Quand elle se trompe sur une des réponses, il est d’usage de la réorienter. Toutes les semaines, plusieurs de mes patients se trompent en répondant à la question sur le président des États-Unis. Jimmy Carter semble être un grand favori. La semaine dernière, l'un d'entre eux m’a dit que le président, c’était Obama. Quand je lui ai expliqué qu’il avait terminé son mandat, il a voulu que je lui donne une deuxième chance de deviner. Et il est remonté jusqu'à Bush.
«Pour de vrai?»
Les trous de mémoire peuvent avoir une multitude de causes, de la démence chronique à une blessure à la tête aux effets temporaires. Donc, certains patients sont alertes, savent où ils en sont et sont suffisamment «en état» pour comprendre la gravité de la nouvelle que je finis par leur dévoiler. C’est réellement un moment fascinant, et je suis devenu très curieux de découvrir la réaction de chaque patient. À chaque fois maintenant, je fais une pause, je prends une profonde inspiration, je les regarde droit dans les yeux et je leur révèle la complète et indéniable vérité: le président de notre pays, les États-Unis, c’est Donald J. Trump. Et je me tais. Et je garde mes yeux dans les leurs.
En général, la suite est plutôt moche.
Une vieille dame a proféré un râle effrayant, comme si quelqu’un venait de lui annoncer que son chat était mort. Un autre patient a cligné deux fois des yeux lorsque je lui ai annoncé. «Pour de vrai?», a-t-il demandé, incrédule. «Allez docteur, vous vous payez ma tête.» Un patient m’a reproché de lui faire une mauvaise blague, mais pour l’instant personne ne m’a encore accusé de colporter des «fake news».
«Ça y est, ils ont mis Hillary en taule?»
L’amnésie est une chose mystérieuse, surtout lorsqu’un patient ne souffre pas d’autre trouble cognitif. Souvent, les informations nouvelles provoquent dans ces cas-là une réaction et une expérience sincères, sans la moindre miette d’inhibition, ce qui fournit un aperçu de l’âme captivant.
Citons par exemple le cas célèbre du musicien classique britannique Clive Wearing qui, atteint d’encéphalite, aurait la capacité mémorielle d’un poisson rouge. À chaque fois qu’il voit sa femme, il lui saute au cou, pleure de joie et applaudit comme s’il ne l’avait pas vue depuis des années, même lorsqu’elle n’a quitté la pièce que depuis quelques minutes. Sensationnel témoignage d’amour et de ce qu’est une vie sans mémoire.
Il semble régner le même genre de candeur chez les électeurs de Trump que j’ai pu voir jusqu’à présent. J’attends toujours que quelqu’un me dise «Génial ! Ça y est, ils ont mis Hillary en taule?» –mais pour l’instant, rien. En revanche, j’ai eu droit à des réactions plus philosophiques, du genre: «Wow. J’ai voté pour lui, mais il n’a pas vraiment gagné, quand même? Ça, c’est vraiment dingue.» Quelle que soit leur affiliation politique, les réactions de mes patients ont montré qu’ils trouvent la réalité bien plus étrange –et plus surprenante–que la fiction.
«On s'en fout»
Mais à une époque où de nombreuses personnes trouvent de plus en plus difficile de faire une pause mentale pour interrompre le rythme des informations, certains de mes patients font montre d’une indifférence presque enviable. Un monsieur m’a affirmé un jour que le président actuel était Al Gore. Quand je lui ai raconté que Gore avait fini par perdre il y a dix-sept ans après un célèbre appel auprès de la Cour suprême et que l’homme qui détient les codes nucléaires en ce moment, en fait, eh bien c’est Donald Trump, il a levé les sourcils, haussé les épaules et sorti au débotté: «On s’en fout!»
Ah, si seulement, l’espace d’une journée, je pouvais être à sa place.