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Yoro Dia : «Les politiciens sénégalais à la recherche du temps du perdu»

TRIBUNE LIBRE
Mercredi 22 Mai 2019

Notre classe politique est constamment à la recherche à l’art de perdre du temps au lieu d’être à la «recherche du temps perdu», comme aurait dit Marcel Proust et qui fait aujourd’hui qu’on fantasme sur l’exemple du Rwanda. Notre classe politique a aujourd’hui une expertise avérée de la recherche de l’art de perdre du temps.

L’idée de mettre en place une commission cellulaire (Un grand bond en arrière de 20 ans) est le dernier épisode notre vie politique qui se caractérise par cet art très raffiné sur comment perdre du temps. Nous sommes toujours à la recherche de l’art de perdre du temps, parce que nous sommes entre le marteau d’une classe politique qui fait tout pour ne pas aborder les vraies questions et l’enclume d’une Société civile composée en majorité de rentiers de la tension. Une tension souvent artificielle qui leur permet de survivre et d’exister médiatiquement.
Comme tout le monde peut s’y attendre, la commission cellulaire va proposer encore la création d’institutions comme de hauts conseils, des commissions ou des hautes autorités qui n’apporteront aucune valeur ajoutée à notre démocratie mais qui vont à coup sûr caser des rentiers de la tension artificielle. Le Sénégal ne peut pas passer son temps à inventer et à créer des institutions. 

Cette inflation institutionnelle frise le ridicule. On ne peut pas, après chaque élection, inventer ou créer une nouvelle institution comme si nous étions naïvement à la quête d’institutions parfaites. Elles n’ont jamais existé et n’existeront jamais nulle part, en partant de Grecs qui ont inventé la démocratie au Vème siècle avant Jésus Christ, aux Américains en passant par les Anglais ou les Indiens, où le vote dure 6 semaines. Il n’y a pas d’institutions parfaites. 

C’est le temps qui leur donne cette impression de perfection car, avec le temps, des institutions imparfaites à leur création deviennent sacrées parce que les acteurs s’adaptent aux institutions et ne les adaptent pas à une conjoncture comme chez nous. Le système électoral américain, qui date des années 1700, est l’un des plus complexes au monde, mais le temps l’a rendu sacré donc intouchable, parce qu’on ne touche pas au sacré.

Ce qui fait que ces institutions ont vu passer tant de générations d’Américains et d’hommes politiques, sont devenues sacrées donc parfaites parce que de Washington à Trump, tout le monde est obligé d’être soluble dans le système. La même chose est valable pour les Anglais, qui ont inventé le poste de Premier ministre parce que dans leur histoire, il y a eu un roi qui devait régner en même temps sur l’Allemagne et l’Angleterre.
Un accident de l’histoire a été à l’origine de la création du poste de Premier ministre, devenu sacré pour eux avec le temps, car personne n’a jamais songé à remettre en cause l’institution, parce que dans ce pays de gentlemen, le respect de règles du jeu est sacré. Donner du temps à nos institutions et sacraliser le respect de règles du jeu sont les deux plus grands maux de notre démocratie. Dans une démocratie comme la nôtre, où l’alternance est devenue la «respiration naturelle» du système, le débat sur les règles du jeu doit être à la marge et le débat sur l’économie et la société au centre. 

Malheureusement, nous avons tout le contraire, parce que nous sommes pris en otage par des politiciens qui évitent les vraies questions, et une Société civile qui utilise cette tension artificielle comme une rente existentielle. Cela se comprend fort bien, parce que le débat électoral et politicien est tellement plus facile que celui sur la crise de l’école publique, la sortie de la guerre en Casamance ou comment faire face au cercle de feu du terrorisme en Afrique de l’Ouest.

Face à ces questions essentielles, c’est tellement plus facile de se réfugier derrière le débat digne du sexe des anges, sur le profil du président de la commission cellulaire ou l’arlésienne du référendum sur la peine de mort. «Le temps ne chôme pas», nous apprend si sagement Saint Augustin. Si le Sénégal veut tenir son rang, c’est-à-dire devenir le premier pays émergent d’Afrique de l’Ouest, il est grand temps d’arrêter d’être à la recherche de l’art de perdre du temps. 

Yoro Dia
 

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