Oui, M. le Président, vous avez raison de décerner un brevet de satisfecit à votre brillantissime ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo (ADD), qui a abattu un travail herculéen en si peu temps au point de vous faire gagner irrégulièrement des élections que la majorité sortante craignait de perdre. Là réside le génie de l’homme incompris par une poignée d’opposants aigris et d’intellectuels déphasés. Lui, ADD, est dans le pragmatisme alors que ses contempteurs sont dans les querelles archaïques et les luttes désuètes de transparence du fichier électoral.
Le sabotage électoral organisé : une idée de génie
Le génie de l’homme est à jauger à l’aune de son génie à gagner des élections à perdre. D’abord, il a déboursé 50 milliards de nos deniers publics dans un marché de gré à gré avec Iris Corp pour nous procurer dix millions de cartes biométriques là où le groupe hollandais Gemalto en a fabriqué 24 millions pour l’Algérie avec 12 milliards de francs CFA. L’Algérie, un pays deux fois plus peuplé que le Sénégal, dix plus vaste, 100 fois plus riche. Il faut surtout féliciter ce responsable de premier plan de l’APR parce que la société IRIS Corp avec laquelle il a conclu ce marché dispendieux est vertueuse sauf que son Directeur général, Datuk Hamdan Mohd Hassan et son directeur des opérations internationales ont été arrêtés le 22 janvier 2017 par la Commission anti-corruption de la Malaisie (MACC). Soit presque quatre mois après que l’opération de la fabrication des cartes biométriques a été lancée au Sénégal.
Ensuite, ces félicitations que vous adressez à votre cher ministre de l’Intérieur sont d’autant plus méritées M. le Président, qu’il a réussi le pari à ne produire que 5,2 millions de cartes sur une demande de presque 6,5 millions. Oh certes, il a empêché à plusieurs Sénégalais de disposer de leur sésame pour accomplir leur devoir civique le 30 juillet dernier, mais chez vous, les ministres ne sont pas jaugés à l’aune de leur efficacité mais de leur appartenance politique et de leur soumission à vous. Une véritable prouesse antirépublicaine cette incapacité à produire 6,5 millions pour 50 milliards payés.
D’ailleurs, le fait de vous avoir poussé à violer la loi électorale en vous poussant à demander au Conseil constitutionnel de voter avec les récépissés, passeports ou anciennes cartes numérisées est considéré dans votre camp comme un acte républicain approuvé par vos militants parce que finalement vous avez empêché à plusieurs Sénégalais qui rejettent votre politique de connaitre leur bureau ou centre de vote le jour du 30 juillet. Et cela est l’œuvre ou la manœuvre de votre formidable ministre de l’Intérieur, champion des promesses non tenues, car il n’a pas, avec ses gouverneurs, préfets et sous-préfets, affiché les listes électorales dans les centres de vote pour orienter les détenteurs de récépissé. Il s’y était pourtant engagé l’ancien subordonnée de l’alors Directeur général des impôts et domaines, Amadou Bâ. Et de Charybde en Scylla, le site de la Direction générale des élections (DGE) qui servait de boussole a été désactivé pour ajouter au désarroi des détenteurs de récépissés désemparés.
A cela s’ajoute, le démarrage tardif ou simplement la non-ouverture de bureaux de vote partout dans le Sénégal et la diaspora. Il a réussi à empêcher à 220 bureaux de vote à Touba de ne pas ouvrir ainsi qu’en Côte d’Ivoire à Adjamé où le consul et son équipe ont été copieusement arrosés de huées et les opérations de vote perturbées. Mais bon, pour vous et vos partisans ces huées, ce sont certainement des applaudissements. Votre ministre de l’Intérieur aura permis de nous faire revivre, avec la bordée des ordres de mission et de certificats d’immatriculation, l’époque chaotique des ordonnances de 1993 qui avaient permis à l’alors régime socialiste de s’ouvrir un boulevard de fraudes.
Ah j’allais oublier les transferts d’électeurs qui, là aussi procèdent de l’ingéniosité de votre excellent ministre de l’Intérieur. Abdoulaye Daouda Diallo est un expert ès-organisation d’élections. Avec la complicité d’une certaine administration, des milliers d’électeurs ont été transféré dans des zones qui ne sont ni leur lieu de résidence ni leur lieu de vote. 14 mille électeurs transférés de Guédiawaye aux Parcelles assainies pour permettre à Amadou Bâ, l’ancien patron de ADD, de terrasser le teigneux Moussa Sy, des milliers d’autres des villages sérères acheminés à Grand-Dakar pour renforcer l’assiette électorale du maire socialiste Jean Baptiste Diouf.
Pour empêcher aux partis politiques d’auditer le fichier électoral et maîtriser la cartographie des bureaux de vote de tout le Sénégal, votre ministre de l’Intérieur n’a remis qu’à quelques jours des élections alors que, selon les dispositions du code électoral, il devait le faire deux mois auparavant afin de permettre une phase contentieuse et de correction.
Tenir en respect une opposition trublionne : une prouesse davidienne
Enfin ce qui ce qui doit vous plus pousser à féliciter votre austère ministre de l’Intérieur, c’est sa promptitude ahurissante à interdire les marches de l’opposition et à les réprimer impitoyablement. Ce, sous prétexte d’insuffisance de forces de l’ordre alors que même les dispositifs chargés de mater ces marches suffisaient largement à les encadrer. Sur ce plan-là, il fait preuve d’intelligence en opposant au Président Wade qui voulait marcher pour exiger les cartes en souffrance le fameux arrêté Ousmane Ngom arrêté interdisant toute marche dans le périmètre de Dakar-Plateau. Nonobstant les criaillements et jérémiades de l’opposition pleurnicharde, malgré les hurlements de la société civile qui dénonce les interdictions de marche, il a la tête dans le guidon : maintenir l’ordre dans l’espace urbain du Plateau.
Finalement avec autant d’irrégularités, pardon autan d’exploits, qui ont permis à votre coalition de gagner les 75% de députés (125 sur 165) avec 49,48% des suffrages exprimés, vous ne pouvez que décerner à votre très dévoué ministre de l’Intérieur que la palme de l’excellence. Comme vous l’avez dit avec une conception coubertiniste, l’essentiel était de gagner et Daouda a fait preuve de maestria pour vous faire gagner. Au diable le respect de la loi électorale, au diable les 30% d’électeurs qui n’ont pas reçu leurs cartes biométriques pour voter. Au diable ces électeurs dont les bureaux n’ont jamais ouvert pour leur permettre de voter. Seule la victoire à tout prix compte, qu’il y ait fraude, usurpation, irrégularité, cela n’a aucune espèce d’importance dans notre «Républiquette» vos desiderata avalisés par un Conseil constitutionnel aux ordres et soutenus par une CENA obséquieuse font loi.
A part ce résultat trompeusement élogieux qui doit vous effarer, rien n’est important, M. le Président. Pourtant si on considère que l’offense est une parole blessante, nous pouvons dire, M. le Président que vous nous avez offensés parce que vous ne vous souciez pas de ces dizaines de milliers de Sénégalais qui ont souffert le martyre pour accomplir comme vous leur devoir civique lorsque vous félicitez publiquement Abdoulaye Daouda Diallo. En guise de réponse à leur souffrance profonde, vous félicitez sans pudeur celui qui est à la base de l’organisation calamiteuse de ces élections du 30 juillet dernier.
Certes, il vous a rendu un énorme service parce que vous ayant permis de gagner là où vous auriez certainement perdu avec un peu de transparence mais sachez qu’il a fait du tort à plus d’un million d’électeurs dont le seul «crime» est d’être tombé sur un ministre de l’Intérieur dont l’incompétence avérée en matière d’organisation électorale n’est plus objet ou sujet de discussion. Féliciter sans gêne le ministre de l’Intérieur parce qu’il vous a fait gagner ce qui vous empêchait de dormir est une façon de narguer ceux à qui il a causé du tort. Et le meilleur service à rendre à ce hyper-ministre, c’est de l’éloigner définitivement de la place Washington vers une autre destination.
Sinon vous risquez de plonger, dans les 17 mois qui nous séparent de la présidentielle, le Sénégal dans un cycle de perturbations voire de violence puisque déjà la Coalition gagnante de Wade a averti sur les dangers que vous pourrait engendrer le maintien de Daouda Diallo pour l’organisation de la présidentielle de 2019. Et dans le même sillage, Manko Taxawu Sénégal avait déjà haussé le ton après avoir décrié l’implication ultra-partisane de Daouda et de ses préfets et sous-préfets (dont on se demande s’ils sont fonctionnaires ou militants de l’APR !) dans le processus électoral. Une boule de feu si vous n’y prenez pas garde. Mais bon n’ayez pas crainte, votre Jules Moch (ministre de l’Intérieur français très répressif de novembre 1947 à février 1950) corrigera sans aménités tout fauteur de trouble.
Post-Sriptum : Ah vous dites M. le président que Bennoo a progressé de 300 mille voix par rapport au référendum de 2016. La comparaison nous laisse croire que ces deux échéances représentent la même chose pour vous. Mais permettez-moi de vous dire que la progression n’est pas de 300 mille voix, mais de 177 148 puisque au référendum le «oui» que vous défendiez l’avait remporté avec 1 367 592 et aux législatives votre coalition a réalisé un score de 1 544 740 voix. C’est l’opposition réunie qui a progressé de 800 000 voix si on y enlève le score lilliputien de tous les partis-pantins des saltimbanques et autres histrions comme Serigne Mbacké Ndiaye, Farba Senghor et Ousmane Faye parrainés par le pouvoir. N’est-ce pas, M. le «Wadiste éternel» Samuel Sarr ?
Serigne Saliou Guèye