L’engagement est une posture, un marqueur, un sacerdoce. Ainsi posé, l’intellectuel ne saurait se résumer à une personne bardée de diplômes. Au-delà, il y a surtout un supplément d’âme qui fait s’intéresser aux pulsations du monde, développer de la compassion et se mettre en quête d’une société réconciliée avec elle-même parce que rétive à toute forme de domination, de soumission et d’exclusion. Par leur combat pour la dignité humaine, des autodidactes de la trempe de Lamine Senghor et Ousmane Sembène furent de grands intellectuels. Il est donc question d’être en mode combat, de débrouiller les ténèbres en les éloignant le plus loin possible au profit de l’épanouissement et de la démocratisation du savoir, à l’instar d’un intellectuel de renom, Cheikh Anta Diop. Le combat de ce dernier consistait en effet à contribuer à l’émergence d’une conscience historique africaine susceptible de fracasser les ténèbres dans lesquels ont voulu l’installer durablement l’esclavage, la colonisation, dans l’unique but de lui ôter toute humanité.
De la protestation certes, mais nous dit l’auteur, l’intellectuel n’est pas simplement sujet à la prise de position et à la dénonciation du fait qu’il se distingue aussi dans l’incarnation d’une ambition libératrice. Il fait cas des grands débats récents qui ont agité le ghota intellectuel, notamment autour de certains ouvrages tels « la fin de l’histoire » de Francis Fukayama ou le « choc des Civilisations » de Samuel Huntington. L’auteur fait un clin d’œil à Paris, revenant sur l’attraction qu’elle exerçait sur le monde intellectuel et qui fascinait notamment des Américains comme William Faulkner, Richard Wright dont le pays n’arrivait pas à absorber les frustrations et les attentes qui bouillonnent en son sein. Il en profite pour interroger l’anti-intellectualisme à travers notamment l’espace étasunien marqué par le pragmatisme, bien loin des joutes verbales, fussent-elles de haut niveau. C’est une tradition différente qui s’y déroule. Là-bas, on admire plutôt le « self made man », la réussite dans le business. En somme le culte du résultat plutôt que celui de l’accumulation de connaissances. L’intellectuel y est donc vu négativement car perçu « comme un technicien du mental, qui réfléchit, critique, théorise, imagine, questionne dans un environnement qui n’en a pas besoin ». C’est oublier que « toute parole a des ressentiments. Tout silence aussi ». Alors « Des intellectuels pour quoi faire ? »
A travers cet ouvrage on mesure en tout cas l’importance du rôle de l’intellectuel. Il met le couteau dans la plaie, mû par un désintéressement et une audace qui l’obligent à porter et à défendre des causes qui le dépassent en se mettant au service de la veuve et de l’orphelin. L’auteur se livre ainsi à travers ce qui s’apparente à une revue de l’intellectualité, celle qui remet au goût du jour tous les combats pour les nouveaux droits établis aujourd’hui comme une évidence, avec en arrière fond le rappel qu’ils ne doivent leur effectivité que par les batailles qu’il a fallu mener en conséquence. Une façon de dire l’actualité du rôle de l’intellectuel.
Note de lecture
Makhtar Diouf