avoir tardé à entrer dans le champ littéraire pour une aussi rigoureuse plume ?
L’observation peut paraitre fondée à priori. Entre le tapuscrit fin prêt et édition effective, il s’est passé un grand laps de temps lié à des circonstances indépendantes de ma volonté. Je m’étais adressé en premier lieu comme de juste au ministre chargé de la Culture Monsieur Mbagnick Ndiaye dont je revendiquais l’amitié pour diverses raisons. Les lourdeurs administratives ont fait que rien de véritable ne s’était passé jusqu’au départ de M. Ndiaye, même chose avec son successeur. En désespoir de cause, je me suis adressé à des éditeurs privés dont les prétentions financières étaient sans communes mesures avec mes maigres moyens. Heureusement que j’ai pu contacter les « Editions KHOUDIA » de Mme Aminata Sow Fall dont la sœur ainée Arame avait fait le lycée Faidherbe avec moi et dont le mari était un militant très connu du PAI. J’ai été reçu par Mme Fall que je ne saurais assez remercier et son excellent collaborateur M. Nabil Haïdar qui ont tout fait pour la sortie du livre.
Vous déteniez un carnet où vous griffonniez vos souvenirs pour ces récits?
Il est clair que j’ai conservé mes notes entre temps puisqu’aussi bien je n’avais pas une mémoire d’éléphant. Il est clair également qu’il s’agit non pas d’un récit mais d’une autobiographie. Il est tout aussi clair que l’odyssée de mon livre est caractéristique de la misère de l’édition dans notre pays.
En quel moment avez- vous jugé utile de faire publier ce récit ?
Dans les pages consacrées à son ami Louis de Vilalonga, écrivain et Grand d’Espagne, Guy Montréal journaliste canadien se posait les questions suivantes : Comment, se disait-il, naissent un roman, un conte, une pièce de théâtre, et pourquoi ? Quelle est la raison ou plutôt le goût pervers qui pousse un homme apparemment sensé à prendre place devant une feuille blanche pour raconter des événements qui n’intéressent que lui-même ? Quelle est donc la force obscure qui détermine les différentes phases de cette création, l’idée déclic, son développement, sa morale, sa finition.
Mon idée-déclic est venue de l’habitude que nous avons prise, un ami aujourd’hui disparu et moi-même, d’évoquer nos souvenirs de lycéens des années 50. De fil en aiguille, j’en vins à revisiter toutes mes années de jeunesse durant lesquelles j'ai rencontré l’histoire. Ou plus exactement j’ai vécu une époque charnière, une transition historique entre un vieux monde qui allait bientôt finir et un autre en gestation.
Ayant dépassé la cinquantaine, je voyais déjà poindre à l’horizon les paysages desséchés de la vieillesse. L’angoisse qui y est généralement associée m’incite aujourd’hui plus qu’hier à me réfugier auprès de mes compagnons des bons et des mauvais jours, la lecture et l’écriture. Parvenu à l’âge de la retraite, je ne voulais pas être un inutile frelon, comme disait l’autre.
C’est tout cela qui a donné naissance à cet ouvrage. Il retrace l’itinéraire d’un fils du Fouta profond parti de sa lointaine province natale à la recherche du savoir et du savoir-faire.
Par-delà son caractère autobiographique, ce livre relate le vécu de toute une génération.
Entre deux cultures, vous avez réussi à vous forger une véritable identité culturelle. Quel est le
secret des gens de votre époque ?
Très pénétrés de la civilisation moderne française, nous restons pas moins attachés à nos traditions.
Vous évoquez des moments intenses de la vie scolaire à Saint -Louis…
Avant même de connaitre la ville de Saint-Louis qui à l’époque était à la fois la capitale du Sénégal et celle de l’Afrique Occidentale Française avant de céder la place à Dakar, j’étais sentimentalement attaché à la vieille ville, la mère de mon grand-père maternel Abdoul Salam Kane, chef de la province du Damga dont je parle au début de l’ouvrage, était une authentique Saint-louisienne. Elle était la fille d’Amath Ndiaye Hanne, le premier cadi de Saint-Louis que le général Faidherbe gouverneur de la colonie avait décoré en personne. Quant à mon grand-père maternel élevé à Saint-Louis, il avait pris femme à Saint-Louis. C’est pour dire que j’étais viscéralement lié à la vieille ville alors que je venais juste d’entrer au Lycée Faidherbe en 1951. Pendant mon séjour, j’ai eu le bonheur de connaître Abdou Diouf, le plus illustre des Faidherbiens, mon ami Moustapha Niasse et tant d’autres. J’ai eu également le bonheur de connaître des professeurs qui m’ont durablement marqué, il s’agit en particulier de Vignon le philosophe qui a laissé un grand souvenir à Saint-Louis au point qu’un de ses anciens élèves, devenu enseignant à son tour, l’avait invité alors qu’il était rentré en France à la cérémonies d’un Concours général. Il refusera poliment en invoquant son âge voulant rester comme il était auparavant. Pourtant c’était un homme sur lequel ni l’âge ni la maladie ne pouvaient avoir d’effets. J’ai connu également Georgin, professeur d’histoire de l’antiquité dont j’ai encore en mémoire la péroraison de son discours d’usage et tant et tant d’autres…
Qu’est- ce qui manque à cette génération actuelle pour avoir la conscience politique des jeunes de l’époque
L’esprit de sacrifice avant tout.
Votre ouvrage résume des pages intéressantes de la vie politique et syndicale d’une partie de l’Afrique de l’Ouest. On y sent ce besoin de rétablir des faits souvent falsifiés ou occultés…
C’est exact…
Les Hal pular ont souvent été considérés comme des « Diaistes ». On vous trouve un peu sévère dans la critique de la politique du président Mamadou Dia dans votre ouvrage ?
Oui parce que je ne suis pas partisan du régionalisme et que je considère les hommes politiques uniquement sur leur programme et non sur leur appartenance ethnique
Pensez- vous sincèrement qu’il avait planifié un coup d’Etat ?
Bloquer l’Assemblée nationale souveraine, couper les liaisons téléphoniques du chef de l’Etat, arrêter les députés etc. constituent bel et bien un coup d’Etat.
Son retour sur la scène politique s’est soldé par un échec. Et vous tentez des explications dans votre livre…
Parfaitement…
Vous évoquez votre franche camaraderie avec le regretté Amath Dansokho. Pouvez-vous le raconter
Amath Dansokh dit Baba Goulo et moi avons été liés par une amitié que ni son long exil ni les aléas de la vie n’ont jamais entamée. Lui venait du sud et moi du nord du pays, c’est moi qu’il appelait le féodal qui ai converti Amath grand admirateur marxiste de Senghor. Nous sommes entrés le même jour au lycée Faidherbe en même temps que son demi-frère Alcaly, l’homonyme de son fils. Nous avons pris le même jour la carte du PAI. Au lycée on nous appelait Castor et Pollux ou encore Montaigne et la Boetie. Au siège du PAI situé au 108 bis rue de Bayeux on m’appelait l’ombre de Dansokho car dès qu’on m’apercevait, Dansokho n’était pas loin. Ma mère qui connaissait la profondeur de notre amitié nous envoyait chaque année des « Cossi » des tissus faits à la main pour nous protéger du froid saint-louisien. Quelque jour avant sa mort, il m’a fait appeler par son secrétaire Pape Mbaye à son domicile à Yoff. Ce jour-là, nous avons déjeuné ensemble en présence de son fils en nous rappelant nos souvenirs de jeunesse. Au cours de notre conversation, il m’a rappelé que c’est le Président Moustapha Niasse qui lui a permis de sortir incognito du Sénégal après la dissolution du PAI. En le quittant, j’avais le sentiment confus que nous ne nous reverrons plus en ce bas monde.
Amath adepte de l’auteur philosophe allemand était un joyeux luron qui avait le don de faire éclater de rire toute notre classe. Son souffre-douleur favori était le professeur de musique que nous appelions Mademoiselle des Beaux-arts parce qu’elle rappelait chaque fois son passage dans cette école.
Vous avez plongé très tôt dans le militantisme politique et syndical. Que vous inspire la politique telle qu’elle est pratiquée actuellement ?
La politique telle qu’elle est pratiquée actuellement me dégoute parce qu’elle ne repose sur aucun principe.
Entretien réalisé par Alassane Seck GUEYE