Au total, 46 députés de l’opposition faisaient à leurs collègues socialiste. Le député du PDR/Rénovation dirigée par Serigne Diop étant considéré comme une excroissance du PS. Et deux groupes parlementaires d’opposition s’étaient composés : l'Alliance des Forces de Changement pour l'Alternance (AFCA) créée par le PDS en compagnie d'And Jëf, du CDP et du PIT alors que l'Union pour le Renouveau Démocratique (URD) établit le Bloc Républicain pour le Changement (BRC) avec la LD/MPT, le BCG et le RND. Pour la première fois à l’Assemblée nationale, il y avait 46 députés de l’opposition avec trois groupes parlementaires (deux de l’opposition et un du pouvoir).
L’intérêt de ces législatives était qu’elles constituaient des élections de mi-mandat parce qu’elles permettaient aux Sénégalais d’élire une nouvelle Assemblée mais de sanctionner le travail de l’alors président Abdou Diouf à deux ans de la présidentielle de 2000. En cela, ces élections représentaient une sorte de primaire aux échéances électorales de 2000. In fine, les résultats des législatives montraient que le président Abdou Diouf faisait jeu égal avec l’ensemble des forces qui s’opposaient à son projet politique.
Dès lors, les partis de l’opposition notamment les forces de la gauche communiste comprirent qu’un second tour suivi d’une alternance, était, pour la première fois dans une élection présidentielle au Sénégal, une possibilité voire une probabilité, surtout qu’un nouveau ministre de l’Intérieur d’une neutralité électorale avérée était nommé en la personne du général Lamine Cissé et qu’un organisme de gestion des élections à équidistance des partis politiques, l’Observatoire national des élections (Onel) était mis en place. L’exclusion de Moustapha Niasse un an plus tard du PS rendait irréversible le second tour et l’alternance en 2000.
Le PM Dionne rate l’objectif des 60% fixé par le président Sall
Si nous avons évoqué cet épisode dans la vie politique de notre pays, c’est pour le mettre parallèle avec le bouillonnement électoral que nous sommes en train de vivre en 2017. Certes, comparaison n’est pas raison mais nous retrouvons aujourd’hui dans le même schéma politique presque deux décennies après les élections qui ont fait le lit de l’alternance de 2000.
Les législatives de 2017 se sont tenues dans un embrouillamini inextricable. En dépit des difficultés constatées dans le retrait des cartes biométriques, l’utilisation des récépissés, de l’achat des consciences, de la corruption scandaleuse et du débauchage à outrance, de la violation constante du code électoral (modification de la loi électorale à un mois de la tenue de la compétition, oukase du Conseil constitutionnel, publicité sur les réalisations du gouvernement à des fins propagandistes), la coalition au pouvoir est en dessous des 50% des suffrages exprimés. 49,48 %.
Une vraie contre-performance par rapport aux dernières législatives où la coalition présidentielle trustait la première place de la classe avec un score de 53,06 %. A ces violations, il faut ajouter l’exploitation politicienne l’image du président de la République et celles des autres ténors de Bennoo Bokk Yaakaar mis en exergue dans les affiches électorales alors que le Conseil constitutionnel l’avait expressément interdit à la Coalition Sopi du président Wade dirigée à l’époque par Idrissa Seck.
C’est ici le lieu de rappeler aux partisans du Président Sall qui ont soutenu une telle violation qu’aux élections législatives de 2001, face à la volonté du chef de l’État, Abdoulaye Wade, de participer avec son effigie, le Conseil constitutionnel avait répondu par une fin de non-recevoir courageuse. En effet, le juge avait estimé dans sa décision du 26 mars 2001 que «le principe d’égalité entre les partis ou coalitions de partis commande qu’ils connaissent le même traitement ; qu’ainsi, aucun d’eux ne peut, au cours d’une compétition électorale à laquelle le président de la République n’est pas candidat, utiliser l’image et les attributions constitutionnelles de celui-ci». En conséquence, cette décision a été confirmée par la Cour d’Appel lors des législatives de 2012 quand Bennoo Bokk Yaakaar ont voulu se servir de l’image du président Macky Sall pour conduire sa campagne.
Pour en revenir aux manœuvres contre-performatives de Bennoo, il faut ajouter que l’utilisation outrancière des médias d’Etat qui lui faisaient la part belle, l’investiture de certains marabouts notamment les Mbacké-Mbacké pour remporter Touba, le sabotage de l’élection à Touba (plus 220 bureaux sans vote) la confection de milliers d’ordres de mission pour des individus qui n’en ont pas droit aux fins de voter dans des zones défavorables, n’ont pas permis au Premier ministre Boun Abdallah Dionne qui dirigeait la liste nationale d’atteindre l’objectif des 60% que lui avait fixés le président de la République. Ce dernier avait émis cet objectif minimal le 18 juin passé, lors d’un «ndogou» des jeunes de l’Alliance pour la République (APR) organisé par la coordinatrice nationale, Thérèse Faye.
Un 2e tour irréversible en 2019
Aujourd’hui même si la coalition au pouvoir fait main basse sur la quasi-totalité des départements du Sénégal (42/45) et réalise un bon score avec la liste nationale, il faut constater que c’est une minorité démographique qui devient une majorité accapareuse des députés à cause du mode de scrutin obsolète qui ne reflète pas le vote populaire. Malgré tout, il aura son groupe parlementaire face à ceux de Manko et Wattu. Avec 49,48 % des suffrages, Bennoo s’empare du gros morceau, tandis que les scores des partis et coalitions restants frisent les 50%. Ce qui veut dire que Bennoo gagne des places à l’Assemblée mais perd en termes de suffrages. En cinq ans, l’électorat du président de la République s’est effrité de presque 3,5 points par rapport aux dernières législatives. Et Dionne est à 14 ou 13 longueurs de l’objectif fixé par le chef de l’Etat.
En conséquence, il ne faut pas que l’arbre des nombreux députés de Bennoo cache la défaite électorale du président qui doit remarquer que plus de 50% de la population n’adhèrent pas à son projet politique et à son programme économique (Plan Sénégal émergent). Derrière les hourras jubilatoires des partisans du Président Sall se cache l’angoisse d’une réélection au premier tour de leur mentor en 2019. Abdou Mbow disait qu’un 2e tour est toujours fatal à un président sortant dans notre pays. Après les scènes de liesse parodiées, des simagrées et des joies feintes, le Président tirera les conclusions de l’effritement de son électorat.
Aujourd’hui plusieurs de ses ministres ou directeurs généraux déployés sur le terrain politique se noient dans la ferveur généralisée de la victoire pour dissimuler leur défaite dans leur localité. A Dakar même si Bennoo a remporté la palme, il faut souligner que les ministres Seydou Guèye, Maïmouna Ndoye Seck, Pape Abdoulaye Seck, Youssou Ndour, Eva Marie Coll Seck et le Directeur des impôts et domaines Cheikh Ba ont échoué dans leur «Remontada» à la Médina dirigée d’une main de maître par le maire Bamba Fall. Amadou Bâ et Mbaye Ndiaye sont battus dans leurs bureaux de vote. Seul Abdoulaye Diouf Sarr a tiré son épingle du jeu en gagnant largement dans sa commune de Yoff. Et son score a pesé dans le duel qui a opposé Bennoo et Manko.
Avec ces résultats qui nous renvoient à la configuration des législatives de 1998, un deuxième tour à la prochaine présidentielle n’est plus une incertitude. C’est une devenu une réalité. En 98, le président Diouf avait obtenu 93 députés sur 140 et s’est retrouvé à terre deux ans après. Deux décennies plus tard, le président Sall se retrouve entre 125 députés sur 165. Sera-t-il contaminé par le syndrome Diouf ? Dans deux ans, les électeurs livreront la réponse. A moins que d’ici cette échéance capitale le chef de l’Etat, patron du Conseil supérieur de la magistrature, instrumentalise sa justice pour rendre inéligible Khalifa Sall que les résultats des législatives désignent comme son adversaire N°1 en 2019 ou pour «prolonger» la villégiature de Karim Wade au Qatar.
Serigne Saliou Guèye