George Floyd, alias « Big Floyd », un Afro-Américain âgé de 46 ans, père de deux enfants, est allé s’acheter le 25 mai un paquet de cigarettes à Minneapolis. Avec un billet de 20 dollars, que l’épicier a pris pour un faux. A terre, le cou écrasé dans le bitume par le genou d’un policier, étouffé, asphyxié, George Floyd est mort. Pour rien. Un élan d’indignation, naturel et évident, a saisi les foules aux quatre coins du monde. J’ai marché pour George Floyd aux Etats-Unis. Le nom de George Floyd en charriait bien d’autres en écho dans ma tête.
Celui d’Adama Traoré, en France.
Une marée humaine a envahi les alentours du tribunal judiciaire de Paris mardi, des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes de l’Hexagone. La mort d’Adama Traoré est aussi injuste et indigne que celle de George Floyd. Je me réjouis qu’on en prenne conscience aujourd’hui, je me réjouis de voir des dizaines de milliers de personnes venues de tous horizons sociaux entourer de leurs forces les proches d’Adama Traoré, ses frères, sa sœur, Assa. D’entendre les soutiens leur venir du monde entier. Pendant quatre ans, cette famille a fait preuve d’une détermination sans relâche, quotidienne, qui n’a d’égale que sa peine infinie.
Pendant quatre ans, cette famille a résisté dans une trop grande solitude, face à l’injustice, face à l’inertie de l’institution judiciaire, face à l’indifférence des pouvoirs publics. Elle a vaillamment tenu bon. Mais combien d’autres familles, moins nombreuses, moins épaulées, se sont écroulées sous les coups d’une justice sourde à leurs demandes, bafouant les droits qu’elle est censée représenter ? Rappelons-nous leurs noms : Malik Oussekine, Makomé, Lamine Dieng, Babacar Gueye, Gaye Camara, Ibrahima Bah, Rémi Fraisse, Angelo Garand, Sabri Choubi, Cédric Chouviat, Ali Ziri, Hakim Ajimi, Gabriel… la liste est tristement longue.
Réveillons-nous.
Adama Traoré, un habitant de Beaumont-sur-Oise, qui fêtait son 24e anniversaire le 19 juillet 2016. Il a roulé à vélo, bermuda, bob sur la tête, sourire aux lèvres, tranquille, dans les rues de sa ville, accompagné de son frère, Bagui. Gendarmes, contrôle. Adama Traoré n’avait pas ses papiers sur lui. Il a fui. Les forces de l’ordre l’ont rattrapé. Ecrasé, asphyxié, embarqué. Adama Traoré est mort quelques heures plus tard, sur le sol de la gendarmerie de Persan. Pour rien. A lui, comme à George Floyd, la justice a inventé « une cardiopathie », des cœurs défaillants. Mais je n’ai qu’une seule question, et c’est la seule qui compte : ces hommes seraient-ils morts s’ils n’avaient croisé la route des forces de l’ordre ?
Réveillons-nous.
Tenons bon à notre tour, armons-nous de courage, soyons vigilants, ne laissons plus passer quatre années pour demander des comptes. La mort d’un homme dans le cadre d’un usage disproportionné et abusif de la force doit être réprimée.
George Floyd et Adama Traoré avaient des points communs : ils étaient tous deux noirs, de grande carrure, leurs vies ont basculé dans l’horreur en quelques heures. Pour rien. Je mesure 1,92 m, je suis noir, je leur ressemble. Est-ce qu’il peut m’arriver la même chose qu’à eux demain ? Est-ce que cela risque d’arriver demain à mes enfants ? A vos enfants ? Cette peur sans nom, cette peur injustifiée qui enfle dans nos vies, doit disparaître. Je connais ce sentiment qui ronge de l’intérieur, j’ai vu dans ma vie des drames liés à l’intervention des forces de l’ordre, à l’époque où j’étais un anonyme.
Comme Adama Traoré, comme Zyed et Bouna, morts à 17 et 15 ans à Clichy-sous-Bois en 2005, j’ai couru quand je croisais le chemin de la police. Je n’avais alors pas de micro ouvert pour dire combien cette peur est réelle. Celle de mourir entre les mains des forces de l’ordre. J’affirme aujourd’hui qu’elle existe depuis trop d’années, et cette peur se transmet de génération en génération. Qu’importent les menaces ou les pressions qui s’exercent en retour, il ne faut plus jamais se taire. Aucune parole ne doit être isolée quand elle porte un discours de justice. Il faut que nos dirigeants entendent, comprennent, agissent pour changer ce cours des choses. C’est une maladie qui ronge notre pays, et cela n’augure rien de bon pour nos avenirs.
Réveillons-nous.
Regardons devant nous, ayons le courage de dénoncer les violences policières qui sont commises en France. Engageons-nous à y remédier. Ne soyons plus spectateurs d’un système violent, qui enterre les mémoires de ces morts dans l’oubli, qui jette systématiquement leurs noms dans la fosse aux non-lieux. Nous devons profiter de cet élan suscité par l’affaire Floyd pour refuser ce grossier clivage, qui consiste à trier, parmi nous, les méchants et les gentils.
Il n’y a qu’un seul et même camp, celui de la justice. Nous aspirons tous à une police digne de notre démocratie, une police qui protège sa population, sans distinction de couleur de peau ou de provenance sociale, la même pour tous, qu’on habite dans les centres-villes ou dans les quartiers populaires. Une police capable, comme on l’a vu ces derniers jours aux Etats-Unis, de se joindre aux manifestants, de poser le genou à terre pour dénoncer les violences qui salissent son uniforme. En France aussi, il m’apparaît évident que la majorité des policiers ne cautionnent pas ces actes violents. Je les invite à sortir du silence.
Réveillons-nous.
Le soutien massif apporté mardi à la famille d’Adama Traoré, quatre ans après les faits, est une nécessité. Il est le tremplin de nos engagements unis, déterminés, raisonnés, pour un combat qui ne souffre en réalité aucun débat : celui de nos droits à tous. La cause est juste, je vous garantis qu’y adhérer emplit de ferveur. On dormira tous mieux. J’appelle au changement, à la remise en cause d’un système qui ne peut prétendre à la justice sans mettre fin à l’impunité organisée qui sévit depuis des décennies. Cet ordre établi n’est plus tenable.
Unissons-nous.