Essayiste… Disons que j’ai prolongé le travail de journaliste - que j’ai exercé au quotidien pendant une dizaine d’années - à travers un des genres du métier : l’interview. Cela a donné les livres d’entretien «El Hadj Mansour Mbaye : Le consensus personnifié» et «Cheikh Ousmane Diagne : La République entre ombres et lueurs». Toutefois, mon premier ouvrage est un recueil de poèmes intitulé «Éclairs métis». Après avoir fini d’écrire «Excusez ! Je suis wolof», je me suis dis et j’ai dit à certains de mes proches qu’en réalité, l’on écrit le même livre. Ce roman est, en effet, comme un prolongement de la quête entamée dans le recueil précité. C’est comme si je cherchais, à travers ces écrits, où planter mes racines pour me déployer dans le monde.
À voir le titre, on s’attendait à un pamphlet, mais on découvre un excellent roman avec un condensé d’anecdotes qui fleurent bon l’amour…
J’ai trop de respect pour les autres ethnies – y compris l’ethnie toubab – pour les rabaisser au profit du wolof. Je me suis plutôt attaqué aux préjugés sinon aux complexes des uns et des autres en les mettant en situation. Cette démarche relativise bien des idées préconçues voire des constructions d’images qui ne reposent sur rien. Quelque part, j’aime les différents espaces et cultures pour ce qu’ils m’ont apporté comme joie, comme expérience, comme espérance et autres. «Excusez ! Je suis wolof», c’est en fait une boutade pour demander à ceux qui ne sont pas wolofs, de faire attention à moi, à mes différences, dans nos relations, dans les habits dont ils voudraient me draper ; mais aussi aux Wolofs de ne pas tenter de m’exclure de la société wolof en croyant que mon séjour en dehors du Sénégal m’a fait muer en étranger à ma culture, aux us et coutumes voire aux mœurs du pays. C’est aussi une réplique à ceux qui réfutent l’existence du wolof en tant que langue et en tant que groupe social distinct, mais aussi une manière de relativiser l’ethnocentrisme wolof qui n’est, en définitive, qu’une position normale que même les dénonciateurs adoptent sans s’en rendre compte du fait d’une absence de distance par rapport à ce qu’ils sont, à ce qu’ils font, à ce qu’ils revendiquent comme identité.
Au départ, pensiez-vous en faire un roman ?
Au départ, «Excusez ! Je suis wolof» était une contribution. Après l’avoir lue, Élie-Charles Moreau a pensé qu’il me restait des choses à dire et que je pouvais en faire un roman. Je l’ai pris au mot et voilà !
Dans quel genre classeriez-vous cet ouvrage ? Récit, autobiographie…
Sur la couverture, il est marqué «roman». Certes, c’est le récit d’une vie, certes on y retrouve un schéma narratif en rapport avec les relations entre le narrateur et Aramatou, mais on aurait tout aussi bien pu mettre «récit» pour contourner les questions que le classement de l’ouvrage dans un genre aurait pu poser. Mais avec les éditeurs, j’ai accepté que l’on le catalogue comme un roman. Quelqu’un m’a dit que l’ouvrage est inclassable. Quant aux éléments autobiographiques, ils sont patents. D’ailleurs, on n’écrit pas ex nihilo, mais le tout est romancé. Et je dis dans le roman que “je” n’est pas toujours “moi”.
Au niveau de l’écriture, on sent un réel besoin de liberté. Vous menez le lecteur là où bon vous semble sans jamais rompre le fil de la narration…
L’écriture est subversive ou n’est pas. Autant j’ai refusé d’être enfermé dans un carcan esthétique, autant je me suis permis beaucoup de mises en abîme et d’analyses qui ressemblent à autant de digressions, en veillant à ne pas nuire à la poétique du récit. Ma conversation avec le lecteur (parce que je considère ce texte comme une longue conversation avec un auditoire virtuel), en tant qu’auteur, ne comporte pas de devoir d’explication. Je demande au récepteur d’accomplir l’effort de mettre en parallèle les éléments des différentes parties pour justifier l’évolution de l’action et des situations. D’ailleurs, je l’avertis dès le départ que je ne suis pas « ce grand monsieur ordonné [qui] pense son texte de la majuscule initiale au point final, (…) mais ce peintre qui esquisse les premières formes qui hantent son esprit et guident sa main (…) s’arrête, polit ici une courbe, affine là une ombre, trace quelque trait rageur (…) ».
Au fil du récit, on découvre également un homme différent de l’image que l’on s’est toujours fait de Saër Ndiaye. Vous avez bien caché ce côté un peu bon viveur…
C’est un des dangers de l’écriture que de révéler les facettes cachées de l’auteur ! «Xar déy weesu mbote !» Je ne peux pas rester toute la vie au stade de l’insouciance !
Entre deux cultures, vous vous sentez rejeté tout en restant foncièrement wolof…
Je ne dirai pas rejeté, mais étranger, voire étrange ! Mais la lecture du roman permet de comprendre que, pendant ce temps, je me goinfre des particularités que la distanciation me permet d’appréhender avec acuité.
Dans une Afrique qui veut gommer la notion ethnique, quel intérêt à revendiquer son appartenance au wolof ?
Parce que la culture est le levier avec lequel on soulève le monde ! C’est ce qui doit m’accompagner ! «Soo bàyyee sa ànd, ànd boo dem fekk borom toog ca !»
Qu’est-ce qu’être wolof, en définitif, selon vous ?
Être wolof, c’est, en principe, se reconnaître dans une culture, être l’usager d’une langue. C’est n’avoir, en réalité, d’autre point d’ancrage que cette société qui déborde des frontières d’appartenance que devrait encadrer le sang. Toutefois, aujourd’hui, nous ne maîtrisons pas les codes de ladite société.
Outre les complexes identitaires que vous évoquez, vous flétrissez la corruption le long de nos frontières. Des pratiques, hélas, qui ont toujours cours…
On ne peut que s’en désoler ! Mais j’ai voulu dramatiser en décrivant l’abus sexuel qu’a subi une voyageuse. On doit s’en indigner, comme on doit s’indigner des attaques contre les étrangers en Afrique du Sud. Il n’y a pas de petites exclusions, car elles font le lit des grandes et cette pratique mine non seulement nos relations, mais aussi nos économies.
Mais voilà, après un long séjour en Côte d’Ivoire, le retour au Sénégal sonne comme une désillusion ?
Je ne pouvais qu’être déçu parce que j’avais idéalisé le Sénégal et, tout ce qui me heurtait en Côte d’Ivoire, j’espérais ne pas le trouver au Sénégal. Il faut dire que mes parents m’avaient fait une telle peinture de leur pays que je ne pouvais qu’être déçu. Le Sénégal avait beaucoup évolué et le plus souvent négativement. Il est, par ailleurs, vrai que le fait de vivre loin embellit la mémoire des choses, des êtres et des faits.
On constate donc que les valeurs se diluent.
C’est parce que les cadres pour les transmettre ont disparu et que l’école qui s’est substituée à toutes les institutions traditionnelles d’éducation n’est en mesure de dispenser que de l’instruction. Il est bien beau de recenser les éléments du patrimoine immatériel, mais ils deviendraient comme des pièces de musée s’il n’est pas possible de leur redonner une place dans notre quotidien.
Comme lors des funérailles de la mère que vous décrivez avec un haut le cœur…
C’est que la mort ne nous parle plus. C’est devenu juste un épisode dans la vie. Aussi n’arrive-t-elle pas à imposer une pause dans les petites magouilles, les frivolités et les règlements de comptes. Cette anecdote révèle donc toute l’hypocrisie de nos relations sociales et familiales.
«Excusez ! Je suis wolof», c’est également le roman de l’amour à travers Aramatou. Vous la «pleurez» toujours ?
Vous voulez savoir si Aramatou existe réellement ! Tout n’est pas la véritable personne dans le roman, toute la personne n’est pas non plus dans Aramatou. J’ai dit dans le roman que, quand on tombe de cheval, on doit se remettre immédiatement en selle. Sinon on risque de ne plus oser !
Si vous aviez à choisir entre être baoulé ou wolof, vous resteriez toujours wolof ?
Évidemment ! «Li nga doon soo ko bañee, dafa fekk nga gën cee ñaaw !» Je suis fier de ce que je suis, mais je ne dédaigne pas toute la richesse des cultures baoulé, dioula et française ! Et musulmane !
Entretien réalisé par Alassane Seck GUEYE