Le mot-force de son discours, c’est l’action. «Sous l’autorité du Premier ministre, j’ai assigné au gouvernement la tâche de rester mobilisé dans l’action, en ayant comme code de conduite le culte du résultat», a dit le président. Ce qui veut dire que depuis qu’il a pris les rênes du pays en 2012, il a mis en relief la philosophie de l’action inscrite au cœur de sa politique.
Mais on s’est rendu compte que les premières années de la deuxième alternance ont été concentrées sur la traque des biens mal acquis ou sur la traque particulière de Karim Wade. Presque pendant trois ans, le seul programme du «Yoonu Yokkute» était d’en finir avec le fils d’Abdoulaye. Et ce n’est pas étonnant de voir que le Plan Sénégal émergent (PSE), succédané du «Yoonu Yokkute» inefficace, n’a émergé que lorsque le fils du président Abdoulaye Wade a pris ses quartiers à Rebeuss.
Seulement le PSE, que les vendeurs de vents ont tant chanté les vertus et performances, tarde à livrer les fruits de la croissance qu’on pointe à 6.7. A l’ouverture de l’atelier national sur la revue annuelle conjointe 2016, le 23 juillet 2016, le ministre en charge du Suivi du PSE, Abdoul Aziz Tall, avait déclaré que «les projets et réformes phares, lancés dans la première vague du Plan Sénégal émergent (Pse), connaissent un niveau de réalisation assez satisfaisant». A quelques mois du terme de la première phase des actions prioritaires (2014-2018) du PSE, la demande sociale pressante reste la chose la mieux partagée des Sénégalais.
Certes des investissements ont été consentis dans plusieurs domaines (infrastructures, agriculture, santé, éducation, électricité, loyer…) mais malheureusement les Sénégalais demeurent plus que jamais pauvres. La raison est liée à l’interventionnisme de l’Etat-Providence au détriment d’un secteur privé, normalement pourvoyeur d’emplois décents, en déliquescence.
On ne le dira jamais assez, la croissance dont s’enorgueillit, à chaque occurrence, le ministre de l’Economie et des Finances, Amadou Ba, et qui étoffe les tablettes des institutions de Bretton Woods, est un indicateur trompe-l’œil puisqu’elle n’est pas inclusive.
Ainsi nous pouvons emprunter au juriste Alain Bouikalo qui qualifiait, en 2013, la croissance ivoirienne de farce voire de mensonge. Pour dire donc que «cette croissance n’a aucun effet sur les ménages. La croissance et le train de vie des ménages suivent des trajectoires différentes. Plus l’on parle d’une embellie économique, moins le citoyen parvient à vivre décemment. Quel paradoxe ! Ne sommes-nous pas en face d’une croissance qui appauvrit ? Evidemment cette croissance est une véritable farce, un gros mensonge d’Etat. Si tel n’est pas le cas, alors à qui profite la croissance ? Sinon qu’à un groupuscule perché au sommet ou rôdant autour de la famille présidentielle».
L’essentiel des richesses produites par notre pays prend la direction de Paris, de Pékin, d’Istanbul et de Rabat. Tous les marchés publics d’envergure sont confiés aux étrangers.
Les Chinois qui exploitent ILA Touba ont même fait venir de leur pays 200 camions et les gros engins pour assurer le transport du matériel de construction de l’autoroute et la transformation des intrants. Et même des brouettes et des pelles. Ceux qui les conduisent sont des Chinois. Ainsi, sur toute la ligne, les Chinois ont prêté au Sénégal les 400 milliards pour l’érection de Ila Touba, assurent le transport du matériel et la construction de la route. Où est Jean Lefebvre Sénégal de Bara Tall, la CSE, l’entreprise Mapathé Ndiouck ?
Aujourd’hui l’entreprise Semer, filiale du groupe français Poma, a en charge la construction de tous les bureaux et autres bâtiments de la Nouvelle ville de Diameniadio. Aujourd’hui beaucoup de ces entreprises de BTP traversent des difficultés à cause de leur Etat qui préfère enrichir plus leurs concurrents étrangers que de promouvoir leurs entreprises.
On pourrait en dire autant pour le Train express régional (TER). Où est passé la préférence nationale ? Pourtant ce n’est pas l’expertise qui manque, ni le matériel de construction. Pour faire des passeports biométriques, ou construire une université, on préfère enrichir à coup de milliards Adama Bictogo (un ivoirien poursuivi chez lui pour escroquerie portant sur plusieurs milliards) qui n’a créé son entreprise de BTP qu’après avoir obtenu ledit marché avec la complicité du maire de Touba.
Dans le discours présidentiel, outre la part léonine réservée à la culture, il y a eu deux autres annonces fortes à connotation politicienne. La première concerne la salarisation des chefs de village. En le faisant, Macky ne fait réparer une erreur voire une injustice après avoir confisqué les véhicules que le président Wade leur avait octroyés. D’ailleurs indigné par cet acte, le député Iba Der Thiam avait fait parvenir au président de l’Assemblée nationale une proposition de loi attribuant aux chefs de village un véhicule de fonction.
Ce qui permettrait, pour Iba Der, à «ces notables de se déplacer pour percevoir la taxe rurale et de venir en aide aux populations confrontées à des problèmes d’évacuation sanitaire des personnes malades, de femmes enceintes en voie d’arriver à terme, de déplacement de personnes décédées vers leur lieu d’enterrement et d’autres activités sociales auxquelles la communauté villageoise est confrontée». Et à quelques mois d’élections législatives assez risquées, voilà que le Président se réveille brusquement pour décider de salarier les chefs de village. Autant donc dire une décision fortement électoraliste !
Le Chef de l’Etat a rappelé la décision de transformer les titres précaires en titres fonciers. Mais à ce niveau, il faut rendre à César ce qui lui appartient. La transformation des permis d’habiter et titres similaires en titres fonciers est consacrée depuis la loi 2011-06 du 30 mars 2011 publiée au journal officiel n°6598 du samedi 25 JUIN 2011. Ce qui veut donc dire qu’Abdoulaye Wade en est l’initiateur. Il ne reste que le décret d’application pour que la chose soit effective.
Dans l’épilogue de son discours, Macky Sall a souligné que «l’indépendance signifie et magnifie notre vocation naturelle à être et rester un peuple libre». Oui «indépendance» et «liberté» sont les denrées les plus recherchées dans la gouvernance mackyste. L’indépendance dont souffre la Justice conduit cette dernière à priver, à la moindre incartade, de liberté aux opposants du président le République. Aujourd’hui, celui qui en est la principale victime est le maire de Dakar, Khalifa Sall.
Des magistrats qui souffrent d’indépendance l’ont privé de liberté. Il croupit en prison pour avoir seulement eu des ambitions d’occuper démocratiquement le palais en 2019. L’indépendance dont le Sénégal a besoin, après 57 ans de souveraineté internationale, n’est pas institutionnelle mais économique et judiciaire. Une économie assujettie aux capitaux étrangers n’est pas productrice de croissance inclusive, ni vecteur de développement. Un pouvoir judiciaire aux ordres qui obéit au doigt à l’œil à l’exécutif n’est pas gage de stabilité sociale dans un Etat de droit. Malheureusement la conduite du président Sall montre que le diptyque indépendance-liberté n’est pas inscrit au cœur de son action.
Serigne Saliou Guèye