L’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou a raison sur un point : «la durée de vie d’une dictature dépend de notre silence». Dans une lettre ouverte adressée à l’ex Président français François Hollande et publiée le 10 mai 2016, le poète engagé dressait un réquisitoire sans appel contre la tyrannie de Sassou-Nguesso «Le nom de mon pays d’origine est désormais inscrit en rouge sur le tableau noir du déshonneur des républiques bananières, à côté de la Corée du Nord. Pendant ce temps, le potentat Sassou-Nguesso et ses hommes de mains exercent un pouvoir sans partage, bâillonnent le peuple, confisquent la volonté populaire et multiplient les arrestations arbitraires».
Certes, le Congo n’est pas le Sénégal. Mais, derrière la rhétorique d’une démocratie majeure entonnée comme un refrain, la réalité du Sénégal en 2017 est celle d’une République bananière. Ni plus, ni moins. De fait, le magistère de Macky Sall est un condensé de tous les ingrédients d’une dictature rampante : patrimonialisation de l’état, vassalisation de l’administration (préfets, sous-préfets, gouverneurs), multiplication des interdictions de manifester en violation de l’article 8 de la Charte suprême, atteintes aux libertés individuelles et collectives, création d’une Cour d’exception (CREI), mainmise sur la justice dont l’impartialité est mise en doute, contrôle d’une partie de la presse aux ordres (usage de techniques de désinformation de masse), invention de nouvelles règles juridiques (les Avis sont transformés en Décisions), violations répétées de la Constitution, usage inapproprié des deniers publics, actes de mauvaise gouvernance, prolifération des marchés de gré à gré, déploiement d’un arsenal ultra répressif contre les opposants politiques, confiscation de la volonté populaire avec la privation du droit de vote de centaines de milliers de sénégalais lors du scrutin faussé du 30 juillet 2017, et forte suspicion concernant la mise en place d’un système inédit de fraude électorale permettant l’inversion du cours du scrutin à Dakar et la captation des suffrages au bénéfice du parti au pouvoir (APR et ses satellites). Dans cet univers sombre marqué par l’affaissement des corps intermédiaires et l’absence de contrepouvoir, l’arbitraire règne en maître.
En 5 ans d’exercice du pouvoir, le Président de l’APR a fracassé la démocratie sénégalaise, abimé l’état de droit et perverti les institutions soumises aux caprices d’un homme. L’incompétence du régime est proportionnelle à son incapacité d’assurer aux populations la fourniture correcte en eau, ramenant le Sénégal à l’ère de la préhistoire. L’épisode du tuyau de Keur Momar Sarr en 2014 montrant les images d’un Président débarquant en hélicoptère, paradant en tenue militaire pour faire face «au dysfonctionnement d’un tuyau» à l’origine de la pénurie d’eau dans la capitale, traduit l’état d’esprit d’un homme qui attribue à la force une puissance démesurée pour résoudre des problèmes dont les réponses relèvent exclusivement du domaine de la planification et de l’expertise technique. Affronter le débat libre et contradictoire inhérent à la démocratie est hors de portée du pouvoir actuel.
Le système de gouvernance de Macky Sall fondé sur le recours systématique à la force, la privatisation des forces publiques au service d’un clan, la communication excessive et désordonnée (tapage médiatique sur un supposé plan émergent), la transhumance d’une partie des élites, la complicité active de certains médias est désormais à bout de souffle.
L’homme aux 65% des présidentielles de 2012 ne fait plus rêver personne. En 5 ans, les Sénégalais ont découvert à la fois, les désastres du YONNU YAKHOULE et la véritable facette de Macky Sall, dont l’impopularité file à la vitesse d’un TGV. Désavoué par une majorité de sénégalais, le Président de l’APR fait feu de tout bois, crée une mystification autour de sa personne (délit d’offense au Chef de l’état), verse dans le culte de la personnalité, installe une politique de terreur judiciaire (auto-saisine «sélective» d’un Procureur qui outrepasse ses pouvoirs) et multiplie les arrestations arbitraires.
D’Oulèye Mané à Amy Collé Dieng, le Président de l’APR voit derrière chaque citoyen sénégalais un opposant potentiel. Toute critique de son régime est suspecte. Toute voix discordante doit être étouffée ou mise en prison. Sans raison aucune, et au mépris des règles élémentaires de l’Etat de Droit. Son pouvoir est fébrile au point que des élèves de 15 ans, des étudiants, des artistes, des journalistes indépendants, ou des citoyens ordinaires peuvent du jour au lendemain être accusés «d’offense au Chef de l’Etat» ou suspectés d’atteinte à la sureté de l’Etat. Dans les Républiques bananières, on a tendance à confondre «atteinte à la sureté de l’Etat», avec « atteinte aux intérêts du Chef de l’Etat».
Or, dans un Etat de Droit, les intérêts du Chef de l’état (privés et personnels) ne doivent jamais primer sur ceux de l’Etat (Intérêt général). Les pouvoirs démesurés, hors limite attribués au Président de la République par certains relèvent d’une stratégie de sacralisation de la fonction présidentielle qui défie le bon sens. Il faut replacer précisément les choses dans leur contexte. Si le Chef de l’Etat est une Institution, il n’est pas au-dessus des Institutions.
Le Chef de l’Etat n’est pas un Citoyen d’Exception, mais bénéficie durant son mandat d’un statut juridictionnel qui lui accorde une «irresponsabilité ou immunité temporaire» pour les actes commis dans l’exercice de ses fonctions. Cette «immunité partielle» cesse dès la fin de son mandat, faisant du Président un citoyen ordinaire. Le Sénégal n’est pas un royaume, mais une République où les citoyens jouissent de la plénitude de leurs droits.
Alors que des milliers de sénégalais ont fait le choix de devenir avocats, artisans, chefs d’entreprise, paysans, enseignants, artistes, Macky Sall qui a choisi en toute connaissance de cause, d’accéder à la magistrature suprême en briguant les suffrages des sénégalais, souhaite s’affranchir des règles auxquelles doivent se conformer tout homme public : le droit à la critique sur sa gestion du pays. S’exonérant pour le coup de ses responsabilités d’homme d’Etat.
En 2012, le candidat Macky Sall magnifiait les bienfaits des réseaux sociaux par ces termes «De nos jours, la répression ne fait plus reculer aucun peuple. Partout, la magie du clic fait face à la toute-puissance du fric et des organes de répression». Aujourd’hui il en est réduit à vouloir censurer la toile. Acculé par une contestation qui le dépasse, le Président de l’APR qui ne jurait que par Facebook et Twitter en 2012, est décidé parait-il à mobiliser l’armée pour faire face à Internet et à l’application WhatsApp.
Le Procureur de la République qui s’est fendu d’un communiqué pour intimider les citoyens et les administrateurs de sites Web sait mieux que quiconque que cette prétention est illusoire, tant la puissance de Facebook et de Twitter est sans commune mesure avec les moyens dérisoires d’un pays comme le Sénégal. Un combat perdu d’avance, car on n’arrête pas la mer avec ses bras. L’argument avancé consistant à contrôler les dérives des réseaux sociaux n’est qu’un paravent.
En vérité, le sujet porte sur la volonté de restreindre les espaces de liberté des citoyens, et d’étouffer toute contestation politique du régime en place. Nulle part dans le monde, les lois liberticides n’ont sauvé les régimes politiques d’une débâcle. La réaction des citoyens sénégalais, notamment ceux de la diaspora prouve que la stratégie de terreur mise en place par le pouvoir est vouée à l’échec.
Les dérives liberticides de Macky Sall semblent ne plus avoir de limite et constituent une menace pour la stabilité du Sénégal. Le garant du bon fonctionnement des institutions est devenu l’homme du désordre. Cette situation interpelle désormais la communauté internationale et les partenaires du Sénégal. Restaurer l’état de Droit au Sénégal est un impératif. Titulaire d’un mandat présidentiel à durée limitée, Macky Sall qui n’est ni Dieu, encore moins son prophète devrait savoir qu’au Sénégal, les citoyens sont nés libres et entendent le demeurer.
La Constitution sénégalaise n’a pas octroyé au Procureur de la République le pouvoir de définir le champ de la liberté d’expression, d’instaurer une police de la pensée et de délivrer «des permis d’arrestations à tout bout de champ». Vouloir emprisonner la conscience de 14 millions de citoyens sénégalais est à la fois grotesque et irrationnel. Franchir ce Rubicon, c’est courir le risque de subir le sort peu enviable de certains chefs d’états africains.
Seybani Sougou – E-mail : sougouparis@yahoo.fr
Jeune Afrique