La faillite du ministère de l’Intérieur
D’abord le ministre de l’Intérieur qui a en charge l’organisation des élections et référendums a failli depuis l’enrôlement des électeurs passant par la distribution des cartes, la publication du fichier électoral et des bureaux de vote jusqu’au jour du vote. Tous ces manquements voire défaillances n’ont pas contribué à avoir un scrutin apaisé, transparent et démocratique. En effet, sur les 6.219.447 inscrits, seules 5.379.330 cartes d’identité biométriques, qui font office de cartes d’électeurs, ont été produites.
Ce qui veut dire que presque 900 000 électeurs n’ont pas reçu leurs cartes et la solution ad-hoc du Conseil constitutionnel n’a fait que dérouter davantage les électeurs qui ont voulu utiliser leurs récépissés pour accomplir leur devoir civique. Aucune liste affichée dans les centres de vote pour consulter son bureau, le site web de la Direction générale des élections désactivée. Finalement, plusieurs Sénégalaises et Sénégalais déboussolés, découragés ont été privés de vote. Et les plus grandes victimes ont été les électeurs de Dakar où l’on a enregistré le taux de délivrance de cartes le plus faible du Sénégal : 51%. Alors que la capitale polarise le 1/3 de l’électorat du pays.
A Touba, zone favorable à l’opposition plus précisément à Abdoulaye Wade, plus de 40% des électeurs n’ont pas connu le bonheur de choisir leur candidat puisque le démarrage tardif du vote (jusqu’à 14h) a soulevé l’ire des populations qui ont saccagé tout le matériel électoral. Dans plusieurs autres localités, le vote n’a pu pas se dérouler normalement à cause de la forte pluie qui a inondé les lieux de vote et empêché des électeurs de sortir de leur maison pour aller voter. En sus, il faut souligner que plusieurs bureaux ont été fermés à 18 h sans respecter les 10h légales de la durée du vote. La conséquence est que plusieurs électeurs, surtout ceux de Dakar, ont été privés injustement de vote parce que le préfet n’a pas voulu sortir un arrêté de prorogation.
Malgré les obstacles dirimants, au regard du corps électoral consistant, de l’engouement devant les bureaux de vote, en dépit du fait que certains peinaient à retrouver leur nom sur la liste et d’autres difficultés imputables à la Commission électoral national autonome (CENA) et au ministère de l’Intérieur, les Sénégalais ont tenu à voter massivement. Mais ce scrutin reste entaché par la floraison des ordres de missions délivrés à des milliers de personnes qui n’ont pas quitté leur localité de vote. Et jusqu’à aujourd’hui, le ministère de l’Intérieur n’a pas justifié le pourquoi de ces milliers d’ordres de mission destinés pour la plupart aux Parcelles assainies, le grenier électoral de Dakar.
Mode de scrutin inique : Peu de voix, plusieurs députés
Après le comptage des voix, il est ressorti que la Coalition présidentielle, Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) a remporté le jackpot électoral (1 million et 663 447 voix) avec 125 sièges sur 165. Une razzia, a priori, si l’on sait qu’il y a eu une fournée de partis et de coalitions prétendants aux sièges de l’Assemblée nationale. La deuxième coalition qui suit BBY est la coalition gagnante Wattu – CGWS – (549 551 voix) qui s’en sort avec 19 sièges. Manko Taxawu Senegaal (MTS) dont la tête de liste croupit actuellement en prison recueille 7 sièges. Mais cette coalition a remis en cause ces résultats parce que l’administration électorale lui a extorqué les 7 postes députés de Dakar qu’il revendique mordicus. Les résultats de Dakar qui donnent vainqueur BBY devant MTS (114.603 voix de BBY contre 111.849 voix pour MTS) avec un différentiel de 2754 voix a laissé pantois les Sénégalais.
Avec une communication planifiée, Amadou Ba, tête de liste de BBY à Dakar, a été le premier à proclamer au soir des résultats sa victoire vers 2H avec 7000 voix de plus. Et dès le lendemain, une certaine presse collaborationniste l’a intronisé champion de Dakar. Et cette presse a, pendant quatre jours, publié des résultats fantaisistes avec un pourcentage et un nombre de députés tendancieux.
Et finalement, la Commission nationale de recensement des votes (CNRV) a publié le jeudi 03 août à 5 cinq heures du matin, les résultats provisoires qui doivent être validés, corrigés ou invalidés par le Conseil constitutionnel. Surtout que MTS a introduit une requête aux fins d’annuler tous les bureaux inondés par les ordres de missions «illégaux». Mais MTS ne doit pas se faire d’illusion puisque ce Conseil constitutionnel n’est que le dernier moteur de la machine électorale activée pour faire gagner haut la main BBY.
L’hypocrisie des observateurs électoraux et la complaisance des institutions
Parlant de machine électorale, il faut souligner, que les institutions (CENA, Conseil constitutionnel), le ministère de l’Intérieur (Daf, DGE) n’ont pas fait preuve de neutralité patente. Jamais la confection et la délivrance défaillantes des cartes biométriques n’ont été dénoncées par la CENA dont le rôle est d’assurer la transparence du processus électoral. Pire, elle s’est agenouillée devant le Prince pour avaliser une transgression du protocole de la Cedeao avec l’imposition des cinq bulletins de vote.
A cela, s’ajoute la complaisance des observateurs de l’Union africaine et de l’Uemoa qui ont parlé d’un scrutin transparent et démocratique. Last but not least, le Conseil constitutionnel qui a avalisé la forfaiture consistant à voter avec des récépissés sans garantir aux détenteurs leur présence sur les listes électorales ou les moyens de retrouver leur lieu de vote. Avec tout cela, il serait illusoire que ces sages rament à contre-courant des résultats publiés par la CNRV.
Résultats trompe-l’œil de Bennoo
Pour en revenir aux résultats, il convient de signaler que le nombre de députés écrasant de BBY ne correspond pas à sa démographie électorale. 125 députés avec un pourcentage de 49,48. Ainsi minoritaire dans le vote, il devient majoritaire à l’Assemblée à cause d’un mode de scrutin inique fabriqué à l’époque par Senghor et hérité de la 5e République gaullienne pour s’assurer une majorité stable. BBY s’attribue 75% des députés alors que si on était dans une proportionnelle intégrale plus équitable, il se retrouverait avec 82 députés. C’est pourquoi, le président Sall ne doit ni pavoiser, ni se noyer dans ce triomphalisme trompeur de certains de ses responsables qui veulent masquer leur échec dans la palanquée de sièges obtenus.
Quand une certaine presse «embedded» s’empresse d’introniser Amadou Ba, patron de Dakar avec 36%, il y a de quoi se demander les critères objectifs sur lesquels elle se fonde pour distiller de telles énormités à moins que les millions qu’ils distribuaient à la pelle n’aient influé sur leur trajectoire rédactionnelle. 64 % des électeurs ont opposé une fin de non-recevoir à son discours politique. Par conséquent, ce dernier n’a ni gagné dans son bureau, ni dans son centre de vote. Le vrai héros de BBY à Dakar, c’est Abdoulaye Diouf Sarr, maire de Yoff, qui a fait la différence dans sa localité. Aujourd’hui, avec plus de lucidité, le président Sall doit savoir que l’objectif de BBY n’est pas atteint puisque 50,52 % de la population électorale n’adhère pas à son projet en dépit de son bilan plus ou moins élogieux de ses cinq ans de gouvernance.
Le manque de stratégie de Manko…
Maintenant cette défaite de l’opposition n’est pas seulement imputable aux défaillances de l’administration – ce serait réducteur – mais surtout à la division des états-majors politiques du Manko originel. Pendant les semaines qui ont précédé le scrutin, la vie de l’opposition a été dominée par des discussions stériles entre les camps de Khalifa et de Wade, des batailles d’ego, des postures inutiles et des rendez-vous manqués, les uns et les autres étant plus soucieux des apparences politiciennes que des réalités stratégiques. Finalement, ce qui aurait pu être le duo gagnant dans plusieurs localités (dont Dakar et sa banlieue qui font 14 députés) ne s’est pas matérialisé et, au lieu de courir ensemble, MTS et CGWS ont couru chacun dans son couloir, en parallèle, se drossant vers l’écueil de la défaite électorale amère.
Les raisons de la défaite de MTS hors de Dakar sont évidentes. La stratégie anti-mackyste, la personnalisation de l’élection autour de la personne de Khalifa et le discours victimaire sont friables dans les localités de l’Intérieur du Sénégal. En aucun moment, MTS ne s’est déplacé dans le Sénégal des profondeurs pour répandre son discours. Il s’est confiné à Dakar sans même trouver une stratégie de reconquête des communes dont les maires ont été débauchés par Macky. En l’absence de Khalifa, rien n’empêchait à Barthélémy Dias, bien que figurant sur la liste de Dakar, de constituer une équipe avec Serigne Mansour Sy Djamil et Cheikh Bamba Dièye et de parcourir le Sénégal à l’instar du nonagénaire Wade et du jeune Dionne. A Guédiawaye, Gakou a fait preuve de mollesse tandis qu’Idy conserve encore le bastion communal de Thiès.
Et la bouée de sauvetage de Wade
Quant à Abdoulaye Wade, il a sauvé sa coalition en crise à un leadership. N’eût-été sa présence, la CGWS n’aurait pas obtenu les 19 sièges à la Place Soweto. Même s’il n’a proposé aucun programme de législature, son charisme et l’échec de Macky dans la mise en œuvre de son PSE dans certaines localités du pays lui a fait gagner plus de 500 mille voix.
L’émergence du Pur
Le Parti de l’Unité et du Rassemblement (Pur) qui engrange 3 postes de députés est la révélation de ces joutes électorales. Sans coalition, il est parvenu à obtenir 155 037 voix pour trois députés. Mais cela n’a rien de surprenant si l’on connait le mode d’organisation et de fonctionnement de parti fondé par Moustapha Sy, leader des Moustarchidines wal Moustarchidates.
Le Pur, parti d’essence islamo-confrérique, est porté par une base militante de Moustarchidines wal Moustarchidates engagés et mobilisés, en particulier dans toutes les localités du Sénégal. Il a su mettre en place une couverture territoriale très étendue, doublée d'une machine de communication parfaitement huilée, non pas saisonnière comme c'est le cas de beaucoup de partis, qui travaille sur la durée.
Avec une ligne idéologique claire (contrairement au flou idéologique et à l’absence de vision et de projet clairs comme le PVD de Serigne Modou Kara), avec un discours bien travaillé et formaté, une communication soignée, une discipline de fer des militants et, surtout, des responsables qui savent mobiliser les troupes, le Pur est devenu aujourd’hui une marque politique reconnue par les électeurs grâce au talent et au charisme de son leader Moutapha Sy.
L’effondrement de certains pontes politiques
Quant aux autres coalitions qui se partagent les reliefs des députés, il faut souligner le sauvetage des Abdoulaye Baldé, Sokhna Dieng Mbacké, Modou Diagne Fada, Théodore Chérif Monteil, Diop Sy, Ibrahima Abdou Nguette, Aïda Mbodj, Aïssata Tall Sall, Cheikh Tidiane Gadio et Ousmane Sonko qui ont bénéficié du plus fort reste. Tous les autres 33 coalitions ou partis composés, pour la plupart, de saltimbanques, de pantins comme Ousmane Faye, Serigne Mbacké Ndiaye, Pape Samba Mboup, Farba Senghor, Damel Meissa Fall, Déthié Diouf, et autres ont mordu la poussière.
Pour ce qui concerne Mamadou Sy Tounkara de Defar Sénégal et Mohamed Sall Sao de la coalition Assemblée Bi Nu Begg, leurs discours, axés sur la promotion axiologique des valeurs et vertus pour la mise à l’écart des politiciens, ont été rejetés par la masse des électeurs qui ont refusé de les envoyer à la place Soweto. Comme pour dire qu’au Sénégal, indépendamment du discours vertueux, il faut un ancrage sociologique, disposer de beaucoup de moyens financiers, pour espérer conquérir le suffrage des électeurs.
Serigne Saliou Guèye