La marée humaine noire qui avait investi les lieux constitue une alerte pour le pouvoir. Maintenant le pouvoir, plus précisément, le président Macky Sall doit se réveiller et décrypter le message que le Sénégal en miniature réuni ce 7 avril à la place de l’Obélisque a voulu lui lancer. Rien que la diversité des messages sur les pancartes, les banderoles, les T-shirts, des coquelicots montre le pays va mal et que le président Sall, qui est dépositaire des suffrages des électeurs le 25 mars 2012 – des électeurs dont la plupart ne peuvent pas accéder au palais, ni passer par les médias pour lui crier leur ras-le-bol –, a l’obligation de répondre à ces signaux qui lui sont lancés.
Malheureusement, qu’entend-on des partisans du président de la République après la manifestation des citoyens ce 7 avril ? «Ils n’ont pas mobilisé un million de personnes», «c’est une bande de corrompus», «ce sont des parasites sociaux», «c’est une manifestation d’opposants»,«c’était un gay-pride» et tutti quanti. Cela montre qu’ils feignent de ne pas comprendre les revendications populaires et cela dans l’optique d’oblitérer la réalité pour plaire au Prince.
Pendant plus de deux semaines, les partisans du président ont rivalisé d’ardeur dans les médias pour débiner, dézingueret descendre en flammes les «Y en a marristes» et tous ceux qui partagent leur cause. Chacun y est allé de sa propre initiative pour prédire l’échec de l’organisation annoncée de «Yen a marre».
Des intentions de contre-manifester sont annoncées pêle-mêle. Ce qui montre que l’APR est loin d’être une structure organisée où la communication obéit à une certaine discipline. Le point d’orgue de cette indiscipline est atteint quand le triste secrétaire d’Etat de la Communication, Yakham Mbaye, se comportantun forban, se précipite à la préfecture pour déposer une demande de manifestation publique. On ne peut pas organiser une manifestation dans le simple but de contrecarrer une manifestation.
C’est manquer de respect à ces Sénégalais qui veulent jouir d’un droit constitutionnel pour exprimer à leur président leurs doléances. C’est de la censure or en République la censure n’y a pas droit de cité. Comment Yakham Mbaye peut-il fouler aux pieds les dispositions réglementaires et statutaires de son parti pour contre-manifester sans qu’aucune voix de l’APR (à part celles timides de Youssou Touré et Moustapha Diakhaté) ne se levât pour lui remonter les bretelles ? Même s’il est avéré que l’APR est une armée mexicaine, la voix du chef reste déterminante, imposante. Or dans ce méli-mélo, la voix du chef ne vaut pas une roupie de sansonnet, du moins pour Yakham Mbaye.
Pendant plusieurs jours toute la communication des zélotes du président est articulée sur la contestation du chiffre de un million avancé par «Y en marre». «Y en marre ne peut pas atteindre la barre des un million» disaient-il par ci et par là. Ainsi, sont-ils tombés dans le piège tendu intelligemment par Fadel Barro compagnie.
D’ailleurs, railleusement, Fadel Barro, invité de l’émission «ça me dit mag» de la 2 STV, a fait savoir que lui et ses compagnons ont jeté aux partisans du président Sall ce chiffre comme un os à ronger au moment où ils affinent leur stratégie pour réussir le pari de la mobilisation.Ils ont été les agents publicitaires de la manifestation des «Y en a marristes». Ils en ont plus parlé que les initiateurs.
Finalement, plusieurs Sénégalais, qui ne voulaient même pas participer à la manifestation du 7 avril, ont décidé d’y prendre part. Histoire de relever le défi de ceux-là qui juraient que la manifestation serait un flop. Leurs déclarations incendiaires des boutefeux du régime ont produit un effet boomerang au grand bonheur d’un mouvement de contestation en collapsus qui n’espérait mobiliser après cinq ans de léthargie. L’essentiel pour les «Y en a marristes» était de mobiliser grand mais pas atteindre le chiffre cru d’un million de manifestants invérifiable même dans les grandes démocratiques disposants d’instruments de mesure plus performants.
L’organisation de «Y en marre» a mis à nu les défaillances communicationnelles de son parti-gouvernement. Et c’est dommage que le Premier ministre, Boun Abdallah Dionne qui devait être au-delà des contingences partisanes, au-dessus de cette mêlé d’activistes et de laquais, se soit comporté comme le chef d’orchestre de ce désordre dans le camp présidentiel.
Aujourd’hui, il incombe au président de la République de revoir son entourage. Ses premiers ennemis se trouvent au sein de son parti. A savoir ceux qui lui bouchent les oreilles pour l’empêcher d’entendre les complaintes et les pleurs du peuple. Il doit casser cette tour d’ivoire qui l’empêche de voir la souffrance de son peuple, s’affranchir de ce déni de la réalité dans lequel ses partisans veulent l’enfermer.
Le réveil du peuple est en marche depuis 2000. Et cela le président Macky Sall doit en être conscient à moins qu’il ne soit encore ce «lion» qui dort toujours. Et donc le réveil risque d’être brutal s’il n’y prend garde.
Serigne Saliou Guèye