Les choses vont si vite au Sénégal. Elles s’enchaînent à tel point qu'il est difficile d'en saisir la quintessence. Les sorties « pré-prison » d'Ousmane Sonko sont sans doute l’événement qui a beaucoup secoué l’espace public.
Au-delà du contexte lourd dans lequel elles ont été diffusées, elles se sont singularisées par les informations qui y sont et la précision avec laquelle le leader de Pastef donne des indications sur ce qui devait lui arriver alors qu'il était encore encerclé à son domicile de la cité Kër Gòor gi par des forces de l'ordre qui filtraient les moindres entrées et sorties.
Sonko qui savait pertinemment qu’il allait être arrêté, que son parti allait être dissous, qu’il ne serait pas candidat, a eu la clairvoyance d’anticiper sur les événements en prévoyant tous les scénarios possibles. Il a ainsi pris le temps d’enregistrer des vidéos dans l’éventualité d’une arrestation qui le priverait de tout contact direct avec ses militants et ses sympathisants qui l’écoutent religieusement et appliquent à la lettre ses recommandations. La solitude, l’immobilisation, la stricte surveillance ont été d’un grand apport pour lui. Elles lui ont permis de faire preuve d’imagination en poussant les scènes à l’extrême du pessimisme, se préparant au pire. « Si tout cela ne se produit pas comme je le dis, ces vidéos n’ont pas de raison d’être rendues publiques », avertit-il dans le premier enregistrement.
La trouvaille est assez originale. Elle illustre une détermination réelle à faire face au pouvoir qui l’a acculé jusqu’à ses derniers retranchements et qui a pour objectif de l’effacer de l’espace public. Il était évident que le président Macky Sall qui a « renoncé » à son mandat après avoir longuement maintenu son « ni oui ni non », entraînera Sonko avec lui. Ce dernier étant conscient d’une telle donne s’est donné les moyens de résistance. Loin du gatsa-gatsa prôné dans les rues, il y avait manifestement un travail de réflexions stratégiques pour ne pas « disparaître ». Les vidéos diffusées sur sa page Facebook et sur le média officiel de son parti Jotna, reprises abondamment ici et là, ont mis fin aux suspicions et aux doutes qui étaient notés jusqu’ici concernant les choix pour la présidentielle du 25 février 2024.
Bassirou Diomaye Faye est son champion. « Diomaye mooy Sonko », comme le note l’affiche qui sert de photo de profil à Sonko sur sa page Facebook actualisée dés la publication de la liste des 20 candidats à la présidentielle de février 2024. Le leader de l’opposition en prison, semble dire que s’opposer c’est prévoir. Il a ainsi une certaine longueur d’avance sur ses adversaires qui ont pourtant plus de moyens à leur disposition. Il sera très présent dans la campagne électorale.
L’Etat qui détient « le monopole de la violence légitime », « omniprésent » et « omniscient », n’a-t-il pas péché dans la gestion de l’information ? Si le maire de Ziguinchor est au courant de tout ce qui se tramait, il y a sans doute des défaillances à des niveaux élevés de l’administration ou une opposition intestine sourde sur ce qui se fait. En attendant d’autres déclarations du prisonnier le plus célèbre au Sénégal, son candidat qui subit le même sort que lui est l’absent le plus présent.
Les enregistrements à venir pourraient lui donner plus d’étoffe, plus de crédit. Sonko travaille pour Diomaye. Il est en campagne.
Scénarios
Beaucoup de partisans du pouvoir avaient soutenu mordicus que le numéro 2 de Pastef est sur la même longueur d’onde qu’Ousmane Sonko qui est exclu de la course à la présidentielle du 25 février 2024.
D’ailleurs, ils étaient nombreux les chroniqueurs et autres analystes qui ont alimenté une telle éventualité sans nuance arguant pour la plupart que Faye un des responsables d'un parti dissous, ne devrait aucunement briguer la magistrature suprême. Surtout de la prison où il se trouve chargé par des chefs d’accusations d’une lourdeur sans commune mesure, susceptibles de fermer toutes les portes.
Bassirou Diomaye Diakhar Faye présent à l’appel, a sans nul doute provoqué une douche froide chez bien des soutiens du régime.
Plusieurs scénarios sont envisagés certes par des personnalités de moindre importance du régime, mais ils reflètent un certain état d’esprit qui s’apparente à du défaitisme. On a même entendu et suivi une députée très colorée soutenir qu’elle va se suicider si Diomaye gagnait.
Les plus audacieux avec une forte dose de désopilance, soutiennent que s’il est sorti victorieux du scrutin, c’est le président de l’Assemblée nationale qui va nous diriger. Quelle étroitesse d’esprit !
A y regarder de près, ces attitudes viennent de leur candidat Amadou Ba qui avait déposé un recours contre le candidat Faye et Cheikh Tidiane Dièye, proche de Sonko et de Pastef. Une suite logique de la dynamique observée jusqu’ici : faire obstruction aux champions qui peuvent freiner leur marche.
Le résultat est là : beaucoup de malentendus dans le camp de Benno Bokk Yakaar et de l’Apr. Des hésitations, de la colère mal contenue, un manque de confiance, de petites querelles qui peuvent gripper la machine d’un candidat « amorphe », pour reprendre le mot de Souleymane Jules Diop.
Et ces accusations gravissimes du Parti démocratique sénégalais (Pds) à l’encontre de deux juges du Conseil Constitutionnel, et cette enquête parlementaire diligentée de façon si expéditive par le pouvoir et ses députés, et ce report agité ne plaident pas forcément pour Amadou Bâ qui se défend laborieusement.
Que nos Lions soient encore champions d’Afrique ! Qu’ils battent la Côte d’Ivoire. Eux, nos Jàmbaars combattent sabre au clair. Ils ne cherchent pas la facilité devant leurs adversaires. Ils ne trichent pas.
(L’Info)