«Le président a cassé la portée de sa tournée économique»
Le président de la République ne peut pas pratiquer ce qu'on appelle l’évitement politique. Autrement dit, essayer d'éviter ou de contourner l'attention des populations vers, soit sa tournée, soit l'événement politico-judiciaire Khalifa Sall. Je pense que nous sommes dans un pays qui a une très forte couverture médiatique.
Vous avez les réseaux sociaux et les autres médias, tout le monde parlera à la fois des deux événements. Ils vont parler à la fois de la tournée économique du président, du discours qu’il va faire là-bas, du bilan des promesses qu’il va faire, en même temps ils vont se focaliser sur l'affaire Khalifa Sall et ses péripéties politiques. Les attentions des médias seront d'avantage orientées vers l'événement qui est à Dakar, donc l'incarcération de Khalifa Sall alors que le président, à travers sa tournée, veut montrer en réalité ses résultats économiques.
En vérité, presque volontairement, le président est en train de casser ou de minimiser la portée de ses résultats au Fouta en laissant l'actualité, occupée par les péripéties de la détention de Khalifa Sall. Donc, ce n'est pas forcement efficace quelle que soit l'arrière-pensée que le président a pu développer à ce niveau…
D’ailleurs, pourquoi les journalistes qui accompagnent le président de la République dans sa tournée économique dans le nord du pays ne lui ont pas posé de questions sur l’arrestation de Khalifa Sall et sur les accusations d’instrumentaliser la justice ? On ne demande pas au président de se prononcer sur le verdict mais au moins, il y a des accusations qui ont été portées contre lui. Est-ce qu’on les (les journalistes-ndlr) a empêchés de poser la question ou ce sont eux-mêmes qui se sont autocensurés pour ne pas poser la question ?
DR MAURICE SOUDIECK DIONE DE L’UGB DE SAINT-LOUIS :
«Les citoyens sénégalais ont une maturité politique remarquable»
Cela peut être analysé comme tel, à travers une stratégie qui met en scène le président de la République Macky Sall au travail, actif sur le terrain de la prise en charge effective des préoccupations économiques et sociales des Sénégalais, et le plaçant au-dessus des contingences politiques laissées à l’opposition.
Mais les limites d’une telle stratégie sont relatives au fait que ces tournées même qualifiées d’économiques sont éminemment et fortement politiques et politisées, car elles amènent le chef de l’Alliance pour la République et de la coalition Bennoo Bokk Yaakaar à remobiliser ses troupes, à rencontrer ses militants et responsables, et éventuellement à œuvrer à trouver au contact des réalités les meilleures formules pour les investitures aux élections législatives de juillet 2017. Seulement, l’emprisonnement de Khalifa Sall peut galvaniser l’opposition, notamment les partisans de ce dernier autour de cette affaire politico-judiciaire, et favoriser l’organisation des forces opposées au régime pour les législatives.
Car, on peut se poser la question de savoir si Khalifa Sall aurait eu maille à partir avec la justice s’il avait accepté de rentrer dans les rangs de la coalition Benno Bokk Yaakaar pour les échéances électorales de 2017 et de 2019, plutôt que de s’inscrire dans une optique de dissidence. Dans ces conditions, à un moment où toutes les positions de pouvoir sont déjà distribuées, les socialistes et autres frustrés des investitures au sein de Bennoo Bokk Yaakaar, peuvent rejoindre le camp de l’opposition.
Dans le même ordre d’idées, cette tentative de diversion peut également provoquer efficacement un effet inverse amplifié, si et seulement si le camp de Khalifa Sall élabore un programme pertinent et effectue une bonne communication, en jouant à fond sur la fibre de la victimisation, tout en évitant les attaques crypto-personnelles contre le Président Sall ou de verser dans une propagande revancharde. Car les citoyens sénégalais ont une maturité politique remarquable, de telle sorte qu’il faut éviter de donner l’impression de vouloir créer une crise politique dans le pays.