Plus ils sont fiers de leur bilan, plus ils semblent être lâchés par les électeurs. Malgré le Train express régional et ses multiples vertus, malgré les chantiers du BRT, les milliards distribués à tort et à travers pour soi-disant aider les couches les plus vulnérables au moment où les paysans peinent à avoir des terres ou des semences pour cultiver et pendant que le pays continue d’être sévèrement dépendant sur le plan alimentaire et autres des importations, la coalition présidentielle a été battue à plate couture jusque dans des zones jusque-là sous son contrôle.
Pour les dernières Législatives, la chute a été plus que vertigineuse, poussant la tête de liste Aminata Touré à créer des victoires qui n’existent que dans son imagination. La nuit du scrutin, l’ancienne Première ministre, face à la presse, avait affirmé que sa liste a remporté 30 départements. Celle qui est battue dans son propre bureau de vote affirme avec force convictions devant un parterre de responsables : ‘’Nous tenions à vous donner des informations précises, scientifiques et justes et non approximatives ou inventives, parce que la démocratie se nourrit de la vérité. Je voudrais vous dire que nous avons gagné les départements suivants – pour rappel et il faut le retenir : le pays compte 46 départements. On va compter avec nos doigts. Nous avons gagné le département de Diourbel…’’
Très en verve et sur un ton narquois, Aminata Touré a cité un total de 30 départements, dont Louga, Mbour et Goudomp qui étaient encore âprement disputés. Si Louga et Mbour ont pu officiellement basculer dans l’escarcelle de BBY, il en est autrement pour Goudomp qui a plutôt choisi Yewwi Askan Wi.
Ainsi, Benno Bokk Yaakaar a pu sauver in extremis certains de ses bastions. Mais elle en a perdu plusieurs et n’a dû son salut dans certaines circonscriptions qu’à une incompréhension ou un refus des directives de l’intercoalition Yewwi-Wallu. Il en est ainsi des départements de Bounkiling, Mbour et Louga où les électeurs de Wallu ont sauvé la liste présidentielle. Dans ces localités au moins, si tout le monde avait respecté les consignes de vote, le pouvoir aurait perdu au moins huit députés. Dans d’autres, l’on se rend compte que la somme des voix de l’opposition dépasse nettement celle de la coalition au pouvoir. Preuve s’il en est encore besoin que la liste de Macky Sall a périclité comme elle ne l’a jamais fait depuis ses origines.
Aux origines du désenchantement
Durant la campagne pour les Législatives, la mouvance présidentielle avait fortement misé sur le bilan de l’Exécutif, les réalisations du président, au détriment du bilan à l’Assemblée nationale. Mais les raisons du désenchantement de beaucoup d’électeurs sont bien plus profondes et remontent à quelques années. En sus de la vie difficile qui accable le Sénégalais, il y a un désir réel de justice sociale et de transparence dans la gouvernance que le président Sall n’a jamais pu satisfaire.
Pourtant, lors de son élection en 2012, alors qu’il était un parfait outsider, il avait beaucoup joué sur ces aspects avec ses fameux slogans de campagne : ‘’Gouvernance sobre’’, ‘’Gouvernance vertueuse’’. En lieu et place, les Sénégalais ont eu droit à une gouvernance très partisane, très peu transparente. La plupart de ses engagements sur les plans de l’éthique et de la transparence ont été remis en cause après quelques années d’exercice du pouvoir.
Tout a commencé avec le nombre de ministres dans le gouvernement. Alors qu’il avait clamé urbi et orbi qu’il ferait un gouvernement de 25 ministres, Macky Sall va très rapidement faire sauter le verrou et emprunter les chemins sinueux qui avaient perdu Wade. Pendant un moment, il avait réussi à faire de la traque des biens mal acquis un levier pour donner des gages de transparence à une opinion assoiffée de justice. Mais plus tard, celle-ci va se rendre compte que c’était plus pour liquider des adversaires politiques que pour combattre pour la transparence. Mais la première véritable fissure qui a fini de sonner définitivement la rupture entre l’actuel président et une partie de ses soutiens, notamment une partie de ce qui était appelé ‘’le peuple des assises’’, c’est la non-réduction de son premier mandat à cinq comme il s’était engagé à le faire, au moyen d’arguments juridiques tirés par les cheveux.
Jusque-là, Benno Bokk Yaakaar remportait sans problème presque toutes les élections. Mais à partir de là, les difficultés ont commencé. Le référendum qui a consacré cette volonté de se dédire a été celui qui a eu le pire score des référendums organisés au Sénégal, avec un Oui qui l’a remporté à un peu plus de 60 %, moins important que son score à la Présidentielle de 2012. Aux Législatives qui ont suivi, il a fallu un véritable chaos, l’isolement de Khalifa Sall et de Karim Wade, ainsi qu’une dispersion totale de l’opposition (47 listes en compétition) pour que BBY puisse s’imposer dans plusieurs départements qui lui étaient favorables.
Malgré toutes ces péripéties, le peuple a préféré lui donner un deuxième mandat en 2019. Elu au premier tour avec plus de 58 % (moins qu’en 2012), le président Sall avait su profiter de l’absence de deux ténors que sont Khalifa Ababacar Sall de Taxawu Senegaal et Karim Wade du PDS. Il était loin cependant de se douter qu’il était sur le point de créer un nouveau ‘’monstre politique’’, mille fois plus coriace et courageux que les deux qu’il avait écartés. Ousmane Sonko il s’appelle. Il est devenu la terreur du régime.
La boulimie du pouvoir
‘’Quand le pouvoir perd, c’est comme quelqu’un qui fait monter un fût sur une montagne. Quand l’opposition gagne, c’est l’inverse ; elle va continuer de gagner et rien ne peut l’arrêter. C’est ce qui est en train d’arriver’’. Ainsi s’exprimait, le jour du scrutin, sur le plateau de la télévision nationale, le Dr Khadim Bamba Diagne, auteur de ‘’Comment votent les Sénégalais’’. Selon lui, Macky Sall doit savoir que les gens qui n’ont pas voté pour lui, pour rien au monde, ils vont le choisir lors des futures échéances. ‘’S’il pense qu’en débauchant des gens à gauche et à droite, il peut changer la donne, il se trompe. Les Sénégalais ne votent pas comme ça. Pour ces élections, il a réussi à faire revenir tous ceux qui étaient partis et cela n’a pas empêché la défaite. Ce que le président doit savoir, c’est que la personne qui n’a pas voté pour lui ne votera plus jamais pour lui’’. Ce qui fait dire à l’auteur que : ‘’Benno Bokk Yaakaar, c’est fini pour Macky Sall. S’il ne désigne pas un successeur le plus rapidement possible, c’est fini…’’
En fait, les Sénégalais n’ont eu de cesse de se demander pourquoi jusque-là le président rechigne à choisir son n°2 ? Qu’est-ce qu’il est donc en train de mijoter ? Pourquoi il est enclin à briser tous les noms qui émergent au sein de son parti ? Est-ce parce qu’il veut lui-même avoir un troisième mandat ?
Ces interrogations sont d’autant plus légitimes que le concerné lui-même s’est montré très flou, à chaque fois que l’occasion lui a été donnée d’édifier les Sénégalais. Son ‘’ni oui ni non’’, lors d’un face-à-face avec la presse en a surpris et exaspéré plus d’un, contribuant à faire baisser encore plus sa cote de popularité.
La question qu’on doit le plus se poser aujourd’hui dans les rangs de BBY, c’est comment renverser la tendance ?
La tâche pourrait être assez herculéenne. D’une part, une bonne partie des Sénégalais ont montré qu’ils ne veulent pas du tout d’une troisième candidature. D’autre part, avec les dernières élections législatives, l’on se rend compte que la plupart des ténors de la mouvance ont été mis en difficulté, s’ils n’ont pas tout bonnement été déracinés. D’Aminata Touré à Amadou Ba, en passant par l’ancien ministre Diouf Sarr, le ‘’beau-frère’’ et maire de Saint-Louis Mansour Faye, le maire de Sédhiou et ministre de la Culture Abdoulaye Diop, tous les ténors du régime tombent. Aujourd’hui, il est difficile de citer un seul membre de l’Alliance pour la République capable de reprendre le flambeau.
Si la solution n’est ni lui-même ni dans son état-major, il ne lui reste alors qu’à se chercher un dauphin au-delà des rangs de son parti ou à se retirer purement et simplement de la scène en laissant ses réserves de voix qui demeurent importantes départager des candidats, tous issus de l’opposition. Ce qui est loin d’être une mince affaire.
Mor Amar, journaliste au journal l'ENQUÊTE