Que va-t-il nous amener comme "seurithieu" ("cadeau d'arrivée", en wolof) ? De son propre aveu, dans une déclaration prononcée le 05 février, sous les lustres de sa luxueuse résidence de Versailles, dans la banlieue chic de Paris, il nous apporte une contestation du processus électoral en cours et une belligérance contre le pouvoir. Wade a annoncé sa volonté d'user de sa capacité de nuisance pour empêcher l'élection présidentielle prévue le 24 février prochain de se tenir.
Pourquoi ? Parce que son fils, Karim Wade, candidat déclaré de son parti, le Parti démocratique sénégalais (Pds), a été éliminé du scrutin pour cause de condamnation pénale. Ce crime de lèse-majesté (de lèse-prince, plus précisément) insupporte celui qui dirigea le Sénégal de 2000 à 2012 au point qu'il ait décidé, plus que nonagénaire, de replonger dans le très rude terrain de la contestation politique.
Le symbole est dévastateur : candidat déclaré et recalé, Karim Wade, en dépit de promesses répétées de retour à ses souteneurs, a fini par "sous-traiter" le combat à son père, jetant un Abdoulaye Wade émoussé dans la bataille pour garder son confort douillet d'invité princier à Doha. "L'aurait-il fait s'il était de culture typiquement sénégalaise ?", se demandent, de façon récurrente, les Sénégalais.
C'est à la limite son problème si Wade père consent à être l'agneau du sacrifice. Après tout, les passionnés de tragédies antiques mettent beaucoup tout sur le compte de l'amour filial.
Ce qui est problématique, par contre, c'est que le père nous promette le bruit et la fureur parce que son fils ne peut pas être roi. C'est que Wade-père laisse Wade-fils au chaud, sous les ors, lambris et dorures des palais de Doha, pour venir souffler le feu sur les enfants des Sénégalais qui vivent dans notre pays.
Beaucoup de choses se sont passées au cours de ces derniers mois, dont des coupures d'eau et des conflits estudiantins, sans interpeller outre mesure Abdoulaye Wade. Il s'est éloigné du Sénégal après la libération de son fils, et n'y est revenu qu'à l'occasion des élections législatives de juillet 2017. Lorsqu'il a échoué à renverser la majorité parlementaire, c'est-à-dire à frayer la voie du palais au "candidat du Pds", il est reparti… Pour ne revenir qu'après la disqualification dudit candidat par le Conseil constitutionnel…
Ce rapport au Sénégal, qui se décline à travers le seul objectif de porter Karim Wade à sa tête, est plus scandaleux que le scandale. Madické Niang l'a appris à ses dépens.
Avocat, averti de la grave hypothèque qui pesait sur la candidature du fils, ce fidèle parmi les fidèles de la famille a eu l'outrecuidance de se poser en alternative pour pouvoir canaliser l'électorat du Pds. Mal lui en a pris : il a essuyé et continue d'essuyer les foudres du père. Le calcul de Wade est aussi froid et cynique : tant qu'à faire, il vaut mieux une non-candidature qu'un candidat pour occuper le trône de son parti dont seul son fils peut et doit hériter.
Le retour au bercail de Wade, ce 07 février, n'a donc rien de transcendant. Il s'inscrit dans une stratégie de reconquête familiale d'un pouvoir perdu par les urnes. Une stratégie si personnelle ne doit pas conduire les enfants d'autrui, qui font office de chair à canon alors que l'enfant de Gorgui est en sécurité, à casser et à brûler. Abdoulaye Wade, qui a dépassé l'âge canonique où même Dieu est indulgent avec lui, peut se targuer d'avoir fait creuser à Touba sa tombe où il est prêt à aller reposer. Nos compatriotes, eux, à majorité jeunes, souhaitent vivre.
Le Sénégal ne doit pas être brûlé, aucun Sénégalais ne doit être blessé, encore moins tué, pour une cause si triviale. Nul, pas même Abdoulaye Wade, n'a le droit de mettre le feu à ce pays pour les beaux yeux de son fils…
Cheikh Yérim Seck