Ancienne garde des Sceaux, puis Premier ministre, celle qui est devenus l’Envoyée spéciale du chef de l’Etat nous apparaît sous trois plans après sa sortie : soit elle a manifestement raison mais avec des marges d’erreur qui ne remettent pas en cause sa thèse; soit elle s’est gravement embrouillée dans les éléments d’information à sa disposition avec un risque de méprise assez élevé pour que «ses» chiffres ne soient pas crédibles ; ou alors elle serait quelque part entre ces deux extrêmes avec comme difficulté principale le chiffrement relativement acceptable des sommes recouvrées.
Si l’objectif d’Aminata Touré était de «communiquer» à la place du gouvernement en direction de l’opinion publique sur le travail de recouvrement de «biens spoliés» au bénéfice de l’Etat sénégalais, il n’est pas certain qu’elle ait réussi vu la contrainte qui pèse maintenant sur le pouvoir: celle de clarifier la polémique.
D’ailleurs, le président de l’assemblée nationale, Moustapha Niasse, indirectement interpellé par rapport à une ou des lois de finances rectificatives concernant ces «200 milliards», a vite fait de dégager la responsabilité de l’institution qu’il dirige depuis 2012, et on le comprend: par exemple, aucune loi de finance rectificative n’a encore pris en compte un actif immobilier comme «Eden Rock» (évalué à 4,5 milliards de francs Cfa) que cite Aminata Touré en tant que bien saisi sur le patrimoine présumé de l’ex-ministre d’Etat Karim Wade. Au-delà, le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan ne pourrait prolonger son silence en tant que gérant central des deniers de l’Etat. Quant au chef de l’Etat, il sera encore aux abonnés absents…
Dans une démocratie respectueuse de la séparation des pouvoirs et de la capacité des institutions politiques et judiciaires à exécuter les missions qui leur sont dévolues, cette affaire serait déjà prise en main par l’assemblée nationale avec l’audition d’Aminata Touré, d’une part, suivie de la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire élargie, crédible et dotée de pouvoirs d’investigations réels. Mais aujourd’hui, cet objectif de transparence est quasiment irréalisable en raison de l’opacité fondamentale qui caractérise la gouvernance publique des autorités au pouvoir. En attendant, Aminata Touré semble bel et bien revenue au centre du jeu politique. Ce qui était peut-être pour elle un but collatéral…
Momar Dieng