Bien évidemment, ce serait la même chose si on remontait aux années 80. Le Sénégal refuse d’avancer sur le plan politique, de moderniser son système politique, de faire évoluer les mœurs et la pratique politiques. Ce quand bien même il a connu deux alternances exemplaires à la tête de son Etat. Mais voilà, les vieilles habitudes sont difficiles à chasser et, par une sorte de réflexe pavlovien, les acteurs politiques reviennent toujours aux mêmes pratiques archaïques quand bien même ils prétendent que ce pays est le laboratoire de la démocratie en Afrique. Sauf que, pendant qu’il en est encore aux éprouvettes, les autres ont expérimenté et appliqué ses découvertes depuis longtemps !
Ainsi, ces jours-ci, le sujet à l’ordre du jour c’est le Dialogue politique, un concept fourre-tout, une auberge espagnole dans lequel chacun met ce qu’il voudrait voir. Car enfin, dans une démocratie, le dialogue doit être permanent, naturel, huilé entre une Majorité qui gouverne et une Minorité qui s’oppose mais entre lesquels les ponts ne sont pas coupés, le président de la République recevant régulièrement — en tout cas à chaque fois que la situation le requiert — le chef de l’Opposition.
Ou, plus largement, les leaders de cette dernière particulièrement lorsque la Nation doit faire face à des périls extérieurs ou lorsque son armée s’engage sur des théâtres extérieurs. C’est valable bien sûr lorsqu’il s’agit de faire la guerre pas pour des opérations de maintien de la paix ! Mais voilà, au Sénégal, ce qui aurait dû être naturel, ordinaire, banal est perçu comme quelque chose d’extraordinaire, une faveur immense que le président de la République accorderait à son opposition !
Ainsi, depuis son accession au pouvoir, il y a cinq ans, l’actuel président de la République n’a reçu en audience son opposition qu’une seule fois. Et encore, une audience publique, ouverte au tout-venant, en présence de tous les activistes et troubadours du pays ainsi que devant les caméras de la Télévision nationale. Une Télévision «nationale» qui, autrement, en temps normal, reste obstinément fermée à l’opposition.
Laquelle tient pourtant son existence de la Constitution ! Une Constitution qui institue un statut de l’Opposition… qui n’a qui n’a jamais été octroyé à cette dernière. Et pourtant, l’actuel président de la République avait présenté sa Constitution de mars 2015 comme devant représenter une avancée démocratique majeure pour notre pays mais en réalité, tout ce qui l’intéressait là-dedans, c’était la disposition qui lui permet de faire un mandat de sept ans au lieu de cinq comme il s’y était engagé urbi et orbi lors de sa campagne électorale de 2012.
Statut de l’opposition : un serpent de mer vieux d’au moins 30 ans !
Le statut de l’opposition, voilà un serpent de mer que l’on agite et dont on parle dans notre pays depuis les années 80 ! Jeune journaliste à « Takusaan », quotidien créé par le Parti démocratique sénégalais (Pds) en 1983, puis au « Démocrate » avant de fonder « Sopi », je me rappelle que le statut de l’opposition constituait une des revendications de l’opposition qui revenaient comme une antienne à l’époque.
Trente-cinq ans plus tard, il n’est toujours pas réalité au Sénégal. Pourtant, celui qui l’avait le plus théorisé, l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, a tout fait pour attribuer ce statut à son opposition d’alors. Il est vrai qu’il avait voulu le faire au lendemain de la présidentielle de 2007 mais une situation kafkaïenne née des résultats des législatives suivantes avait fait que cette idée généreuse n’avait pas pu être matérialisée. En effet, à l’issue de ce scrutin, le Parti socialiste (PS) avait obtenu un plus grand nombre de voix que son grand rival, l’Alliance des Forces de Progrès (AFP).
Lequel, pour avoir remporté un département, avait obtenu plus de députés que le PS ! Difficile, dans ces conditions, d’attribuer ce statut revendiqué par l’une et l’autre de ces formations politiques. Cela dit, ayant constitutionnalisé ce statut et le PDS étant incontestablement le plus grand parti de l’opposition sénégalaise, on ne voit pas ce qui empêche le président de la République d’octroyer enfin le statut de chef de l’opposition au parti de Me Abdoulaye Wade avec tous les avantages qui s’y rattachent.
Hélas, le président Macky Sall est plus prompt à débaucher des députés de l’opposition et à «casser» l’unique groupe parlementaire de celle-ci à l’Assemblée nationale — comme on l’a vu lors de la précédente législature — qu’à consolider la démocratie en donnant à la minorité son dû, ses droits et les moyens qui vont avec ! Les débauchages et les emprisonnements d’opposants, des pratiques minables que notre pays aurait dû dépasser depuis longtemps, assurément.
Dialogues autour du Dialogue
Pour en revenir au Dialogue, encore une fois, il nous semble qu’il doit être permanent, naturel, civilisé. Et non prendre la forme d’une grand’messe folklorique ouverte à tous les activistes de la République d’autant plus désireux de se faire voir que la Télé est là. Hormis ce dialogue permanent essentiel à la respiration démocratique — au même titre que l’alternance —franchement, je ne vois pas ce qu’on veut dire par Dialogue national.
Car ce à quoi le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, a convié l’ensemble de la classe politique le 21 novembre prochain, ne saurait être autre chose qu’une revue technique du code électoral. Cela s’est fait de tout temps au Sénégal, à la veille des échéances électorales, les partis examinant les moyens de bien organiser les prochaines échéances. De ce point de vue, il s’agit plus d’une réunion technique qu’autre chose.
En tout cas pas une instance ou un Forum où on se partage le pouvoir ! Or, dans la tête de beaucoup, dans notre classe politique, le Dialogue national, cela doit déboucher sur cela. Ce qui serait un grand danger pour la Démocratie car, encore une fois, dans un tel système, la Majorité gouverne et la Minorité s’oppose. Sinon, bonjour le chaos comme avec ce qui s’est passé au Mali sous le régime du président Amadou Toumani Touré où toute la classe politique était allée à la soupe, l’opposition ayant prétendu vouloir «aider» l’ancien président à «construire» le Mali. Résultat : le désastre que l’on connaît, dont les conséquences se poursuivent encore…
Le dialogue, peut aussi prendre la forme de concertations nationales autour de problématiques précises comme les Etats généraux de l’Education et la Formation par exemple. Il peut aussi se faire à travers les institutions comme l’Assemblée nationale, le Haut Conseil des Collectivités territoriales, le Conseil économique, social et environnemental…
Financer les partis pour que cessent le misérabilisme et le règne des timoniers !
Le Sénégal doit enfin se mettre à la page en instaurant un financement public des partis politiques. Car si des pratiques opaques comme l’octroi de subventions par le président de la République via sa causse noire à ses partis alliés pour leur permettre de fonctionner subsistent, c’est bien parce qu’il n’existe pas de mécanisme transparent pour leur permettre de faire face à leurs charges ! Sur ce plan, le Sénégal est en retard par rapport à des pays — n’allons pas chercher loin — comme la Côte d’Ivoire ou le Mali.
On pourrait octroyer des financements aux partis sur la base de leur nombre d’élus aux élections locales ou nationales avec un coefficient pour chaque élu. C’est un système équitable et transparent puisque les partis qui ont le plus d’élus sont naturellement les plus riches, ceux qui en ont moins touchent moins et ceux qui n’ont pas du tout d’élus ou ne veulent pas participer à des élections ne pourraient s’en prendre qu’à eux-mêmes !
Ce financement pourrait non seulement permettre aux partis de fonctionner convenablement, de disposer de sièges, de véhicules, de locaux et de permanents correctement payés, mais aussi de pouvoir s’acquitter de leur mission d’éducation politique de leurs militants ! Une mission qu’ils ont tendance à oublier maintenant. Ensuite, cela aurait pour avantage de limiter la transhumance, la plupart du bétail électoral ne migrant vers des prairies plus herbeuses que pour des raisons alimentaires.
Dernier avantage, et non des moindres, un financement public permettrait de démocratiser davantage, pour ne pas dire enfin, nos partis qui sont la propriété personnelle de leurs fondateurs pour une raison bien simple : ils en sont les uniques bailleurs. Conséquence : militants et responsables n’ont pas voix au chapitre, capitulant devant les timoniers qui sont à la barre depuis des lustres.
Et puis, l’Etat peut-il octroyer des subventions à la presse, aux fédérations sportives, au monde de la Culture — deux milliards rien que pour le cinéma, 500 millions pour le Livre, 300 millions pour les cultures urbaines etc. — et ne pas financer les partis qui participent à l’expression du suffrage et jouent un rôle si essentiel à la consolidation de la Démocratie ? Il y a là, assurément, quelque chose d’inéquitable auquel il faudrait remédier bien vite.
Pour le reste, il faudrait organiser un réel accès de l’opposition aux médias d’Etat et aussi que la Justice elle-même fasse enfin sa mue pour comprendre qu’une opposition est une composante essentielle de la démocratie et que la place de ses dirigeants, ce n’est pas forcément la prison.
On le voit, les chantiers sont nombreux, urgents et nécessaire pour un indispensable aggiornamento de notre système politique…
Mamadou Oumar NDIAYE