Il convient de relever que le juge électoral a été saisi le 24 juillet 2017, à une semaine des élections législatives, pour un avis sur les procédures des opérations électorales définies par le code électoral conformément aux dispositions de l’article 3 de la Constitution lequel garantit aussi le droit de suffrage.
Quel que soit l’avis ou « décision » du Conseil, il ne saurait se substituer à la loi portant code électoral adoptée par l’Assemblée nationale en procédure d’urgence en sa séance du 2 janvier et promulguée par le président de la République et sur le fondement duquel les actes préparatoires des élections ont été pris comme le seront les opérations du scrutin et la gestion du contentieux.
Le Président de la République ne saurait non plus solliciter un avis du Conseil constitutionnel en vue de prendre un acte qui relève du domaine de la loi. Nul besoin de rappeler qu’en cinq (5) jours aucun projet de loi ne pourra être initié, déposé, examiné, adopté, et promulgué compte tenu des procédures prévues par les articles 72 et 74 de la Constitution.
Dès lors, faudrait-il envisager un décalage de la date des élections afin de contourner par des mesures dérogatoires les exigences de la loi électorale qui prévoit uniquement la carte d’identité CEDEAO comme pièce d’identification de l’électeur ?
Au surplus, cette saisine du Conseil constitue un aveu implicite qui ne surprend guère tout observateur averti.
Force est de reconnaître que tous les préalables indispensables pour garantir le droit fondamental de suffrage ne n’ont pas été satisfaits. Mais l’argument de la faiblesse du taux de retrait des cartes d’identité/électeur invoqué dans le communiqué du me semble peu soutenable devant le caractère non obligatoire du vote.
Le récépissé délivré par la commission administrative chargée de l’enrôlement des électeurs ne présage nullement de la validité de l’inscription sur les listes électorales étant entendu que celle-ci peut être rejetée pour divers motifs sans compter les cas d’omission et électeurs détenteurs de cartes comportant des photographies floues ou confondues.
Pourquoi les dernières statistiques, livrées par les services centraux du Ministère de l’Intérieur de l’intérieur et de la Sécurité Publique (DGE et DAF) et qui révèlent un gap de près d’un million de cartes à produire, ont-elles été ignorées par le communiqué de presse de la Présidence à propos de la saisine du Conseil constitutionnel ?
Le Conseil constitutionnel pourra-t-il en l’espèce se prononcer sur la conformité de la norme légale à la norme constitutionnelle ?
Les raisons qui ont amené le Président à préconiser des mesures exceptionnelles, ne pourront-elles pas être soutenues devant le juge électorale pour demander l’annulation des élections au motif que le droit constitutionnel de l’électeur aurait été violé ?
Au vu de tout ce qui précède, la société civile, réunie autour du COSCE et de la PACTE avait dans un communiqué en date du 23 juillet 2017, exhorté l’ensemble des acteurs politiques à avoir pour seul objectif la préservation de l’intérêt supérieur de la nation au-delà de toutes considérations d’ordre politicienne et d’explorer toutes les pistes de solutions pour permettre sans exclusion à tous les citoyens d’entrer en possession de leurs cartes d’électeurs et d’exercer leur droit de vote.
Seul un consensus aurait pu permettre aux électeurs figurant sur les listes d’émargement de voter avec la carte nationale d’identité (CNI) et la distribution des cartes d’électeur jusqu’au jour du scrutin. De plus, nous avions préconisé l’édition de la photographie des électeurs dans les registres d’émargement ainsi que l’affichage de la liste des électeurs dans chaque lieu de vote – une procédure en vigueur dans nombre de pays de la sous-région – dans le but de faciliter la localisation de leur bureau de vote à tout électeur qui ne disposerait pas encore de sa carte et/ou qui serait touché par les changements induits par la modification de l’article L.66 et fixant à 600 électeurs le nombre maximum par bureau de vote.
Il est vrai que sur le plan politique, le Chef de l’Etat serait politiquement responsable - une responsabilité partagée avec tous les acteurs ayant adhéré au projet mal planifié de la Refonte « totale » du fichier électoral et qui refusent le dialogue - mais juridiquement, il n’est dans les manquements et dysfonctionnements dans la mise en œuvre de la réforme qui, au fur et à mesure, jettent le discrédit sur notre administration et même fait douter de l’efficacité de la CENA. Le Président n’avait-il pas déjà a pris tous les actes réglementaires relevant de ses compétences pour la tenue des élections à date échue : révision des listes électorales, facilitation de l’accès à l’état civil, fixation de la date des élections, convocation du collège électoral ?
C’est un signe de grandeur que de reconnaître les erreurs de son administration, de prendre les décisions qui s’imposent et de faire les concessions nécessaires devant l’impératif de préserver la paix sociale et la cohésion nationale.
Afin que la saisine du Conseil constitutionnel ne soit perçue comme une simple allégation pour se donner bonne conscience, que la crédibilité de notre justice ne soit entachée et que la fiabilité de notre système électoral n’en pâtisse, il faudra apprécier à sa juste mesure l’avis qui sera émis la haute juridiction et en tirer toutes les conséquences.
En ces moments graves pour le devenir de notre pays, il revient au Chef de l’Etat de s’adresser à la Nation, de rassurer les acteurs, de renouer le fil du dialogue, de nommer une personnalité non partisane au département des Elections et de la Modernisation du système partisan, de s’accorder avec la classe politique sur le réaménagement du calendrier électoral et sur la prorogation éventuelle du mandat des députés ainsi que le remboursement des dépenses de campagne.
Dans l’espoir que notre appel sera entendu et que la pluie que nous souhaitons abondance fasse taire les ardeurs et apaise les esprits…
Ziguinchor, le 25 juillet 2017
Ndiaga SYLLA, Expert électoral