D’un tempérament calme et d’un commerce facile, il n’a pas eu trop de difficultés pour séduire l’électorat dakarois qui lui a fait confiance en 2009 alors que le pays était géré par le régime libéral. Un pacte de confiance renouvelé en 2014 pour cet homme qui vit aujourd’hui des jours sombres depuis son placement sous mandat de dépôt par le juge d’instruction Samba Sall dans l’affaire de la gestion de la caisse d’avance de la ville capitale.
Militant du PS à douze ans
Au moment où Khalifa Sall choisissait de militer au Parti socialiste (Ps), le Sénégal traversait des moments de tensions qui ont agité le landerneau politique. En effet, l’on venait de sortir de la grave crise de 1968 marquée par une révolte estudiantine et une grève générale des travailleurs pour faire face au président Senghor. La plupart des partis qui étaient d’obédience marxiste-léniniste et communistes luttaient dans la clandestinité pour une meilleure ouverture démocratique. Leurs membres font face à d’autres jeunes socialistes comme Moustapha Niasse ou encore Djibo Kâ. «Révolté» par ce qu’il considère comme une offense au Président-poète, le jeune Khalifa décide de devenir militant de cette formation politique. Il n’a alors que douze 12 ans.
Né un 1er janvier 1956 à Louga, il va être l’un des plus jeunes militants du Ps. C’est en 1968qu’il intègre le Mouvement des jeunesses socialistes. «A l’époque, nous étions surpris de voir un aussi jeune enfant s’engager pour devenir militant. Figurez-vous qu’il n’avait que douze ans. C’était inimaginable à telle enseigne que le Président Senghor en avait fait une mascotte. Tout le monde l’adulait au regard de son engagement mais aussi de son intelligence», raconte Pape Ibrahima Ndiaye, 79 ans, lui-même militant du PS depuis 1962.
«Je me rappelle qu’une fois, le Président Senghor avait demandé à Jean Collin de tout faire pour encadrer le jeune Khalifa et disait aux adultes de lui donner les connaissances nécessaires pour gravir très vite les échelons. Ce n’est donc pas pour rien que, au moment de son départ, Senghor ait convoqué Abdou Diouf pour lui confier Khalifa Sall en lui disant de ne pas jamais le laisser tomber, car ce jeune va devenir demain l’un des plus grands responsables du parti et l’un des plus respectés grâce à son sérieux et à sa probité.» Militante du PS depuis 49 ans, Adja Ndèye Fatou Tounkara, ajoute : «c’est le Président Senghor qui nous a confiés à Abdou Diouf. En partant, Diouf a dit la même chose à Tanor en lui rappelant que Khalifa était son jeune frère. C’est dire que nous avons eu des batailles épiques.»
Très jeune SG du Mouvement des jeunesses socialistes
Le parcours militant de Khalifa Sall l’a poussé vers les plus hautes responsabilités au sein du Ps. Avec Senghor qui l’a toujours couvé pour son engagement militant et surtout Diouf qui voyait en lui un combattant de la première heure, Khalifa Sall devient très vite le patron des jeunesses socialistes. Un poste naguère occupé par Djibo Kâ. Nous sommes en 1983. Sept ans plus tôt, en 1976, il est élu secrétaire général de la 3e coordination de Dakar des Jeunesses socialistes. Un premier poste qui lui permet d’être en contact direct avec les militants. Le baptême de feu va s’avérer concluant car, en 1979, Sall devient secrétaire général de l’Union régionale des jeunesses socialistes du Cap-Vert.
Fin diplomate sachant faire face à toutes les formes de crise, il devient en 1983 Secrétaire général des Jeunesses socialistes et le reste jusqu’en 1996 avant de passer le témoin à Pape Babacar Mbaye. «Nous avons dirigé ensemble l’Union régionale de Dakar. Il était dans la 3ème coordination que dirigeait Mamadou Diop et moi dans la 2ème que pilotait Amadou Racine Ndiaye, père de Bira Kane Ndiaye», se souvient Ndèye Fatou Tounkara.
Au passage, rappelons que Bira Kane Ndiaye, directeur de cabinet de Khalifa Sall à la mairie de Dakar, est emprisonné à Rebeuss en compagnie de Bamba Fall et d’autres militants socialistes aux termes du procès relatif aux violences survenues à la Maison du Ps en mars 2016. «Ensuite, le parti a démultiplié les coordinations. C’est là que Khalifa a été placé dans la 10ème coordination et nous avons dirigé le mouvement régional de Dakar avant d’arriver au mouvement national de Dakar qui était dirigé par Ciré Diallo. Atteint par la limite d’âge, il devait quitter ce poste. Khalifa qui était son adjoint l’a remplacé. C’est ainsi qu’il est devenu patron des jeunesses socialistes alors que Nafi Ndiogou de Kaffrine passait présidente des jeunesses féminines», rappelle Ndèye Fatou Tounkara.
Plus jeune député en 1983, titulaire de deux maîtrises, il gravit très vite les échelons Malgré son engagement politique, Khalifa Ababacar Sall ne rate jamais l’occasion de suivre avec rigueur ses études. Après un baccalauréat obtenu au lycée Blaise Diagne, il décroche à l’Université de Dakar une maîtrise en Histoire suivie d’une autre en Droitreste pas longtemps à ce poste. La politique le happe littéralement. Ainsi, à la faveur des élections législatives de 1983, il devient le plus jeune député à l’Assemblée nationale avant d’être réélu en 1988 et en 1993. C’est cette même année qu’il est nommé ministre délégué chargé des Relations avec les assemblées.
«Rien ne l’empêchait d’occuper les plus hauts postes dans l’appareil gouvernemental», explique Moussa Ndiaye, militant socialiste depuis 1960. «S’il est vrai que dans le parti il y avait d’autres jeunes engagés, il est aussi vrai que Khalifa Sall restait un exemple à tous les niveaux. Donc sa percée ne surprenait personne, même si cela faisait des jaloux.»
Selon ce pro-Tanor Dieng convaincu, «il ne faut pas descendre Khalifa Sall en flammes car il a tout donné au parti. Il ne connaît que le Ps et a réglé beaucoup de situations pour Ousmane Tanor Dieng qui est normalement son grand-frère. Malheureusement, il y a des gens mauvais qui ont poussé Tanor Dieng à être contre une personne digne et d’une grande vertu.»
Pour le vieux Pape Ibrahima Ndiaye, en effet, «dans le parti, il n’y a pas plus militant et plus méritant que Khalifa Sall. Si on veut le liquider présentement, c’est parce que Tanor ne peut plus tourner le dos à Macky Sall, il est obligé de trahir son jeune frère avec la complicité de personnes mal intentionnées qui sont jaloux.»
Successivement premiers secrétaires généraux du Parti socialiste, Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf ont très vite décelé les qualités de ce jeune devenu militant seulement à douze ans. D’ailleurs, soutient Pape Moussa Ndiaye, «je me rappelle que lors du Congrès de 1976, le Président Senghor avait fait la confidence suivante : il était persuadé que le jeune Lougatois, au rythme où il évoluait, deviendrait un jour secrétaire général du Ps.» Poursuivant, il dit : «Cela a été le cas avec le Président Diouf. Lorsqu’il partait en 2000, il avait rencontré quelques responsables en leur disant de bien veiller sur Khalifa Sall qui est un exemple de loyauté à tous les niveaux.»
Cependant, il s’étonne de ne pas comprendre aujourd’hui que Diouf ne fasse pas l’effort de soutenir Khalifa Sall en parlant à Tanor Dieng et au Président Macky Sall. Au-delà de ces témoignages faits par de purs socialistes, Khalifa Sall est également perçu comme un homme d’une grande probité morale doublé d’un homme pieux. «De ce que je connais de l’homme, il est d’une grande probité morale. En vérité, il n’est pas un tricheur et cela, le Président Diouf le rappelait toujours. Khalifa Sall, je l’ai vu grandir dans le parti et je ne me souviens pas l’avoir vu dans des complots. Malgré tout, il sait se battre et s’est toujours battu le moment venu. Je le connais pieux et il n’est pas l’homonyme de Serigne Babacar Sy par pur hasard», dit Pape Moussa Ndiaye.
A l’en croire, ce n’est pas parce qu’il est proche d’Ousmane Tanor Dieng qu’il se permettra de raconter des contre-vérités. «Cela me fait mal d’entendre certains discours provenant de quelques responsables. Je suis plus proche de la mort, et je le dis et le répète, Khalifa Sall est un homme bon, généreux et très pieux. Je ne le connais pas voleur et il ne peut pas être un voleur.»
«Cet homme ne peut pas être un voleur»
Un avis partagé par Pape Ibrahima Ndiaye qui indique que le maire de Dakar est une référence au Parti socialiste puisque s’il le voulait, il aurait rejoint le chef du Pds qui lui avait promis monts et merveilles. «Il est arrivé un moment où Wade lui avait promis un haut poste de responsabilités. Mais il avait refusé en lui disait qu’il mourrait au Ps.» Prenant la balle au rebond, Moussa Taye, membre du staff politique de l’édile de Dakar de clamer : «Au plan social et humain, il est un modeste, très humble et très croyant. C’est un homme de grande foi. Il a la capacité d’écoute et de dépassement. Il est très habile en politique. Il sait résister car, il sait que pour durer il faut endurer. Je ne connais d’homme aussi bon.»
Un argument défendu par Mme Tounkara qui a tenu à rappeler avec insistance certains épisodes de la vie de M. Sall. «Il a vécu beaucoup d’injustices dans le parti, mais personne ne l’a jamais entendu crier. C’est parce qu’il est un homme pieux et qu’il sait pardonner. Il est droit et n’a jamais voulu le moindre franc. Dans les différentes instances du parti où il a occupé des postes, il disait toujours qu’il ne va pas toucher à l’argent parce qu’un trésorier a son rôle à jouer dans la gestion. C’est dire que cet homme est accusé à tort parce qu’il n’est et ne peut pas être un voleur.»
De son côté, Babacar Thioye Bâ, compagnon du maire Khalifa Sall, se veut clair lorsqu’il affirme : «C’est un homme d’une courtoisie exemplaire et d’une grande ouverture d’esprit. Il est très pieux et est d’un grand caractère. Aujourd’hui, il est hallucinant qu’on l’accuse de détournements de deniers publics. Ceux qui le connaissent bien ne défendront jamais la thèse du détournement qu’il aurait commis. C’est un exemple de vertu et de transparence. Il a été le premier à avoir fait sa déclaration de patrimoine. L’engagement et la personnalité fusionnent dans une seule et même identité.»
Dans son parcours politique et par rapport aux postes de responsabilités qu’il a occupés, Khalifa Ababacar Sall a également eu la chance de rencontrer de grands guides religieux de toutes les confréries du Sénégal. C’est ce que révèle Pape Ibrahima Ndiaye. «J’ai eu la chance d’avoir été de plusieurs délégations du PS qui ont effectué des déplacements à Touba, Tivaouane et dans plusieurs autres capitales religieuses du pays. Je me rappelle une fois vers les années 1984 et 1985, Serigne Abdou Lahat Mbacké lui avait dit devant le Président Diouf : tu iras loin. Ne prends jamais ce qui ne t’appartient pas car, je sais que tu es un jeune pieux et bon. Même Diouf me l’a dit.»
Ce n’est pas tout puisque ce même témoignage a aussi été fait à Tivaouane par Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh et Serigne Mansour Sy, révèle encore le doyen Ndiaye. «Et même si vous allez chez les Layènnes, vous verrez que Khalifa Sall est un fils de cette communauté. C’est parce qu’il est un homme bon qu’il est respecté partout et par tout le monde.» Pour nos interlocuteurs, ce sont là autant de raisons qui font qu’«il faut impérativement comprendre la prise de position de Serigne Moustapha Sy, guide des Moustarchidines car, il sait que le maire Khalifa Sall fait face à une véritable cabale politique.»
Le dernier assaut du président Wade
Devenu maire en 2009 sous la bannière de la coalition Bennoo Siggil Senegaal, Khalifa Sall devient ipso facto l’homme «le plus important» de Dakar. Et pour cause, premier magistrat de la capitale, le socialiste est alors très fréquenté pour ne dire hyper sollicité à tous les niveaux de l’activité sociale et politique. Président de la République, Abdoulaye Wade cherche des soutiens de taille et n’hésite pas à faire transhumer des hommes politiques. Ce qui le pousse à courtiser le maire de Dakar en lui faisant des propositions alléchantes.
«Je sais beaucoup de choses sur cette histoire. D’ailleurs, Aminata Mbengue Ndiaye a fait face à cette « drague » politique de Wade. Je veux vous rappeler que le Président Wade a cherché plusieurs fois à rencontrer Khalifa Sall. Avant même qu’il ne soit maire. Il lui a fait plusieurs propositions que ce dernier a déclinées», révèle Pape Moussa Ndiaye. «Quand Khalifa Sall est devenu maire, Wade a accéléré la demande, mais lui a choisi de garder sa dignité et son identité de pur socialiste. S’il était intéressé par l’argent, il aurait quitté le parti sachant qu’il en gagnerait beaucoup en étant dans le pouvoir.»
Puis, il ne put s’empêcher de lâcher cette autre confidence : «J’ignore les tenants et les aboutissants de la démarche de Me Wade, mais j’ai une fois entendu Tanor Dieng dire que Khalifa Sall est un homme digne et vertueux au regard de ce qu’il lui était proposé», soutient Ibrahima Ndiaye.
Abdoulaye Mbow