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Serigne Bassirou Bara : « Le pays traverse une profonde crise des valeurs qui exige une introspection »

POLITIQUE
Jeudi 9 Novembre 2017

Malgré un agenda chargé, le Vice-Khalife général des Mourides, Serigne Bassirou Bara a tordu le cou à son protocole pour accorder quelques précieuses minutes aux envoyés spéciaux de L’Observateur. Son domicile aux alentours de la Grande Mosquée de Touba ne désemplit pas. Certains font leur Ziar (visite), sans même deviner que le discret Vice-khalife général des Mourides habite ce domicile sans faste. Au cours de cet entretien exclusif, cet homme de Dieu, de peu de mots publics, fait une analyse froide de la société sénégalaise «qui traverse une profonde crise des valeurs…»


Serigne Bassirou Bara : « Le pays traverse une profonde crise des valeurs qui exige une introspection »
La récente visite du chef de l’Etat, Macky Sall, à Touba, (jeudi-vendredi dernier), l’a hissé au-devant de la scène. Et le grand public, multiple paires d’yeux écarquillés, a découvert son existence. Dans la vie, la vraie, Serigne Bassirou Bara est un éternel discret. Son nom est plus célèbre que son visage. Alors que grand dignitaire de la «mouridiya», l’homme est le frère cadet de l’actuel Khalife général, Cheikh Sidy Makhtar Mbacké. Une posture qui fait de lui, le Vice-khalife des Mourides. Une casquette qu’il a été amené dernièrement à ajuster, lors de la traditionnelle visite du président de la République à Touba, en prélude à la 124eédition du Grand Magal. Actualité oblige, L’Obs a cherché à percer le mystère qui entoure le saint-homme qui a toujours préféré vivre à l’écart des soubresauts médiatiques, des flashs des photographes et feux des cameramen, malgré son aura qui transcende les frontières.

Un défi a priori délicat qui, au final, s’est avéré des plus …simples. La raison, le saint-homme a formaté son service du protocole à son image : simplicité, disponibilité et diligence. Des vertus incarnées par son neveu, Abdou Khadre Bâ, qui assume cette fonction. Briefé par un très proche de l’entourage direct du Vice-khalife général, Abdou Kh. Bâ, communément appelé Djily, a accepté le principe de l’entretien fixé lundi dernier. Cependant, il a tenu à prendre langue avec l’équipe de reportage, le même jour, vers 21 heures, afin d’être davantage édifié sur l’objet de la rencontre.
 
 
Il est 21 Heures et quelques pincées de minutes, l’équipe de L’Obs bourrée de certitudes d’une interview-événement, accède avec l’excitation du stagiaire qui vient de signer son premier contrat, à l’enceinte de la résidence du Vice-khalife général des Mourides, à quelques encablures de la Grande Mosquée de Touba. Notre interlocuteur (Djily) reçoit dans une pièce, pour un échange de mise au point d’environ 30 minutes. Le principe parfaitement maîtrisé, il conduit dans un somptueux salon niché au premier étage, jouxtant une des pièces privées du Vice-khalife, Serigne Bassirou Bara, le temps de lui annoncer notre présence. A l’intérieur, sont posées avec minutie, des photos du maître des lieux, de dignitaires mourides, dont celle de son homonyme… La petite lucarne (un écran plat d’une grande dimension), distille des chants religieux. Dans la foulée et comme le veut la légendaire hospitalité mouride, de succulents mets et autres rafraichissements sont proposés. C’est le moment choisi par Djily Bâ pour nous demander de rejoindre le saint-homme dans une de ses chambres, gardé par plusieurs jeunes talibés (disciples) dévoués, reconnaissables par leur habilement, allure et maniabilité. Notre guide du jour frappe à la porte qui est délicatement ouverte par un fidèle posté à l’intérieur.

Dans cette grande pièce, au fond à gauche sont assis à même le sol, plusieurs disciples et proches. A l’opposé, Serigne Bassirou Bara est confortablement assis sur une chaise en bois. Malgré la fatigue qui se lit sur son visage harassé par une journée chargée, il réserve un sourire généreux à ses hôtes. Et comme pour mettre tout le monde à l’aise et dans le bain, il se veut prolixe et enthousiaste. Les salamalecs d’usage faits par son chargé du protocole qui lui rappelle l’objet de notre visite, le Vice-khalife relance les débats sur un ton posé et avec une simplicité déconcertante qui laisse admiratif son monde. Alliant le français et le wolof, il nous souhaite chaleureusement la bienvenue et salue le travail «important» qu’abattent le Groupe futurs médias (Gfm) et son support L’Observateur, dans l’éveil des consciences au quotidien. Dans cette ambiance chaleureuse, le Vice-khalife général, très décontracté et visiblement à l’aise dans un grand boubou et un bonnet simple pour une personnalité religieuse de sa carrure, agrémente l’instant par des blagues, proverbes et autres anecdotes qui ont, par moments, fait tordre de rire plus d’un dans l’assistance, à commencer par lui. Une entrée en matière réussie avec une grande pédagogie. Puis, sur un ton relativement plus sérieux, Serigne Bassirou Bara répond à la première question relative à l’absence remarquée du Khalife général des Mourides, Cheikh Sidy Makhtar, lors de la récente visite du chef de l’Etat à Touba.
 
 «J’ai accueilli le Président, parce que le Khalife général est alité»
 
 Avec une gestuelle maîtrisée et un sourire qui ne le quittent pratiquement jamais, Serigne Bassirou Bara, nullement emballé, rassure : «Il est vrai que des gens se sont naturellement posé des questions, en ne voyant pas le Khalife général des Mourides (que le Tout-Puissant lui prête longue vie et santé), recevoir, comme il est de coutume, le président de la République, venu perpétuer la traditionnelle visite en prélude au Grand Magal. La raison est des plus simples : il s’est trouvé que le Khalife général, Cheikh Sidy Makhtar, qui est mon grand frère, était alité. J’en profite pour lui souhaiter un prompt rétablissement et rassurer les talibés qu’il se porte mieux. Du coup, ne pouvant honorer ce rendez-nous important, il m’a naturellement demandé de le remplacer pour l’occasion et accueillir le chef de l’Etat, conformément à la tradition. Une telle demande venant de la plus haute autorité de la communauté mouride, le Khalife général, qui plus est, mon grand frère, ne pouvait qu’avoir une suite favorable de ma part.» C’est pourquoi, poursuit-il, «lorsque le président de la république est arrivé à Touba, il a été accueilli par le porte-parole du Khalife général, le très dévoué Serigne Bass Abdou Khadre que je salue au passage, qui l’a ensuite conduit jusqu’à moi, afin que je le reçoive solennellement, conformément aux recommandations de mon aîné, le Khalife général».
  
«Je me suis toujours évertué à vivre de façon simple… je ne me barricade jamais»
 
 Sur un autre registre, lequel, visiblement, le tient à cœur, le Vice-khalife général s’est épanché sur un sujet de société relatif à la dépravation des mœurs. Arborant le manteau de guide religieux avisé, Serigne Bassirou Bara a fait une adresse à l’endroit de la jeunesse en perdition. A l’en croire, le pays traverse une profonde crise des valeurs qui exige une introspection à tous les niveaux. «Les jeunes n’ont plus le sens du respect des parents et des aînés, alors qu’ils se doivent d’être à leur écoute et se conformer à leurs recommandations. Mais, de nos jours, plusieurs jeunes en perte de repères, n’en font qu’à leur tête, se laissant influencer par autrui et adoptent des pratiques peu orthodoxes souvent venues d’ailleurs. Conséquence, nous accusons une inquiétante perte des valeurs, socle de ce qui a toujours fait de notre pays une exception. Malheureusement, de nos jours, des parents, censés mettre les jeunes sur le droit chemin, sont les premiers à insuffler des comportements qui ne cadrent pas avec ceux qui nous ont été légués par nos devanciers. Nous devons revoir et contextualiser notre modèle de l’éducation, en restant en phase avec les enseignements des saints de ce pays, à l’image de Cheikh Ahmadou Bamba.»

Concluant son intervention, le Vice-khalife d’inviter les fidèles mourides et les Sénégalais à «apprendre à être simples dans la vie et à vivre simple. Je crois foncièrement à ces vertus et je me suis toujours évertué à vivre simplement, comme un être humain, un mortel, un croyant. C’est pourquoi, je ne me barricade jamais. Que je sois à Touba ou à Dakar, je reste disponible et à l’écoute des talibés (disciples) désireux de me rencontrer.

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