Le président Macky Sall, comme raison essentielle pour rétablir le poste de premier ministre, a mis en avant ses futures charges de président en exercice de l’Union africaine (UA). Cet élément de langage est depuis, repris en boucle par ses affidés et collaborateurs, sur toutes les antennes médiatiques.
La fin du « Fast Track »
En effet, à partir du 1er janvier 2022, le président sénégalais sera le visage de l’organisation continentale. Pour une année. Est-ce à dire qu’il fait revenir un Premier ministre seulement pour une année ? Certainement pas.
Ledit Premier ministre sera nommé en janvier prochain, après les élections locales du 23, a indiqué Macky Sall. Le prétexte UA paraît insuffisant. Entre 1985 et 1986, le président en exercice de ce qui était encore l’Organisation de l’unité africaine (OUA), Abdou Diouf, n’avait pas eu besoin de s’adjoindre les services d’un Premier ministre, alors même que son mandat avait été intense, avec notamment des voyages incessants dans les pays de la ligne de front – à savoir les pays d’Afrique australe frontaliers de l’Afrique du Sud sous le régime honni de l’apartheid. Certes, lorsque Abdou Diouf rempilera à la présidence de l’OUA en 1992, le poste de Premier ministre aura été créé entre temps, mais pas pour les raisons avancées par Macky Sall.
L’actuel chef d’État a supprimé le poste de Premier ministre, juste après sa réélection en février 2019, arguant que cela lui permettrait d’aller plus vite. Il pouvait notamment accélérer la cadence de mise en place des politiques publiques, du travail des ministres et des directeurs des sociétés publiques, une stratégie qu’il a nommée Fast Track et qui, visiblement, serait passée de mode.
Macky Sall fait revenir un Premier ministre pour les mêmes motifs que Diouf en 1991 : mettre un fusible entre lui et son opposition vibrionnante. Et se poser en arbitre du jeu au-dessus de la mêlée politique, y compris des « chicayas » de son propre camp. En 1991, le président Diouf y avait été contraint après la mise en place d’un gouvernement de majorité présidentielle élargi.
Avec le gouvernement Macky Sall III dans lequel siège depuis novembre 2020 Idrissa Seck, son meilleur adversaire, le président sénégalais se devait de rétablir le poste de Premier ministre, et, depuis un an, il ne cessait de rechercher la meilleure fenêtre de tir. D’autant qu’en face, dans une opposition radicalisée, Ousmane Sonko et consorts donnent des coups de boutoir. Une opposition qui a décidé de faire des élections locales de janvier 2022 et des élections législatives de juin 2022 des tours de chauffe intenses en vue de la présidentielle de février 2024. La tranquillité du palais de l’avenue Senghor à Dakar vaut bien un Premier ministre.
Crise de transition
Au total, cette valse-hésitation – avec Premier ministre, sans Premier ministre et à nouveau avec – renseigne surtout sur la crise de transition ontologique du régime politique sénégalais. Avec le mandat présidentiel et celui des députés qui sont désormais de durée égale (cinq ans), il va bien falloir trancher et choisir une un modèle politique.
Soit le Sénégal adopte un régime résolument présidentiel, avec un chef d’État et un vice-président, mais sans Premier ministre. Soit il adopte un régime parlementaire, avec un Premier ministre qui fixe et conduit la politique de la nation, issu du parti ou de la coalition majoritaire, et un Président de la République honorifique élu par les membres de l’Assemblée nationale et dont le rôle sera celui de figure morale. Et celui d’inaugurer les chrysanthèmes… Comme au Portugal ou en Grèce. Dans le deuxième cas de figure, la population sénégalaise qui est d’essence royaliste, et qui désigne le pouvoir du Président du nom wolof de « ‘Nguur’ » (royauté), y retrouvera sans nul doute ses petits.