Chez nous, Abdou Diouf, battu en 2000 par Me Wade, a fait étalage d’une grandeur d’âme qui continue encore de l’ho- norer aujourd’hui. Jamais depuis son départ du pouvoir, l’ancien président socialiste ne s’est rendu coupable d’une prise de position publique sur la vie politique sénégalaise. Il a pris de la hauteur même dans les différentes crises qui ont secoué son ancien parti. On n’attendait pas moins du président Wade.
Vu sous cet angle, son appel à s’opposer à la tenue de l’élection présidentielle du 24 février a créé une fêlure af- fective qui lézarde sérieusement l’affection que nombre de démocrates avaient pour le secrétaire général national du Parti démocratique sénégalais.
Il faut le dire, s’il a été le père-fondateur, l’inspirateur et le sauveur du Parti démocratique sénégalais, harcelé et sys- tématiquement dépecé par le pouvoir socialiste ; s’il en a été le prophète qui l’a mené en Terre promise en 2000, il est en passe d’en être, hélas ! , le bourreau. Grisé par le pou- voir, Me Wade s’est enfermé dans son Moi intime, adminis- trant son parti comme une entreprise personnelle, faisant et défaisant les carrières, plaçant et remplaçant ses hommes avec la dextérité d’un joueur d’échec, contredisant les am- bitions et faisant naître des vocations chez les autres. Wade avait créé une nouvelle religion, avec ses Tables de loi, ses apôtres et sa liturgie. Il en était le dieu. La constante.
Les apôtres les mieux placés dans l’ordre de la succession sont accusés d’apostasie et excommuniés de la religion du « Sopi ». Idrissa Seck fut banni pour péché d’ambition, Macky Sall exilé pour péché d’obstruction au destin du fils de dieu. Pape Diop et, aujourd’hui, Madické Niang anathé- matisés pour délit de barrage à la volonté des Wade. On connait la suite de l’histoire.
Loin de la Terre promise, le peuple libéral ne peut, ne veut plus subir la frugalité du destin. Ses apôtres sont envahis par le doute. Dieu ne meurt pas. La constante ne s’absente pas. Or Wade, de plus en plus, apparaît comme un simple mortel. Son bâton n’ouvre plus les océans de la félicité.
Il ne fait plus de miracles. C’est le temps des nouvelles re- ligions. Combien de partis et de mouvements politiques sont nés, tels des surgeons, sur les flancs du Pds ?
Le Pds actuel de Me Wade n’est plus celui des années de la flamboyance libérale. A force de vouloir faire place nette à son fils, la formation politique de Gorgui a perdu des di- visions entières de son armée et, presque, la totalité de ses généraux. Les fantassins qui lui restent n’imaginent pas livrer bataille sans leur chef d’état-major de 95 ans.
C’est en ce sens qu’il faut sauver Gorgui. Il est l’otage de responsables libéraux qui refusent de prendre leur destin en main, qui n’imaginent pas la vie sans Wade et ne trouvent un brin de courage politique qu’en se cachant éternellement derrière l’aura protectrice de leur chef. Ils n’ont pas le droit de compromettre l’estime et la reconnaissance que de larges pans de notre société ont pour le fondateur du Pds. Ils n’ont pas le droit de badigeonner le souvenir qu’il laissera à la postérité.