Alors qu'il a déposé pas moins de quatre plaintes ou requêtes en France et en Suisse, contre ceux qu'il accuse de l'avoir privé de la présidence de la FIFA (voir L'Équipe du 4 juin), Michel Platini (63 ans) a été placé en garde à vue, ce mardi, à Nanterre, dans le cadre d'une autre affaire, comme révélé par Mediapart. Assisté de son avocat, Maître William Bourdon, l'ancien président de l'UEFA avait été convoqué comme témoin. À son arrivée, les policiers de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) lui ont signifié son placement en garde à vue. Ils l'interrogent sur son rôle dans l'attribution des Coupes du monde 2018 et 2022, à la Russie et au Qatar.
Selon les informations de L'Équipe, ce n'est pas la première fois que Michel Platini est questionné dans le cadre de cette enquête préliminaire ouverte pour des « faits de corruption active ou passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique ». Le 14 décembre 2017, le jour de la mort de son père Aldo, à l'âge de 90 ans, l'ancien numéro 10 des Bleus avait vu ses domiciles de Nyon, en Suisse, et de Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine, perquisitionnés, ses coffres ouverts et ses comptes en banque minutieusement inspectés. Les policiers semblaient notamment à la recherche d'un mystérieux tableau du peintre Pablo Picasso. En novembre 2014, l'hebdomadaire britannique Sunday Times avait publié un article soupçonnant Platini d'avoir reçu de la part de l'ancien président de l'Union russe de football, Viacheslav Koloskov, une oeuvre de grande valeur du maître espagnol pour l'inciter à choisir la Russie comme pays hôte du Mondial 2018. Michel Platini a toujours vigoureusement nié avoir reçu un tel « cadeau ».
Des versions divergentes du fameux déjeuner à l'Élysée
Devant le procureur du Parquet National Financier (PNF), Jean-Yves Lourgouilloux, en décembre 2017, comme devant les enquêteurs de l'OCLCIFF ce mardi, Michel Platini doit être interrogé sur le désormais fameux déjeuner organisé à l'Élysée, le 23 novembre 2010, auquel le président de la République de l'époque, Nicolas Sarkozy, l'avait convié, en compagnie, notamment, du prince héritier du Qatar, Tamin Ben Hamad al-Thani, devenu depuis l'Émir du petit pays gazier. « C'est moi qui avais appelé Sophie Dion (alors conseillère chargée des sports à l'Élysée) pour prendre rendez-vous avec Nicolas Sarkozy afin de lui annoncer pour qui j'allais voter (lors du scrutin d'attribution des Coupes du monde 2018 et 2022). Et c'est en arrivant au déjeuner que j'ai vu qu'en plus du président et de Claude Guéant (alors secrétaire général de l'Élysée), il y avait aussi le prince héritier, et le premier ministre du Qatar (le cheikh Hamad ben Jassem) », a raconté Michel Platini au magistrat et aux policiers. Comme l'ancien sélectionneur des Bleus, Sophie Dion est en garde à vue depuis ce mardi. Selon les informations de Mediapart, Claude Guéant est, lui, entendu dans le cadre d'une audition libre.
Michel Platini a reconnu qu'il avait un temps songé voter pour les États-Unis au lieu du Qatar pour 2022. Il a aussi admis que lors de ce déjeuner, il avait perçu « un message subliminal mais que Nicolas Sarkozy ne lui avait rien imposé. C'est juste qu'au comité exécutif de la FIFA (qui désignait alors les pays hôtes de la Coupe du monde), sur le carton posé devant moi, il n'y a pas marqué UEFA mais France. Et je voulais aussi que la Coupe du monde soit organisée dans un pays et une partie du monde qui ne l'avaient jamais accueillie. J'ai toujours agi en toute transparence, en appelant Sepp Blatter (alors président de la FIFA), dès la sortie du déjeuner, pour l'informer de la présence du prince et du premier ministre qatariens à l'Élysée, et plus tard, en révélant à la presse mon vote pour le Qatar », s'est défendu Michel Platini, qui va être questionné sur ses liens avec Nicolas Sarkozy, qu'il connaît depuis 1999.
Michel Platini et Nicolas Sarkozy au Parc des Princes, lors du match de Ligue des champions entre le PSG et Chelsea, le 17 février 2015. (P.Lahalle/L'Équipe)
« Nous nous sommes saisis de cette affaire (l'attribution des Mondiaux 2018 et 2022) dans la mesure où des ressortissants français pourraient être impliqués dans certaines irrégularités », avait expliqué le procureur du PNF, Jean-Yves Lourgouilloux, au Parisien, le 28 avril 2017. Depuis, le magistrat semble avoir suffisamment avancé pour estimer nécessaire une nouvelle audition de Michel Platini, afin notamment de le confronter à des versions divergentes données par d'autres convives du fameux déjeuner élyséen du 23 novembre 2010. Entre la poire et le dessert, des sujets au moins aussi importants que l'attribution du Mondial 2022 ont pu être évoqués, notamment le rachat du PSG par Qatar Sports Investments (il sera effectif sept mois plus tard), l'arrivée dans le PAF de la chaîne de sport qatarienne beIN Sports, ou la prise de participation de Doha dans des grandes entreprises françaises comme Veolia (5 %).
Les accusations de Blatter
Dans plusieurs interviews, Sepp Blatter a accusé Nicolas Sarkozy et Michel Platini d'avoir « complètement changé la donne » du scrutin pour l'attribution du Mondial, après leur déjeuner commun. Pour l'ancien président de la FIFA, Platini avait fait basculer trois autres suffrages européens, en plus du sien, des États-Unis vers le Qatar, finalement vainqueur par quatorze voix contre huit.
Michel Platini est actuellement condamné à quatre ans de suspension de toute activité liée au football par la FIFA, dans le cadre d'une affaire de paiement dit « déloyal » de 2 millions de francs suisses (1,8 M€) que lui a versé Sepp Blatter, en février 2011. Le Français a pourtant été mis hors de cause par la justice suisse pour les mêmes faits. Sa suspension prendra fin en octobre prochain.
Lequipe.fr