Or, l’activiste aurait été cueilli à partir de l’avion par les éléments de la Bip (Brigade d’Intervention rapide), et conduit à la Dic (Division d’Investigation criminelle) où il aurait subi un long interrogatoire. Comme précédemment annoncé, Assane retrouve la liberté vers les coups d’une heure du matin et rentre chez lui au quartier Sahm Notaire à Guédiawaye, dans la banlieue dakaroise.
Le cas de l’activiste Assane Diouf est révélateur du profond malaise que vit la société sénégalaise. Des frustrations longtemps accumulées sont en train d’être dévoilées par des individus, dont le comportement reflète les secrets sournois d’une société qui a mal dans sa peau. Ceux par qui le malheur est passé ne sont pas les véritables auteurs du malaise. Ils n’en sont que les outils révélateurs ou véhiculaires. En vérité, notre société a commencé à dégringoler vers les bas-fonds, depuis plusieurs décennies. Des responsables à plusieurs niveaux ont failli à leurs missions. De mauvais exemples ont été inculqués à la jeunesse. Le flou total a été entretenu depuis belle lurette au point de confondre le vrai et le faux.
Au plan historique, le résistant martyr est ramené au même niveau que le chef de canton, le marabout combattant serait l’égal du marabout collaborateur, etc. Une telle confusion des genres procède d’une méthode de brouillage des pistes et d’une tactique de diversion préjudiciables à la manifestation de la vérité. Notre vraie histoire est aujourd’hui masquée par des fables enrobées d’une dose mystique ou mythique inqualifiable. Notre passé de résistance contre le colonialisme de toute nature a été occulté par un simulacre d’indépendance qui nous a replongés dans les ténèbres de la passivité, de la soumission et du suivisme. Ainsi, le fameux voyage de De Gaule dans les territoires « français » d’Afrique du 20 au 29 août 1958, avait fini de révéler le caractère versatile de certains de nos dirigeants. La scission qui a mis fin à la Fédération du Mali n’était que le prolongement d’un vaste complot dont les piètres exécutants étaient malheureusement des Sénégalais. Le faux coup d’Etat de 1962/63 injustement attribué à feu Mamadou Dia fait également partie de cette tempête du chaos qui souffle sur le continent noir depuis la première séquence de la traite négrière.
De 1963 à nos jours, nos gouvernants ont mené une politique de ruse et de supercherie au point d’entamer complètement leur crédibilité auprès des populations. L’assassinat politique de l’ancien ministre et député-maire de Mbour, feu Demba Diop (03 février 1967, en pleine réunion du bureau politique de l’UPS, devenue Ps), l’assassinat-suicide du brillant étudiant Oumar Blondin Diop(11 mai 1973 lors de son emprisonnement à l’Ile de Gorée), l’assassinat des étudiants Alphousseyni Sagna, Diéweul Daff ( 1971-1972 à Gnanao (Département de Kolda à l’époque), lors de la guerre de libération de la Guinée Bissau et des Iles du Cap-Vert, menée par le PAIGC, Alphousseyni Sagna tomba sous les balles de l’armée coloniale portugaise qui poursuivait les résistants du PAIGC jusqu’à l’intérieur du territoire sénégalais, qui leur servait de base arrière.
Ces deux étudiants et tant d’autres furent l’objet d’un enrôlement punitif dans l’armée sénégalaise par le régime socialiste de Senghor), Balla Gaye (suite à la grève universitaire de 2001, sous l’ère Wade) et Bassirou Faye (suite aux évènements estudiantins à l’Ucad en août 2014, sous le régime du Président Macky Sall), l’accident macabre de la Sonacos( de 1992 sous A. Diouf), le naufrage par négligence du bateau « Le Diola »( septembre 2002), l’assassinat politique du juge Me Babacar Sèye (suite aux élections législatives du 09 mai1993-sous l’ère Abdou Diouf-) sont autant d’actes de banditisme d’Etat dont nos dirigeants ont été les auteurs ou en tout cas, les commanditaires ou les complices coupables. Ces crimes, d’une gravité certaine n’ont jamais été véritablement élucidés pour en identifier les vrais auteurs ou au moins les commanditaires. Ils sont restés presqu’impunis.
Pire encore, des pseudos-journalistes furent (armés) pour tirer à bout portant sur des adversaires politiques, tout comme des nervis furent recrutés pour attaquer et anéantir des adversaires politiques, et dernièrement, des jeunes et des femmes, furent également embrigadés pour insulter ces mêmes adversaires !
Le Sénégal basculait ainsi, petit-à-petit, vers le gouffre. Des jeunes, nés dans cette jungle, perdent tout repère et se comportent comme les cow-boys de Texas en transformant le pays de Ndiadiane Ndiaye en un far West américain du 19 ème siècle. C’est que l’image que nos dirigeants renvoient à la jeunesse est d’autant plus hideuse, que tous ces actes de banditisme politique, décrits plus haut, sont restés, non seulement impunis, mais les auteurs sont-quelques fois- récompensés et promus à de hautes fonctions républicaines !
Récemment, une dame nommée Penda Bâ a osé insulter l’ethnie wolof, sans retenue aucune, pour, dit-elle, se venger contre les pourfendeurs de « son Président de la république » !
Curieusement, cette affaire gravissime a été traitée avec une légèreté déconcertante, puisque la bonne dame a été élargie de prison, après quelques jours d’arrestation, sans aucune forme d’explication soutenable !
Depuis lors, il ne fallait plus se douter que des milliers d’Assane Diouf ou de Penda Bâ, allaient surgir de l’ombre pour dicter leur loi, là où ils sentent qu’il n’y a plus de loi.
Que faire maintenant que la coupe est pleine ?
Il nous faut reconstituer notre passé, nous réconcilier avec notre présent pour repenser notre avenir. Il ne s’agira point de consacrer à la mode, par la mise sur pied d’une commission « Vérité et Réconciliation », mais plutôt de reformuler notre vraie histoire avant de la réécrire et de fermer aussitôt la page sombre de l’impunité, sous toutes ses formes et à tous les niveaux, afin que la gaffe de Penda Ba ne se répète plus. Dans cette nouvelle posture, le geste de nos Autorités envers le cas Assane Diouf, serait à saluer, d’autant qu’elle constituerait un pas décisif vers l’apaisement, s’il n’est pas dicté, comme le prétend un quotidien de la place, par une puissance étrangère. En tout état de cause, les quelques incohérences ou hésitations qui ont émaillé le traitement du dossier, plaident malheureusement pour cette thèse. Néanmoins, nous sommes d’avis que le chef de l’Etat devrait saisir l’opportunité de la fête de la Tabaski, pour un ouvrir un nouveau front d’un dialogue inclusif, sincère et démocratique avec toutes les forces vives de la nation sénégalaise. Dans la foulée, la composition de son prochain gouvernement devrait tenir compte des équilibres régionaux, ethniques, Politiques, linguistiques et religieux…
A mon ami Mactar Guèye, je dirai que ce n’est pas Assane Diouf seulement, qu’il faudrait envoyer dans un centre spécialisé de désintoxication, mais tout le peuple sénégalais. N’est-ce pas le Psychologue Serigne Mor Mbaye qui invitait, il n’y a guère longtemps, à un « Ndeuppe collectif » ?
Le cas d’Assane Diouf n’est pas un épiphénomène ou un cas isolé. Ce ne sont que les premiers signes d’alerte d’une révolte générale qui s’annonce. A côté d’ Assane Diouf, devenu une star pour ne pas dire un héros, il y a le grand journaliste Baba Aïdara, la sénégalo-gambienne Lala Kounta Aïdara, Maty « 3 pommes », Yaye Fall Lampe Lampe, Françoise Hélène Gaye, Aby Cissé, Nafi Diallo, Assane Diouf N°2, etc. Ils sont aux Etats-Unis, en Suède, en France, au Canada et ailleurs. Ne l’oublions jamais, les enfants de la diaspora sont des rescapés d’une Afrique dont la jeunesse avait perdu tout espoir en ses dirigeants.
A l’instar du Printemps arabe, les jeunes Africains déclenchent, à travers ces gestes et propos insolents, ce qu’on pourrait appeler « un Harmattan africain » qui, à son tour, va balayer beaucoup de régimes politiques. Y’en a marre, au Sénégal, Balai citoyen au Burkina, la Lucha de la RDC, sont autant de cris de désespoir qui n’ont pas été bien compris par les dirigeants africains.
Ces mouvements porteurs de changements inéluctables, représentent l’effet boomerang de l’échec patent d’une certaine politique de jeunesse en Afrique ou d’une politique tout court. Ces vagues déferlantes expriment un message fort que l’on retrouve facilement dans leurs appellations : « Y’en a marre », « ça suffit », la Lucha (Lutte pour le changement), « Balai citoyen », etc. En dehors des insultes, expression de ras-le-bol général ou de désespoir chronique, le message reste constant et limpide : haro sur l’impunité, haro sur le favoritisme, haro sur le pillage de nos ressources naturelles, haro sur le suivisme, haro sur la mauvaise gouvernance. En somme, un cri de cœur pour un changement de cap et de manière de faire.
La note qu’apporte la diaspora est portée par des gens comme Baba Aïdara, Assane Diouf, Françoise Hélène Gaye, Lala Kounta Aïdara et Cie. Leur message dénonce une mauvaise gouvernance dont ils ont été les victimes désignées. Rappelez-vous les milliers de morts, engloutis quotidiennement par la Méditerranée. Ils le disent tous : « Nous sommes ici (à l’étranger) parce qu’il ne fait bon vivre chez nous, mais nous voulons tous rentrer au pays, tôt ou tard ! » !
A défaut d’un changement de cap évident, la plupart des régimes africains feront les frais de ce que j’appelle « l’Harmattan africain ».
J’en appelle à la sagesse et à l’esprit de responsabilité du Président Macky Sall, pour une analyse approfondie et un décodage systématique du message que lui envoie d’Outre-mer, cette jeunesse qui ne se retrouve plus dans les schémas politiques préfabriqués, expérimentés en Afrique, de 1960 à nos jours !
Mamadou Bamba Ndiaye
Ancien Ministre Conseiller
Chargé de la Communication, Porte-parole
de la Présidence de la République,
Chargé des Affaires religieuses