Aïssata Tall Sall : Cet entretien téléphonique a eu lieu à l’initiative du président Macky Sall, qui a pensé qu’en sa qualité de président de l’Union africaine, de membre d’un continent tiers à ce conflit, qu’il était possible qu’il s’adresse au président Poutine pour lui demander s’il était possible qu’il accepte un cessez-le-feu durable en Ukraine. Au nom, non seulement de la cause humanitaire, de la cause des droits de l’homme, de la situation que cela pourrait engendrer sur le plan et de la géopolitique mondiale, et l’entretien a été très respectueux l’un de l’autre.
Et est-ce que le président Poutine a répondu à la demande d’un cessez-le-feu durable en Ukraine ?
En tout cas il a promis au président Macky Sall qu’il ferait tout pour trouver une solution dans le dialogue, il a été très attentif, il n’a pas fermé la porte.
Est-ce que le sort des citoyens africains bloqués en Ukraine a été évoqué ?
Le président en a parlé déjà, il avait sorti un communiqué pour juger inadmissible que les citoyens africains soient discriminés et surtout maltraités aux frontières de l’Ukraine, et il a adressé un courrier le 7 mars au président Poutine, et le président Poutine a commencé l’entretien pour lui rappeler qu’il avait bien reçu ce courrier, qu’il avait compris, qu’il y était sensible.
Le 2 mars, le Sénégal s’était abstenu lors du vote de résolution de l’ONU condamnant le recours à la force de la Russie en Ukraine, alors pourquoi cette position ?
C’est une position de principe du Sénégal. Quand il y a eu la situation en Crimée, le Sénégal s’était abstenu, le Sénégal a une doctrine et une jurisprudence sur le plan diplomatique. Et voyez-vous, lorsque la situation a requis que le Sénégal vote contre la Russie au Conseil des droits de l’homme à Genève, et bien le Sénégal l’a fait en toute liberté, en toute indépendance, parce qu'alors il avait considéré que cet exode massif d’Ukrainiens et d’autres ressortissants vivant en Ukraine, était devenu quelque chose d’intolérable, c’est ce que nous appelons notre diplomatie de souveraineté, sans exclusion mais sans exclusive. Le Sénégal est pour la paix, le Sénégal est pour les intérêts africains parce que l’Afrique doit compter dans le concert du monde.
Le non-alignement c’est une notion qui remonte à la guerre froide, alors est-ce qu’aujourd’hui cette abstention ça ne revient pas à cautionner la loi du plus fort ?
Mais non, à quoi assistons-nous ? À une résurgence de la guerre froide exactement. Si le Sénégal et l’Afrique se donnent cette position de pouvoir intervenir en arbitre pour être un acteur de la paix, et bien pourquoi pas.
Est-ce que cette position consensuelle est liée au fait que Macky Sall préside actuellement l’Union africaine, autrement dit, est-ce que la position de Dakar aurait été différente si Macky Sall n’avait pas ces responsabilités ?
Alors oui et non, parce que je viens de le rappeler ça a toujours été une position diplomatique du Sénégal, mais également le président Macky Sall prend en compte le fait qu’il est aussi président de l’Union africaine, or président de l’Union africaine ne lui permet pas très souvent des positions trop tranchées, il faut bien qu’il y ait un médiateur.
Est-ce qu’il y a un embarras à l’Union africaine, dont les pays ont exprimé des positions divergentes, est-ce qu’il y a un malaise ?
Mais non, il n’y a pas d’embarras, chaque État est souverain, ça nous le respectons en tant que président en exercice de l’Union africaine.
Mais l’Union africaine avait appelé dès le 24 février au respect impératif de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de l’Ukraine. Est-ce que ce n’est pas contradictoire avec cette abstention ?
Non absolument pas. Quand nous avons appelé à l’intégrité de l’Ukraine, nous avons rappelé un principe fort aux côtés de l’Ukraine. Maintenant, là où nous nous sommes abstenus c’est quand on nous a dit : « venez condamner la Russie », mais quand la situation a évolué dans le sens de cet exode massif, de non-respect des droits de l’homme, de discrimination, là tout de suite nous avons dit non, et nous avons voté contre la Russie à Genève. Cette position du Sénégal est une position réfléchie, ce n’est pas une carte blanche qu’on donne à qui que ce soit, nous donnons notre position qui est une position que tout le monde doit comprendre, ou en tout cas accepter.
Entretien réalisé par RFI