La guéguerre au sommet de l’Etat ayant pour théâtre d’opérations le secteur de l’Energie dont une partie se livre sur le champ de bataille de Senelec, vient de prendre une tournure inattendue en impactant de plein fouet le Club des Investisseurs Sénégalais, (CIS) dernière-née des organisations patronales du pays. La pomme de discorde, cette fois, pourrait être de celle qui fit sortir les ancêtres de l’humanité, Adam et Ève, du paradis, ce qui nous a valu notre errance sur terre, dans cette vallée des larmes où nous nous sommes retrouvés pour expier ce péché originel.
Satan a revêtu les habits d’un communiqué faisant état d’une motion de soutien à Akilee «pour un secteur privé national fort», égrenant mille et une raisons de défendre, bec et ongles, cette «start up», innovante, expression remarquable (mais non remarquée par certains!) d’un savoir-faire national de patriotes émérites, des «Sénégalais au profit des Sénégalais»
Il n’en fallait pas plus, pour déclencher l’ire de certaines têtes d’affiche du Club, pointant du doigt les initiateurs de ce soutien «malvenu», décrété à l’insu de la grande majorité des membres de l’organisation et en dehors de toute instance de délibération et de décision, balancé en primeur et sous forme de publicité payante à la presse. Les sociétaires du Club n’en recevront notification que tard dans la soirée, autour de minuit, heure de crime par excellence, c’est-à-dire, les éditions des quotidiens ciblés bouclées, les contenus des sites en ligne actualisés, rendant ainsi la manœuvre irrattrapable par d’éventuelles contestations. Une démarche sournoise et cachotière, marquée au coin par la perfidie, s’insurgent certains membres du Club, l’invective à la bouche.
Voilà en substance les griefs articulés par les contempteurs de ce qui est perçu comme un véritable putsch, un coup de Jarnac, déloyal, asséné par traîtrise, par une coterie ayant monté une véritable cabale contre les valeurs, principes et objectifs auxquels ils ont librement souscrits. Une telle instrumentalisation du Club a effarouché des capitaines d’industrie mais aussi des locomotives du secteur des services, qui ont décidé de réagir à la hauteur de ce qu’ils considèrent comme un affront et une trahison. Une guerre ouverte oppose désormais les deux camps aux positions et positionnements irréductibles que la réunion en catastrophe du conseil d’administration du Club, hier, en début d’après-midi, n’a pu réconcilier.
Akilee n'est certainement pas tombé du ciel par une incroyable opération du Saint Esprit. La société ne correspond pas non plus à la définition d'une start up, c'est-à-dire une jeune pousse innovante, une entreprise en démarrage. Ce serait plutôt dès le départ, le fruit d'une entente entre initiés, entre des consultants et leur client, qui ont décidé de s'accoupler pour procréer et externaliser une activité hautement rentable, recommandée par le prestataire. Seulement, l'activité se résume à celle d'un comptoir commercial pour la vente, sans bourse délier, de compteurs, à Senelec, donc aux contribuables condamnés à une double peine. En effet, ceux-ci vont s'acquitter du règlement de factures exorbitantes, mais devront en plus, supporter à travers leurs impôts et taxes, les subventions faramineuses octroyées à Senelec par l'État du Sénégal qui, rien que pour l'année 2019 (année électorale) a crevé le plafond, atteignant les 200 milliards de francs Cfa.
Akilee, société ad hoc est ainsi bénéficiaire unique d’un marché de 218 milliards de francs Cfa, auprès d’un client unique, n’ayant innové, inventé ou fabriqué autre chose que l’ingénierie financière sur fond d’entente illicite. Cela, tout cela était connu, validé par l’Etat du Sénégal. Alors, qu’est-ce qui s’est passé pour qu’aujourd’hui, cette société soit la cible de toutes sortes d’attaques y compris celles provenant de l’actuelle direction générale de Senelec, de cadres et de syndicalistes, qui ont observé une omerta, une loi du silence complice ou alors coupable ? Dans certains milieux de la galaxie des affaires, il se susurre qu’une question de commissions ou de retro commissions, (on parle de 10% du montant total du marché, c’est-à-dire quelques 18 milliards de francs Cfa) distraites par certains protagonistes aurait allumé la mèche de cette véritable bombe à fragmentation. L’entente cordiale aurait volé en éclats lors de cette distraction-soustraction.
Circonstances aggravantes, les ambitions prêtées au ministre de tutelle de Senelec, ancien directeur général de la boîte, de se constituer une cagnotte et une clientèle politique en vue de «candidater» en 2024, pour succéder à son actuel patron à la présidence de la République, objet de tant de convoitises et d’intrigues de palais.
Le nouveau directeur de Senelec, dont la nomination aurait été fortement appuyée par son ancien et toujours patron devenu son ministre de tutelle, a réclamé un audit de la boîte, dès après sa prise de fonction. Il en aurait été dissuadé par les autorités supérieures, préférant sans doute éluder leurs responsabilités, recourir à des méthodes moins flagrantes, plus pernicieuses pour détricoter la toile de son ancien mentor et venir à bout de ses prétentions.
Quant au Club des Investisseurs Sénégalais, le ver est dans le fruit depuis toujours, dès sa naissance, porté sur les fonts baptismaux sur la base de calculs de coûts, d’opportunité, de raisonnement à la marge, par des initiateurs dont certains ont pu donner le change en présentant des gages de respectabilité et de réputation, en définitive surfaites. C’est ainsi que le Club a réussi à fédérer aux côtés d’authentiques champions, qui se comptent malheureusement sur les doigts de la main, une armée mexicaine de courtiers de haut vol, de compradores, fondés de pouvoir, sous-traitants, représentants franchisés de firmes étrangères, commerçants enrichis par la grâce des échanges avec les multinationales et tout le toutim.
La solidarité n’est pas le propre, encore moins le fort de nos hommes d’affaires, qui ne tendent pas la main à plus petits, pour les aider à grandir, en dehors de la famille, font rarement travailler les autres ou donnent leurs chances aux méritants, à moins que « fils ou fille de», ne soit leur sésame, à charge de revanche pour la reproduction à l’identique, de ce modèle social inégalitaire. Idem pour les membres de ces organisations patronales qui, comme les responsables de la compagnie aérienne sous-régionale «Transair» n’a même pas pu bénéficier d’un début de soutien, bien que adhérents du Club des Investisseurs Sénégalais. Cet état d’esprit n’est pas propre au CIS.
Cependant, dans cette crise qui secoue l’organisation, celle-ci pourrait connaître une cascade de démissions dont celles de poids lourds symboliques de l’entreprise nationale. Déjà feu Ameth Amar avait pris ses distances, en fédérant les industriels nationaux dans une organisation distincte du CIS.
Pourquoi jeter le bébé Akilee avec l’eau du bain ? Le Chef de l’Etat peut bel et bien mettre l’actionnariat d’Akilee et les apporteurs d’affaires prospectifs autour d’une table, dans une nouvelle configuration qui préserverait ce qui peut et doit l’être, tout en faisant la place aux « nouveaux » arrivants et à leurs partenaires pour des dividendes à partager, avec à la clef, le maintien de l’emploi et la révision à la hausse de la part de l’Etat, et in fine la réduction des pertes de Senelec et des factures des consommateurs ?
L’arbitrage n’a pas besoin d’être sanglant, gagnant/perdant, ni exposer à des réparations onéreuses, comme on ne devrait plus procéder avec les vieilles méthodes et le principe éculé du « business as usual ». Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, n’est-ce-pas ? Ne dit-on pas qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ?
Dans le paysage des affaires, la place était -et toujours - solidement tenu par les indéboulonnables, le Conseil National du Patronat (CNP), la Confédération Nationale des Entreprises du Sénégal (CNES) et dans une moindre mesure, les dissidences de l’Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal (UNACOIS).
Face à ces regroupements patronaux, des centrales syndicales tout aussi tentaculaires et sociophages tiennent la dragée haute à la fois au pouvoir et au patronat, devenant ainsi des interfaces concupiscentes sous la férule de bonzes indétrônables. Tout ce beau monde a fini par constituer une sorte de caste abonnée aux prébendes, aux échanges de «bons» procédés sous le sceau de civilités conniventes. Cet aggiornamento, véritable compromis pour contenir et au besoin circonvenir d’éventuelles «guerre des chefs» rend tout son sens à la caporalisation par cooptation des instances des institutions sociales (IPRES), Caisse de Sécurité Sociale et autres Conseils d’administration, avec une pratique devenant courante, abusive de cumuls de fonctions dont tout le monde semble s’accommoder.
Aux réfractaires et récalcitrants ou nouveaux venus, durablement exclus des agapes, il ne reste que l’arme de la dissidence, qui reproduit le même schéma organisationnel, pour s’inviter à la curée avec des dirigeants au profil et aux pratiques identiques à ceux de leurs chefs contestés, en s’affublant de marqueurs «force du changement, rénovation…», on ne peut plus distractifs.
Et l’Etat dans tout cela? Il scrute, décode, décortique avec l’appui de ses services de renseignements et de ses agents «doubles ou retournés», qui grouillent dans toutes les sphères de la vie publique et privée, dans l’espace national et ailleurs. Il joue les uns contre les autres et en fin de compte avec tout le monde, au gré des intérêts des personnes et groupes dominants, des accointances lucratives et, au gré des circonstances, des combinaisons politico-affairistes pouvant lui être utiles.
L’Etat est toujours à la manœuvre, de sa propre initiative ou en trouvant le moyen de tirer parti d’une situation trouble qu’il ne manque pas d’exacerber afin d’imposer un groupe, une orientation et des choix conformes à la préservation des intérêts du clan dominant ou à l’introduction de nouveaux «clients» avec de nouvelles procédures, quitte à donner quelques sucettes à certains parmi les déchus et les déçus, histoire de les amener à lâcher leurs homologues tout en restant dans le navire.
Toutes ces différentes institutions, organisations dont certaines tripartites regroupant État, employeurs et employés, sont tributaires de la puissance publique et leurs membres des visas, autorisations, mais surtout, pour nos hommes et femmes d’affaires de la commande publique et des réglages dictés par l’Etat.
Dès lors, ce qui se joue relève de la capacité des uns et des autres à entrer et à se maintenir dans les bonnes grâces du détenteur du pouvoir suprême, allant jusqu’à se faire adouber par la parentèle et de notoires adeptes du trafic d’influence, la fin justifiant les moyens y compris les plus corrosifs pour la dignité et l’amour propre.
Dans cet imbroglio politico-affairiste, les bisbilles au sein du Club des Investisseurs Sénégalais ne devraient pas faire illusion, en masquant la réalité des problèmes de gouvernance d’entreprise et du jeu des différents acteurs étatiques comme privés, impliquant politiciens, affairistes, marabouts et leurs « partenaires » étrangers. Si Akilee tombe, d’autres Sénégalais tout aussi initiés et susceptibles d’ententes illicites investiront la place dans une nouvelle (?) configuration incluant les mêmes qui dans le passé, ont vécu sur la bête.
Si d’aventure, il est décidé de procéder à l’audit de Senelec, il devrait couvrir toute la période allant de la première alternance sous Wade, après l’annulation de la cession de la société à la canadienne Hydro-Québec et au dédommagement consécutif à la renationalisation de la boîte.
Les dirigeants qui se sont succédé à la tête de la boite, ont fait exploser les compteurs des avantages en numéraires et en nature de toutes les catégories socio-professionnelles, syndicales, avec des taux d’encadrement et de rémunération, le recours aux sous-traitants défiant toute logique managériale.
Senelec, comme avant avant-hier l’Office National de Commercialisation et de Développement (ONCAD), la Régie des Chemins de Fer, les Industries Chimiques du Sénégal ou encore la Société Nationale de Commercialisation des Semences (SONACOS), ont été la proie d’un « tong-tong », un dépeçage systématique et continu, enjambant les différents régimes qui se sont alternés dans notre pays, ces soixante dernières années. La maîtrise de notre économie nationale a déserté l’agenda politique, depuis la mise en échec du président Mamadou Dia et la mise sous l’éteignoir du projet avorté d’une politique autocentrée et ouverte au monde, sur la base d’une coopération équilibrée des intérêts mutuellement bénéfiques de nos peuples.
Calame