la compétence des sages en son article 1 : «le Conseil constitutionnel se prononce sur la constitutionnalité des lois, sur le caractère réglementaire des dispositions de forme législative, sur la recevabilité des propositions de loi et amendements d’origine parlementaire…»
Mais à y voir de près, ces deux lois ne spécifient la nature juridique des lois sur lesquelles le Conseil constitutionnel est habilité à se prononcer. D’ailleurs, dans la saisine de l’opposition reprise par le 4e considérant (point : sur le contrôle de la loi constitutionnelle) de la décision des sages précise que la loi organique du 14 juillet 2016, article 1 et l’article 92 de la Charte fondamentale, alinéa 1 n’opèrent aucune distinction quant à la nature des lois que le Conseil constitutionnel a pour compétence de contrôler. Pourtant ladite institution précise dans sa réponse que ces articles sus-évoqués au considérant 6 (point : sur le contrôle de la loi constitutionnelle) ne donne compétence au Conseil que pour connaitre de constitutionnalité des lois ordinaires et des lois organiques. Aujourd’hui la jurisprudence sert d’exutoire au Conseil constitutionnel pour se déclarer incompétente sur des révisions constitutionnelles commandées par la majorité ou le chef de l’exécutif.
Quand saisi d’un recours en inconstitutionnalité par requête en date du 22 décembre 2005 contre la loi constitutionnelle n°29-2005 prorogeant le mandat des députés élus à l’issue des élections du 29 avril 2001 votée par l’Assemblée nationale le 16 décembre 2005 par les députés de l’opposition Ousmane Tanor Dieng, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Wagane Faye, Etienne Sarr, Aminata Mbengue Ndiaye, Moussa Tine, Oully Diome Cisse, Madior Diouf, Seynabou Kâ, Madieyna Diouf, Cheikh Amidou Kâne, Thiedel Diallo, Famara Sarr et Aminata Mbaye, le Conseil constitutionnel a décliné, une nouvelle fois, sa compétence à statuer sur une loi constitutionnelle, le professeur Ismaïla Madior Fall a fustigé la position pleutre des sages. Il déclarait : «Dans l'exercice de son office, le Conseil constitutionnel se fonde sur une interprétation restrictive de sa mission qu'il circonscrit dans le cadre d'une compétence d'attribution bien définie par la Constitution et la loi organique sur le Conseil constitutionnel. A cet égard, il est difficile de ne pas, par moments, reprocher au Conseil sa conception trop minimaliste de son champ de compétence et, par suite, un manque de hardiesse à élargir de son propre chef, de façon raisonnable et parcimonieuse, celui-ci dans les moments critiques où il constitue le seul rempart auquel s'accrochent les espoirs de sauvegarde de la démocratie».
Parallèlement, le même Ismaïla Madior louait la courage des sages de la Cour constitutionnelle du Bénin qui, saisis par l’alors président de la République, Yayi Boni, nouvellement élu, et des députés sur le contrôle de constitutionnalité de la Loi constitutionnelle n° 2006-13 portant révision de l’article 80 de la Constitution du 11 décembre 1990 votée par l’Assemblée nationale le 23 juin 2006, déclaraient que «Toutes les dispositions de la Loi constitutionnelle n° 2006-13 portant révision de l’article 80 de la Constitution du 11 décembre 1990 votée par l’Assemblée Nationale le 23 juin 2006 sont contraires à la Constitution.» En conséquence, cette loi a été rejetée par les juges hardis de la Cour constitutionnelle béninoise.
Ainsi pour le Professeur de droit constitutionnel, «par cette attitude de hardiesse et de vigilance dont il fait habituellement montre, le juge constitutionnel béninois, s'érige en rempart efficace contre les abus du phénomène majoritaire et trace une ligne rouge de sauvegarde de la démocratie, que ne peut franchir le constituant lui-même».
Malgré l’augmentation de ses membres qui passent à sept et l’élargissement de ses compétences, le Conseil refuse de se départir de la rigidité des textes qui l’englue et l’enserre dans un périmètre d’incompétence. En langage clair, les conseillers constitutionnels refusent la compétence parce que rien ne les empêche en des occurrences particulières d’interpréter certaines révisions constitutionnelles déconsolidantes qui, en réalité, ne font que renforcer les pouvoirs déjà hypertrophiques du Président, de sa majorité et non du Constituant. Ainsi le Conseil constitutionnel est assimilable à une Curia praesidentis c’est-à-dire à une Cour du président de la République. C’est pourquoi le Sénégal pourrait facilement se passer d’une institution inutile, partisane et superfétatoire où ses membres ne sont célèbres que de par leur déclaration d’incompétence.
Robert Badinter, Garde des Sceaux sous le magistère de François Mitterrand, a l’habitude de dire qu’un bon juge constitutionnel doit avoir une obligation de fidélité aux citoyens et «un devoir d'ingratitude» envers ceux qui l’ont nommé. Mais sous nos cieux, les Sages ont un devoir de gratitude voir de soumission à l’autorité nommante par la grâce généreuse de qui ils empochent, en sus d’autres passe-droits, cinq millions de francs mensuellement.