La proposition de loi interprétative sur l’amnistie, introduite par le député Amadou Ba du Pastef, suscite une vive controverse au sein de la classe politique et de la société civile.
Plusieurs personnalités, dont des experts en droit, dénoncent une tentative de réinterprétation législative visant à favoriser certains acteurs politiques, notamment les militants du Pastef.
Une abrogation sur mesure ?
L’article 1 de cette proposition de loi est particulièrement critiqué, car il semble taillé pour offrir une amnistie sélective. Selon cet article, « sont amnistiés, de plein droit, tous les faits susceptibles de qualification criminelle ou correctionnelle, ayant exclusivement une motivation politique, y compris ceux commis par tous supports de communication, entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu’à l’étranger. »
Ce passage est dénoncé par de nombreuses voix comme une tentative de blanchiment juridique des militants du Pastef impliqués dans des troubles politiques.
L'ancien président du Groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar (BBY), El Hadji Oumar Youm, ainsi que Thierno Alassane Sall, ont vivement rejeté cette approche.
Zahra Iyane Thiam, ancienne ministre et cadre du parti Nouvelle Responsabilité, s’est également dite surprise par cette démarche, y voyant une tentative de manipulation législative.
Le Forum Civil et les experts en droit dénoncent une manœuvre politique
La section Forum Civil de Bignona s’est fermement opposée à cette loi interprétative, estimant qu’elle détourne le véritable enjeu du débat. Pour elle, le cœur du problème ne réside pas dans une supposée ambiguïté de la loi d’amnistie n° 2024-09 du 13 mars 2024, mais dans le fait qu’elle ne rend pas justice aux victimes des violences politiques.
Dans un communiqué, le Forum Civil déclare : « La volonté du régime en place d’introduire une proposition de loi interprétative au lieu d’une abrogation traduit une démarche politicienne qui perpétue et renforce l’impunité. »
Le Professeur Mounirou Sy, enseignant en droit constitutionnel à l’Université de Thiès, partage cette analyse et souligne une incohérence juridique majeure : « Il n’y a d’État que de justice. Lorsque le législateur de l’année N veut interpréter la volonté du législateur de l’année N+1, c’est la fin de l’objectivité légale. »
Le FDR appelle à une mobilisation nationale et internationale
Face à cette situation, le Front pour la Démocratie et la République (FDR) qualifie cette loi de dangereuse pour la stabilité du pays et appelle à son retrait immédiat. La coalition de l’opposition réclame également une mobilisation nationale et internationale pour empêcher son adoption.
Le Pastef tente de justifier la loi
De son côté, le député Guy Marius Sagna (Pastef) soutient cette initiative et propose des amendements pour clarifier son contenu. Il suggère notamment une reformulation de l’article 1 afin d’exclure certains crimes graves du champ de l’amnistie. Son amendement propose que :
« Les crimes de sang, les cas de torture et les traitements et autres peines cruelles et dégradantes sont exclus du champ d’application de la loi d’amnistie n° 2024-09 du 13 mars 2024. »
Toutefois, cette démarche est perçue par certains observateurs comme une tentative de légitimer un texte fondamentalement contesté.
Calendrier législatif : une adoption imminente ?
La commission technique chargée d’examiner cette proposition de loi est prévue pour le 21 mars 2025, tandis que la plénière est fixée au 02 avril 2025.
Ce calendrier suscite des inquiétudes, car il pourrait conduire à une adoption rapide d’un texte contesté, malgré l’opposition de plusieurs acteurs politiques et de la société civile.
En attendant, les débats restent vifs et cette proposition de loi pourrait exacerber les tensions politiques au Sénégal, déjà marquées par de fortes divisions autour de la gouvernance du Pastef.